Un juge a accordé une « ordonnance de dernière chance » à un locataire qui incommodait ses voisins avec l’odeur de ses cigarettes. Ce n’est pas la seule histoire du genre : une douzaine de causes concernant la fumée de tabac se sont retrouvées chaque mois devant le Tribunal administratif du logement, encore en 2023.

Un propriétaire de Saint-Jérôme en a eu assez des plaintes qu’il recevait au sujet de l’odeur de cigarette d’un locataire. Dans les derniers mois, il s’est adressé à la cour afin de faire résilier le bail des neuf dernières années de ce dernier.

« Le locateur explique que le seul temps où il ne reçoit pas de plaintes concernant le locataire est quand le logement [au-dessus du sien] est vide », explique le juge administratif Richard Barbe, dans un jugement rendu le mois dernier.

Le propriétaire affirme qu’il a exploré plusieurs pistes de solution. Il a offert au locataire fumeur de déménager au troisième étage de l’immeuble pour éviter qu’il ait des voisins au-dessus de lui. Le locataire a refusé.

Le propriétaire a fait nettoyer les échangeurs d’air du bâtiment, mais a « reçu malgré tout des plaintes des autres locataires concernant l’odeur de cigarette ». Il a également proposé une conciliation devant le Tribunal administratif du logement, en novembre 2022, mais le locataire s’y est opposé.

L’odeur incommode tellement les locataires que certains ont fini par quitter leur logement ; d’autres ont refusé de signer un bail lors de la visite d’un appartement, avance le propriétaire.

Le locataire se défend quant à lui en affirmant que son bail ne stipule pas que son logement est non-fumeur. « Il explique qu’il a 73 ans et qu’il sera très difficile d’arrêter de fumer du jour au lendemain », note la décision du juge Barbe.

Le locataire soutient « qu’il a ventilé son logement à plusieurs reprises depuis que le locateur lui a demandé de le faire » et qu’il a des « absorbeurs d’air et des chandelles aromatisées ».

Il affirme aussi qu’il ne peut pas fumer à l’extérieur, comme l’exige son propriétaire, parce qu’il y a des excréments d’écureuil sur son balcon.

En s’appuyant sur la jurisprudence, le juge Richard Barbe aurait pu résilier le bail du locataire de Saint-Jérôme. Il a plutôt décidé d’accorder une « ordonnance de “dernière chance” » au fumeur de 73 ans.

« Le Tribunal accorde au locataire une ultime chance de sauver son bail. Il doit en être conscient », souligne le juge, précisant qu’il s’agit d’une décision « sévère ». Advenant le non-respect de l’ordonnance, « le Tribunal […] résiliera le bail ».

« Une dépendance très forte »

Selon l’avocat spécialisé en immobilier Sergey Gerasin, les propriétaires ont le droit d’inclure une clause « non-fumeur » dans les baux. Or, un bail peut quand même être résilié sans cette clause, nuance-t-il.

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Me Sergey Gerasin, avocat spécialisé en immobilier

« Le Code civil du Québec prévoit que le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires. La cour doit donc évaluer si le niveau de trouble de la fumée de cigarette excède le trouble normal et régulier que les autres locataires doivent tolérer », explique-t-il.

Outre l’odeur incommodante de la cigarette, l’avocat explique qu’il a vu des baux être résiliés en raison de locataires qui faisaient trop de bruit ou qui ne permettaient pas à des exterminateurs d’effectuer leur travail adéquatement.

Quand plein de monde souffre à cause d’une seule personne qui ne collabore pas, ça peut être une raison pour demander la résiliation d’un bail.

Sergey Gerasin, avocat spécialisé en immobilier

Au Centre d’abandon du tabac, affilié au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, l’infirmière clinicienne Marie-Josée Paquet a récemment reçu une femme de plus de 80 ans qui a dû cesser de fumer en déménageant dans une résidence pour aînés.

« Ç’a été très difficile pour elle. Elle avait beaucoup de symptômes de sevrage. Comme infirmière clinicienne, on peut prescrire de la gomme, des pastilles, des timbres à base de nicotine pour diminuer les symptômes », explique Mme Paquet.

Reste que la plupart des personnes consultent pour leur santé et non pas parce qu’elles craignent de perdre leur logement, dit l’infirmière clinicienne.

« La principale raison, c’est la santé. On voit des gens qui sont acculés au pied du mur, des gens qui ont reçu un diagnostic de MPOC, d’emphysème, qui ont un nodule ou une tache au poumon », explique-t-elle.

« Fumer, c’est une dépendance très forte », laisse tomber l’infirmière.