Le consulat général de Russie à Montréal n’était pas encore fermé aux électeurs expatriés que Vladimir Poutine raflait déjà un cinquième mandat. Mais dans la file, avenue du Musée, la présence de beaucoup n’était de toute façon que symbolique, les jeux étant selon eux faits d’avance.

« Toutes ces soi-disant élections, c’est une farce sinistre », lance sans détour Maxim Afanasiev, rencontré devant le consulat. « La seule raison d’y prendre part est purement symbolique. » À son côté, sa femme, Anna Blinkina, abonde, elle qui se montre hautement critique du pouvoir russe : « Nous dénonçons les politiques du gouvernement […] et souhaitons que la Russie perde la guerre qu’elle mène en Ukraine. »

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Anna Blinkina

Le couple tenait à être sur place, dimanche, même s’il n’a pas pu voter, puisque ses passeports russes sont expirés. « La Russie laisse les gens sans passeport voter, mais il faut pour cela fournir une explication, raconte Mme Blinkina. Dans ma lettre, j’ai été critique du pouvoir […] et on m’a refusé le droit de voter. » M. Afanasiev, qui a plutôt offert comme raison des contretemps familiaux, a été autorisé à exprimer sa voix, mais a préféré s’en abstenir par solidarité pour sa compagne.

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Aleksei Kavun

Dans la rue, Aleksei Kavun, qui a exercé son droit de vote en ligne vendredi, au premier des trois jours de vote, estime que l’élément le plus important aura été la mobilisation des électeurs sur le coup de midi. De nombreuses personnes, dit-il, ont répondu à l’appel lancé par Ioulia Navalnaïa, la veuve de l’opposant Alexeï Navalny, de se rendre aux consulats et dans les bureaux de vote à cette heure bien précise en signe de contestation.

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De nombreuses personnes ont répondu à l’appel de Ioula Navalnaïa et se sont rendues aux consulats à une heure précise en signe de contestation.

Du reste, M. Kavun a fait écho à la résignation ambiante : « Nous comprenons très clairement que cette élection n’est pas légitime et nous [savions] que Poutine l’emporterait. »

« Le pays se porte bien »

M. Kavun, un Russo-Ukrainien qui était de l’équipe de campagne d’Alexeï Navalny quand il s’est présenté à la mairie de Moscou, en 2013, publicisait par ailleurs une cérémonie qui se tenait le soir même en hommage à l’opposant mort en détention. Et pour cette raison, dit-il, il a été harangué par un certain nombre de soutiens de M. Poutine, notamment à l’arrivée de La Presse sur les lieux, quand un homme l’a accusé de ne pas être un « Russe ethnique ».

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Aleksei Kavun est interpellé par un électeur russe favorable à la présidence de Vladimir Poutine.

Si les partisans du président porté au pouvoir jusqu’en 2030 semblent moins nombreux que ses critiques, ils sont bel et bien présents. Un homme, qui a préféré taire son nom, est d’avis que Vladimir Poutine est synonyme de stabilité et qu’il s’agit d’un « leader fort ».

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Vladimir Poutine a récolté plus de 87 % des suffrages après le dépouillement de 80 % des bureaux de vote, selon la commission électorale russe.

Même s’il vit au Canada depuis une trentaine d’années, il se rend très souvent en Russie, dit-il. Et « année après année, [il] voit les changements, le pays se porte bien ». « C’est rendu formidable », avance celui qui affirme avoir connu une Russie nettement moins prospère, à l’époque soviétique. Pour autant, il n’endosse pas la guerre menée par Moscou en Ukraine, mais ne va pas non plus jusqu’à la condamner. « C’est sûr que je suis contre les guerres, contre les morts et tout ça […], mais malheureusement, l’histoire de l’humanité est écrite avec le sang. »

Hommage à Navalny

À quelques centaines de mètres du consulat, à la cathédrale Christ Church, avait lieu en début de soirée une cérémonie en hommage à Alexeï Navalny. Leonid Dzhalilov, diacre de l’Église orthodoxe russe, a salué une figure de l’opposition qui s’inscrit en droite ligne avec Alexandre Soljenitsyne, célébrissime dissident lors de la période soviétique.

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Leonid Dzhalilov a prononcé un discours lors de la cérémonie à la mémoire d’Alexeï Navalny.

« Navalny mettait l’accent sur la liberté et était convaincu que la vérité menait à la liberté. Que la vérité nous rendrait libres, un jour », a-t-il avancé, dans sa réflexion sur la figure de Navalny. Sa vie durant, il aura été pour beaucoup un « exemple » en raison de ses convictions inébranlables et de son refus de courber l’échine devant le régime russe, a estimé M. Dzhalilov.

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Leonid Dzhalilov

Interrogé par La Presse peu après la cérémonie, le diacre, qui a quitté sa Russie natale dans la foulée de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, s’est par ailleurs montré inquiet quant à la situation politique qui prévaut dans son pays.

« Ma fille est âgée de 21 ans et elle a seulement connu la Russie de Vladimir Poutine. Ça m’apparaît insensé, et j’ai espoir que ça change un jour. Je pense que [Navalny] a permis à beaucoup de personnes de croire que ça changerait un jour. »