L’ex-premier ministre Brian Mulroney « avait le Canada dans la peau », a relaté samedi sa fille Caroline Mulroney dans un discours chargé en émotions, à la basilique Notre-Dame du Vieux-Montréal. Elle a salué le « style unique » de son père, mais surtout « le grand homme » qu’il aura été tout au long de sa vie.

« Mon père s’est fait le devoir d’honorer des sacrifices qui lui ont permis de servir des causes plus grandes que lui-même », a affirmé Mme Mulroney, en lever de rideau de son discours tenu devant plus d’une centaine de politiciens et de personnalités publiques.

À Baie-Comeau, s’est-elle rappelée, « le travail acharné était un mode de vie ». « À 16 ans, alors que la situation financière de la famille était difficile, mon père a proposé à son père de s’inscrire au programme d’apprentissage de l’usine. Il aurait eu sans doute eu une bonne vie, mais n’aurait pas accompli son destin. Mon grand-père le savait et déclina son offre. Il a plutôt décidé d’allonger ses journées de travail. Son fils pourrait ainsi à l’université », a relaté Caroline Mulroney.

Celle qui est ministre ontarienne des Affaires francophones s’est aussi souvenue des précieux conseils de son père, au fil de sa carrière politique. « Il m’a conseillé de ne pas dilapider mon capital politique pour des enjeux mineurs, mais de le conserver pour les causes qui comptent véritablement. La vie est courte, me répétait-il souvent, mais notre héritage perdure. »

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Mon père s’est fait le devoir d’honorer des sacrifices qui lui ont permis de servir des causes plus grandes que lui-même », a affirmé Mme Mulroney.

Quand j’étais petite, j’avais le sentiment que mon père était un grand homme. Il semblait connaître tout le monde. Les gens le connaissaient et ils voulaient être avec lui. […] Il avait le Canada dans la peau, mais le caractère distinct du Québec était pour lui une source d’unité.

Caroline Mulroney, fille de Brian Mulroney

D’un point de vue plus personnel, Brian Mulroney « est toujours demeuré fidèle à ses amis, dans les beaux jours autant que lorsque la tempête faisait rage », a poursuivi sa fille. « Voilà pourquoi ses amitiés étaient profondes, durables, et faisaient partie intégrante de sa vie. »

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Mila Mulroney et sa fille Caroline Mulroney

Mme Mulroney n’a pas non plus manqué d’évoquer le rôle central qu’aura eu sa mère, « l’amour de sa vie, sa meilleure conseillère et sa partenaire », Mila Mulroney. « En parfaite harmonie, ils ont conjugué ensemble et avec succès ces deux passions », a-t-elle souligné en parlant de ses parents.

Motivé par le leadership

Si Brian Mulroney avait donné un cours pour devenir premier ministre, « sa première leçon aurait été que gagner est important et que c’est correct d’en profiter », a déclaré le premier ministre Justin Trudeau dont le dernier discours dans cette basilique remonte aux funérailles de son propre père il y a 24 ans, l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

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« Aujourd’hui, c’est la fin de la soirée d’un géant », a affirmé Justin Trudeau. « Mais la musique continue. »

Il était motivé par le leadership, par la réussite des grandes choses.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Des exemples : le libre-échange, la fin de l’apartheid, la lutte contre les pluies acides et la réparation de la couche d’ozone. « Cependant, gagner seulement pour gagner ne peut pas être la seule motivation », a-t-il ajouté, rappelant que M. Mulroney avait mis le service public au cœur de son engagement et que son ambition pour accomplir de grandes choses était sans limites.

Lors de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain, M. Trudeau recevait fréquemment les conseils de celui qui l’avait précédé des années auparavant. « Au milieu d’une semaine particulièrement houleuse, il m’a encouragé à garder le cap, a-t-il raconté.

« Je l’entends encore me dire au téléphone : “Justin, souviens-toi de ce que ton père disait : que c’est en fin de soirée qu’on reconnaît les meilleurs danseurs”. C’était une leçon de discipline, de détermination. Aujourd’hui, c’est la fin de la soirée d’un géant. Mais la musique continue », a-t-il continué.

L’ex-premier ministre Jean Charest a souligné que Brian Mulroney voulait que ses deux mandats majoritaires comme premier ministre comptent. « Il a choisi de dépenser son capital politique, il a pris des risques et est ainsi devenu l’un des dirigeants les plus rares », a souligné le politicien qui avait fait ses premières armes en politique an sein du Cabinet de ce géant.

L’un de ces risques : la réforme fiscale qui a mené à la création de la taxe sur les produits et services (TPS) en est une. « Je ne peux pas imaginer de politique économique plus impopulaire que la mise en œuvre de la TPS et pourtant je ne peux pas penser à une politique économique plus populaire que celle de tous les premiers ministres et gouvernements qui ont marché dans les traces de Brian Mulroney ont suivi », a-t-il rappelé.

« Brian a défendu les intérêts du Canada avec une vision audacieuse, mais il a également compris l’importance d’assurer des avantages mutuels qui amélioreraient la prospérité et la sécurité de l’Amérique du Nord grâce à la promotion du libre-échange », a fait remarquer pour sa part James Baker, ancien secrétaire dans les administrations de George H. W. Bush et de Ronald Reagan. L’homme de 93 ans étant incommodé par des ennuis de santé, son hommage a été livré par Tim McBride, qui a lui aussi servi dans les administrations Bush et Reagan.

« Pour moi, M. Mulroney était comme un deuxième père », a quant à lui relaté le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, en réitérant le travail incroyable qu’a fait l’ancien premier ministre sur le conseil d’administration de son entreprise pendant des années.

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Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau

« Sa vie se construisait autour de valeurs profondes. Et au sommet de ses valeurs, on retrouvait la loyauté. Nous savions que nous pouvions toujours compter sur lui, peu importe les circonstances », a persisté M. Péladeau, en ajoutant que « ses leçons de courage vont énormément nous manquer ».

D’un point de vue personnel, a ajouté l’homme d’affaires, « Brian Mulroney m’a sûrement inspiré pour que j’aie une famille merveilleuse comme la sienne ».

« Se rassembler »

La légende du hockey canadien, Wayne Gretzky, a ensuite pris le micro pour raconter ses souvenirs de l’ancien ministre qu’il dit avoir rencontré pour la première fois en 1984, à l’occasion d’une partie de hockey organisée au profit de la fondation de la femme de Brian Mulroney, 65 Roses.

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Wayne Gretzky

La relation s’est poursuivie par la suite, de telle sorte que le politicien l’a appelé en marge d’une édition de la Coupe Canada, contre l’URSS, pour l’encourager.

« Mon père décroche le téléphone, puis il parle, parle, parle [à Brian Mulroney] », a décrit Wayne Gretzky. Il finit par me passer le téléphone, le premier ministre me souhaite bonne chance. Lorsque je raccroche, mon père me dit : « Tu imagines que le premier ministre du Canada m’a appelé. »

Une anecdote qui démontre, selon le hockeyeur, à quel point Brian Mulroney était « fier d’être Canadien ». « Se rassembler, être amical, aider les autres et rendre hommage : c’est la raison d’être de notre pays », a déclaré Wayne Gretzky.

L’émotion a rempli la salle lorsque la petite fille de M. Mulroney, Elizabeth Theodora Lapham, a entonné les premières notes de la chanson préférée de son grand-père, Mais qu’est-ce que j’ai ? d’Henri Betti et d’Édith Piaf suivie de When Irish Eyes Are Smiling qu’elle a chantée avec Marc Hervieux. La chanson s’est terminée avec un enregistrement de la voix de Brian Mulroney.