Galvanisés par la crise du logement et l’incertitude économique, des fraudeurs conjuguent ces derniers mois deux types d’arnaques, l’une au logement et l’autre à l’emploi, pour soutirer des centaines de dollars à des Québécois à la recherche d’un toit. Visite guidée d’un stratagème remis à neuf, où des victimes en font d’autres, bien malgré elles.

La façade

Un appartement en coin de deux chambres en plein cœur du Mile End pour 900 $, un studio dans Rosemont avec cinq électroménagers inclus pour 450 $, un loft complètement meublé à deux pas du métro Papineau pour 600 $ ; voilà le genre d’aubaines alléchantes que publient les agences Immo Lease, Bail Canada ou encore Good Rent sur leur site internet ou par le truchement de marchés en ligne comme Marketplace.

Ces trois intermédiaires d’allure professionnelle et avantageusement référencées sur Google font partie d’une même organisation. « Toutes les meilleures offres de logement et d’immobilier en général au Canada en un seul clic », se targuent-elles. L’occasion est belle : « Signez en toute confiance votre prochain contrat immobilier chez nous. »

  • Immo Lease

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    Immo Lease

  • Bail Canada

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    Bail Canada

  • Good Rent

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    Good Rent

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Le hic ? Aucune des offres de location publiées par ces plateformes n’est authentique. Mais l’arnaque est réelle : on demandera de transférer l’équivalent d’un mois de loyer pour pouvoir visiter le faux logement.

« Avec la pression de l’augmentation des loyers, les gens cherchent de bonnes opportunités », explique Benoît Dupont, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cybersécurité à l’Université de Montréal (UdeM).

Pour les fraudeurs, ça crée un contexte très, très favorable. Depuis le début de la pandémie, le Centre antifraude du Canada remarque une hausse des signalements assez marquée.

Benoît Dupont, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cybersécurité à l’Université de Montréal

Les descriptions des appartements sont parfois copiées d’annonces réelles, mais périmées. Il est en outre possible de confirmer, grâce à une simple recherche par image, que des photos ont été volées à des offres de logement d’autres temps ou d’autres lieux.

La section « Notre équipe » des « agences » présente en outre des membres fictifs. La photo de la courtière immobilière Magy Desseye, par exemple, apparaît sur différents sites au côté des noms Sarah Pravda, Rania Daouk ou Ilham Chaoui, ici une rédactrice française people, là une cliente marocaine friande de paella.

Les fraudeurs semblent avoir des ambitions internationales. La plateforme Rental Immo, tournée vers le Royaume-Uni – où la valeur de la livre sterling a ses avantages –, reprend le même gabarit que celui utilisé par les « agences » consacrées au marché canadien.

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Rental Immo, dont la personne-contact se présente comme Catherine Tremblay, s’adresse au marché locatif du Royaume-Uni.

La personne-ressource de Rental Immo répond au nom de… Catherine Tremblay.

Il pourrait s’agir d’un leurre, croit M. Dupont. « Il y a quelques fraudeurs basés au Québec, mais la grande majorité d’entre eux opèrent à partir de l’étranger et ce sont eux qui ont développé les stratagèmes. »

Les « courtiers »

Les fraudeurs ne se contentent pas d’attendre leurs proies. Ils sont actifs dans l’internet et les réseaux sociaux pour recruter des « télétravailleurs ».

  • Annonce publiée par Bail Canada

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    Annonce publiée par Bail Canada

  • Annonce publiée par Immo Lease

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    Annonce publiée par Immo Lease

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Des offres d’emploi se faufilent sans mal dans la bibliothèque publicitaire de Meta, société mère de Facebook et d’Instagram. Les arnaqueurs sont aussi à l’affût des utilisateurs qui cherchent un travail dans les réseaux sociaux afin de les recruter. Une fausse plateforme d’embauches, Jobbovo, a même été utilisée pour promouvoir des « postes » factices, a constaté La Presse.

Aux fins de cet article, La Presse a postulé, par l’entremise d’une tierce personne, à un emploi de « télétravailleur » affiché par Bail Canada. « Pour finaliser votre candidature, vous serez redirigé vers Facebook sur le profile de notre Responsable communication digitale. » Nous taisons le nom utilisé par notre interlocutrice puisque les fraudeurs empruntent de faux traits – une mère de famille dans le cas qui nous occupe – au moyen de comptes piratés.

La tâche est simple, nous explique-t-elle : publier sur Marketplace des annonces de logement. Pour chaque entrée active pendant 24 heures, nous recevrons 45 $, écrit notre nouvel employeur. Une prime de 65 $ est promise pour chaque appartement loué ou réservé.

« Le travail peut être déclaré ou non », écrit notre supérieure. « Il s’agit d’un revenu passif qui peut atteindre un maximum de 1100 $ chaque 10 jours », poursuit-elle. Il s’agirait dans les faits d’un revenu… actif, donc à déclaration obligatoire.

Qu’à cela ne tienne, plusieurs anciens « entremetteurs » qui croyaient avoir affaire à un employeur légitime parlent d’une même voix : ils ne seront jamais payés, ont-ils confirmé à La Presse.

La porte d’entrée

Le travail s’amorce. Notre « patronne » nous dirige vers la section Marketplace de Facebook. Elle nous guide, étape par étape, pour que nous recopiions tous les détails d’une annonce pour un logement sis à Longueuil. Il s’agit d’un quatre et demie de 900 pieds carré, rue Roussillon, offert à 845 $ par mois. « Situé au 2e étage dans un secteur tranquille, comprenant 2 chambres fermées de bonnes dimensions. »

PHOTO TIRÉE DE MARKETPLACE

Offre factice

Nous constatons rapidement que les photos qu’on nous demande de publier sont en réalité celles d’un quadruplex à vendre dans Villeray au prix affiché de 1 280 000 $.

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Véritable annonce dont les photos de l’offre factice sont tirées

Une fois l’annonce publiée, notre « employeuse » insiste pour que toutes les demandes d’information que nous recevrons soient dirigées vers la même adresse courriel. « Vous répondez et vous donner notre Courriel pour que les gens nous écrivent directement. Une fois fait vous devez automatiquement quitter la discussion. Important. »

La crise du logement frappe fort. Même si notre offre paraît trop belle pour être vraie, elle récolte près de 200 clics et génère plus de 40 messages de locataires potentiels en l’espace d’environ une demi-heure, l’équivalent de plus d’une demande par minute.

Inondé par les requêtes, notre assistant pour ce reportage supprime rapidement l’annonce. Évidemment, nous n’avons dirigé personne vers l’adresse courriel des fraudeurs, qui créent et abandonnent des comptes à la chaîne. Seulement nous y avons écrit…

Le paiement

Grâce à une armée de volontaires – des victimes devenues complices malgré elles –, les fraudeurs reçoivent de nombreux messages de locataires potentiels appâtés par un chez-soi à prix doux.

La réponse à notre courriel vient en moins de 24 heures. Celle-ci vise à nous mettre en confiance, à nous soutirer des renseignements et à organiser une visite de l’appartement. Les échanges subséquents, explique-t-on dans un second courriel, se feront exclusivement par l’entremise de Telegram, une plateforme de messagerie qui permet une confidentialité quasi complète. Là encore, de nombreux noms et comptes différents sont mis à profit.

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Premier courriel reçu en tant que locataire potentiel

Le stratagème est éculé : exiger le paiement d’un dépôt correspondant « au montant du premier mois de loyer ». Les sommes transférées, assure-t-on, ne seront accessibles au « propriétaire » qu’après la visite, si celle-ci est concluante, grâce à un « code PIN » qui sera gardé secret jusque-là. « Je ne vous demande pas de payer sans avoir signé le bail », écrit celle qui se présente comme une « professionnelle de la santé ».

Le paiement se fait au moyen de « TH-Cash », vanté comme un système « simple et sécuritaire ». Ce service factice a été présenté dans les derniers mois sous le nom de TH-Safe, d’ETHELCash, d’ADA ou d’UTH.

IMAGE TIRÉE D’UNE CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE TH-CASH

Le système TH-Cash (ou TH-Safe) n’existe qu’en façade.

La plateforme TH-Cash affiche comme adresse le 305, avenue Milner, un immeuble commercial à Toronto. Vérification faite auprès du gestionnaire : « À notre connaissance, nous n’avons aucun locataire à ce nom. »

Les « clients » du service proviennent eux aussi de l’imagination des escrocs. C’est le cas par exemple du détaillant européen Zalando, dont le logo apparaît sur le site de TH-Cash. « Nous n’avons pas de relation commerciale avec le fournisseur de services de paiement que vous avez mentionné », écrit un porte-parole de la multinationale. « Nous allons examiner cette question avec notre équipe juridique. »

En réalité, TH-Safe et d’autres plateformes ne sont que diversion. Les victimes sont invitées à se rendre dans un guichet Localcoin, à transférer de la cryptomonnaie à l’aide d’un code QR – on nous envoie même un faux permis de conduire – et à fournir un reçu de la transaction. À répétition, notre interlocutrice rappelle qu’elle a « dû annuler toutes les autres demandes » de visite et qu’elle ne veut pas « perdre [s]on temps ». C’est pourquoi elle impose un tel prépaiement soi-disant « bloqué ».

L’argent transféré est encaissé aussitôt par le fraudeur sans qu’aucun « code » ne soit nécessaire, le nœud de l’arnaque. Il ne donnera plus signe de vie une fois la transaction finalisée. « En moyenne, les fraudeurs exigent de leurs victimes des dépôts d’un ou deux mois de loyer, soit des sommes de 500 $ à 1200 $, dépendamment des appartements », écrit le Service de police de la Ville de Montréal sur son site web.

« Le problème avec la cryptomonnaie pour les services de police et d’enquête, c’est qu’une fois l’argent envoyé, il n’y a pas de possibilité de le retracer avec l’aide des institutions financières », note M. Dupont, professeur à l’École de criminologie de l’UdeM. « Des services de transfert de fonds plus traditionnels comme MoneyGram ou Western Union pourraient permettre d’identifier un point de chute. » Des auteurs de fraudes au logement ont notamment été localisés en Afrique de l’Ouest dans le passé.

Les vices cachés

Marc-André Genest, à force de voir des publicités de Bail Canada sur Facebook, a décidé d’offrir ses services de « télétravailleur » il y a quelques semaines.

Le jeune père a fait des recherches sommaires sur son futur employeur. « Il y avait des commentaires positifs de profils qui semblaient réels et je suis allé voir le site internet. Je n’ai pas eu de déclic. »

M. Genest raconte avoir publié une centaine d’annonces sur Marketplace en quelques heures. Il a dirigé toutes les personnes intéressées par l’un des logements vers des adresses courriel fournies par ce qu’il croyait être un employeur légitime.

C’est par l’intermédiaire d’un groupe Facebook, la journée même, qu’il a découvert qu’il participait malgré lui à une arnaque. D’autres « télétravailleurs » y racontaient leur expérience. Certains avaient vu leur compte Marketplace signalé par des utilisateurs, ce qui avait entraîné leur bannissement du marché en ligne.

M. Genest ignore si certains de ses destinataires ont été dépouillés en allant au bout de la démarche. « J’ai tenté de communiquer avec chacune des personnes qui m’avaient contacté et à qui j’avais donné une adresse courriel, raconte-t-il. Plusieurs ont répondu, d’autres non, mais je me sentais vraiment mal. »

« Je n’étais pas dans une bonne position personnelle et professionnelle, alors j’étais plus vulnérable », constate-t-il aujourd’hui.

Je pouvais travailler de la maison et il n’y avait pas beaucoup d’heures à faire. Je me disais : ‟Je vais être plus présent pour ma fille." J’avais envie d’y croire.

Marc-André Genest

M. Genest a rapporté la fraude aux autorités et a signalé le compte avec lequel il communiquait sur Facebook Messenger. Or, le réseau social de Meta lui a répondu que le faussaire « ne contrevenait pas aux standards de la communauté ». « Je n’en reviens pas. Ils avaient les preuves en pleine face ! »

Meta n’avait pas été en mesure de répondre aux questions de La Presse au moment de publier cet article.

Avec Martin Labrosse, La Presse

Quelques signaux d’alarme

  • Le loyer mensuel est anormalement bas.
  • Il faut payer un dépôt sans avoir signé un contrat de location ou un bail.
  • Il faut envoyer de l’argent à une personne à l’étranger.
  • Un site web demande des renseignements personnels ou financiers.
  • Les photos ne correspondent pas à la véritable résidence ou à l’adresse.

Source : Bureau de la concurrence du Canada

Conseils pour éviter l’arnaque

  • Se rendre sur place et vérifier que l’annonce est conforme à la réalité.
  • Faire des recherches sur l’adresse et le descriptif pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une publication copiée.
  • Planifier une visite et confirmer que le propriétaire sera présent.
  • Demander un contrat ou un bail et l’examiner méticuleusement.

Source : Bureau de la concurrence du Canada