Les délais pour parrainer un conjoint vivant à l’étranger, déjà deux fois plus longs qu’ailleurs au Canada, continuent d’augmenter au Québec. La semaine dernière, La Presse rapportait qu’ils étaient de 27 mois. Ils ont depuis bondi à 33 mois, presque trois ans. Dans les autres provinces, ils sont restés à 13 mois.

« On essaie de rester optimistes, mais c’est sûr qu’on est vraiment découragés », dit Mélanie, une Montréalaise qui tente, depuis juillet 2022, de parrainer son mari marocain, entrepreneur en construction, dont le certificat de sélection du Québec (CSQ) est délivré depuis janvier. « Il n’a pas le droit de venir, même en visite. »

Ces délais pourraient encore augmenter parce que le nombre de places pour la réunification des familles est plafonné au Québec. Comme les demandes sont supérieures aux places disponibles, le nombre de familles en attente d’une décision augmente. Il a atteint 38 800 en juillet.

Lisez le dossier « Demandes de regroupement familial : les délais explosent »

« Nous sommes sensibles au stress que ces délais engendrent pour les familles », a réagi le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec (MIFI), en attribuant la responsabilité au gouvernement fédéral.

« Nous travaillons avec le fédéral pour améliorer les délais dans l’ensemble de nos programmes, une fois les certificats de sélection du Québec émis, le traitement du dossier est du ressort du fédéral, qui admet les personnes en fonction des cibles fixées par le Québec », a précisé par écrit l’attaché politique au cabinet de la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette.

Le fédéral a aussi ses propres délais. Le rapport de la vérificatrice générale du Canada a d’ailleurs soulevé plusieurs enjeux en lien avec les retards importants dans leurs différents programmes, notamment le regroupement familial.

Extrait de la réponse de l’attaché politique au cabinet de la ministre québécoise de l’Immigration

Cependant, comme le maximum d’admissions établi par Québec est pratiquement atteint cette année, le gouvernement fédéral pourrait difficilement accélérer le traitement des demandes, puisque cela l’amènerait à accepter davantage de candidats au parrainage et donc à dépasser les quotas fixés par le gouvernement Legault. L’attachée de presse du ministre fédéral Marc Miller a d’ailleurs déclaré à La Presse que le gouvernement du Canada avait les mains liées en raison de ces quotas.

L’opposition critique le gouvernement

Les porte-paroles de l’opposition en matière d’immigration estiment que le gouvernement Legault a le pouvoir d’agir pour réduire l’attente de milliers de familles.

« Les délais vont continuer à augmenter », se désole le député de Québec solidaire Guillaume Cliche-Rivard, qui a pratiqué comme avocat en droit de l’immigration pendant 10 ans avant de faire le saut en politique. « Je pense qu’on va être à 40 mois cet hiver. C’est juste un enjeu mathématique : il y a plus de gens qui font des demandes que de gens qui sont acceptés. »

Il ajoute que le ministre Marc Miller « s’expose à des risques de poursuites judiciaires pour délais excessifs » de la part de familles québécoises en attente d’un parrainage, parce que cette catégorie de l’immigration est de responsabilité fédérale.

Le porte-parole du Parti libéral en matière d’immigration, Monsef Derraji, est aussi d’avis que les délais n’iront pas en s’améliorant.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji

Je me mets dans la peau de quelqu’un qui attend son conjoint ou sa conjointe. C’est inhumain. Je n’ai jamais pensé qu’on vivrait une chose pareille au Québec, des cœurs brisés, des familles séparées. Je ne comprends pas l’entêtement de M. Legault et de la ministre de l’Immigration.

Monsef Derraji, porte-parole du Parti libéral en matière d’immigration

« Comment ça se fait qu’à l’extérieur du Québec, dans le même pays, des citoyens puissent avoir leur conjoint à côté d’eux en moins d’un an, et qu’au Québec, ça prenne trois ans ? »

Nathalie Coursin, membre du collectif Québec réunifié, se pose aussi la question. « Il faut vraiment que la population québécoise comprenne que notre catégorie d’immigration peut être leur catégorie d’immigration un jour, explique-t-elle. C’est la catégorie oubliée du plan d’immigration, mais c’est celle qui concerne tout le monde. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Coursin, membre de Québec réunifié

De son côté, le co-porte-parole péquiste en matière d’immigration, l’avocat Stéphane Handfield, estime que le gouvernement doit « être honnête et transparent avec ces personnes-là qui souhaitent dès le début parrainer un membre de la famille, leur dire que, malheureusement, ça risque d’être long et même, dans certains cas, très long ».

MHandfield invite Québec à « jouer avec les pourcentages de ses seuils », pour accélérer le traitement des demandes. La proportion des immigrants économiques représente 64 % du total en 2023. Et la catégorie du regroupement familial, 20 %.

« Le gouvernement pourrait faire en sorte de diminuer le volet économique pour augmenter, par exemple, le volet de la réunification familiale, dit-il. Ça fait des années qu’on met l’accent sur le volet économique. Peut-être qu’on est rendu à un point où on devrait accorder une plus grande importance à la réunification familiale. »

En savoir plus
  • 10 500
    Nombre de personnes que le Québec compte admettre dans la catégorie du regroupement familial, sur un total de 52 500 immigrants.
    Source : ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec