Le gouvernement indexe ses aides fiscales comme prévu : 282 $ en moyenne par contribuable l’an prochain

(Québec) Le ciel est plus sombre que prévu à Québec, au moment où les relations sont orageuses avec les 600 000 employés de l’État. Le gouvernement Legault coupe de moitié la croissance économique attendue l’an prochain et utilise déjà la majeure partie de son coussin pour les imprévus afin de garder le cap sur un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028.

Il ajoute 2 milliards par an à ses dépenses avec l’indexation des aides fiscales, qui représente en moyenne 282 $ par contribuable pour l’an prochain.

C’est sans compter les 4,3 milliards en cinq ans pour des « actions ciblées » en matière de logement, d’itinérance et de transition climatique, entre autres.

Voici en un coup d’œil les principales mesures annoncées mardi par le ministre des Finances, Eric Girard, dans sa mise à jour économique et financière :

8000 logements sociaux et abordables

Québec alloue 1,8 milliard sur cinq ans pour la construction de 8000 nouveaux logements sociaux et abordables, dont 500 logements pour les personnes en situation d’itinérance. Les sommes prévues pour 2024-2025 (210 millions) seront d’ailleurs décaissées dès cette année pour commencer le plus rapidement la construction d’unités. Le gouvernement peut mettre le pied sur l’accélérateur grâce à une entente conclue avec Ottawa, qui lui permet de toucher 900 millions en transferts fédéraux. Québec s’engage à investir le même montant. Les nouvelles unités seront construites dans le cadre du Programme d’habitation abordable du Québec.

Indexation des aides fiscales

Plutôt que d’envoyer des chèques, le gouvernement Legault mise sur une indexation de 5,08 % des aides fiscales (régime d’imposition des particuliers et prestations d’assistance sociale) pour dire qu’il donne de l’air aux Québécois qui souffrent de l’inflation. Cette indexation est automatique chaque année depuis 2002, en vertu d’une loi. Cela se traduira par le rehaussement de plusieurs déductions et crédits d’impôt au 1er janvier 2024. Par exemple, le montant maximal de l’Allocation familiale passera de 2782 $ à 2923 $ et le crédit d’impôt pour la solidarité pour une personne vivant seule augmentera de 1162 $ à 1221 $. L’indexation – qui représente 2 milliards par année – correspondra à un montant moyen de 282 $ par contribuable en 2024.

Lutte contre l’itinérance

Pour répondre à la crise de l’itinérance qui frappe plusieurs villes du Québec, le gouvernement Legault injecte des sommes additionnelles de 22 millions par année pour la construction de refuges d’urgence. À cela s’ajoutent les 4,5 millions déjà prévus dans le budget pour un total de 26,5 millions par an jusqu’en 2027-2028. Dans la foulée de la publication du dernier dénombrement en septembre, le ministre Lionel Carmant était parvenu à faire débloquer 15,5 millions d’argent frais pour démarrer des projets d’hébergement avant l’hiver. Son souhait de voir ces sommes devenir récurrentes a été exaucé. Québec bonifie aussi l’appui aux services culturellement adaptés pour les Premières Nations et la réinsertion sociale.

Aide ponctuelle pour les banques alimentaires

Le gouvernement Legault débloque une aide ponctuelle et ciblée de 20,8 millions pour cinq organismes offrant de l’aide alimentaire (réseau des Banques alimentaires du Québec, le Club des petits-déjeuners, La Tablée des Chefs, la Fondation OLO et La Cantine pour tous), un autre secteur où les demandes explosent. Or, le réseau des Banques alimentaires du Québec à lui seul demandait en octobre une aide de 18 millions. Le directeur général Martin Munger estime qu’il s’agit d’un « coup de pouce » qui leur permettra de traverser la période des Fêtes. « Il faudra reparler rapidement au gouvernement », a-t-il réagi mardi.

Formation dans des domaines spécifiques

Le gouvernement Legault décaisse de nouvelles sommes pour soutenir la formation dans le secteur de la construction et de la santé et des services sociaux, deux domaines particulièrement affectés par la pénurie de main-d’œuvre. Québec injecte 261 millions pour son « offensive en construction » qui vise à former entre 4000 et 5000 travailleurs, et 67,8 millions pour relancer la formation accélérée des préposés aux bénéficiaires, qui a connu du succès lors de la pandémie.

Soutenir la transition climatique

Québec verse aux villes des montants additionnels de 292,1 millions sur cinq ans, dont 114,9 millions dès cette année, pour les aider à s’adapter aux changements climatiques. Il s’agit en partie de l’impact financier de la « Déclaration de réciprocité » entre le gouvernement et les municipalités, la formule qui remplace le pacte fiscal. Comme La Presse le révélait, quelque 500 millions supplémentaires doivent être versés aux villes au titre de la transition climatique. La différence fera partie de mesures annoncées « ultérieurement » par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette. Pour cette année, le gouvernement décaisse également 269 millions pour aider les collectivités qui ont souffert des incendies de forêt à l’été 2023 (404,2 millions sur cinq ans). Il ajoute comme prévu 265 millions pour le transport collectif.

Eric Girard intègre au cadre financier la nouvelle offre du gouvernement aux 600 000 employés de l’État : des hausses de salaire de 10,3 % en cinq ans, des augmentations différenciées représentant 3 % pour certaines catégories de travailleurs et un montant forfaitaire de 1000 $ la première année.

Il faut s’attendre à ce que le gouvernement rappelle aux syndicats le contexte économique pour éviter d’ouvrir davantage ses goussets.

Dans sa mise à jour économique, Eric Girard précise que le déficit pour l’année qui s’est terminée le 31 mars est un milliard plus élevé que prévu (5,7 milliards après le versement au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette). Ce milliard s’ajoute à la dette du Québec qui dépasse les 200 milliards.

Le grand argentier du gouvernement maintient sa prévision de croissance économique pour 2023 – 0,6 % –, mais révise à la baisse celle pour 2024, qui passe de 1,4 % à 0,7 %.

« Une récession technique, soit un recul du PIB réel pendant au moins deux trimestres consécutifs, n’est pas envisagée à court terme », selon la mise à jour économique.

Les investissements résidentiels sont en recul de 18,4 % en 2023, alors que les investissements non résidentiels des entreprises baissent de 1,8 %. « La période actuelle d’incertitude incite les entreprises à la prudence », note-t-on.

Les recettes du gouvernement tirées de l’impôt des particuliers et des entreprises sont moins élevées qu’anticipé pour 2023-2024, d’un peu plus d’un milliard. Mais globalement, l’ensemble de ses revenus sont révisés à la hausse notamment grâce à Ottawa, selon la mise à jour économique. Les transferts fédéraux bondissent de 1,7 milliard cette année.

Les dépenses augmentent de 1,3 milliard par rapport au budget. Il faut ajouter à cela les « actions ciblées » annoncées par M. Girard qui représentent un milliard pour 2023-2024.

Résultat : le gouvernement doit utiliser dès maintenant la majeure partie de son coussin financier, sa « provision pour éventualités », afin de compenser les révisions de son cadre financier. On parle d’un milliard de dollars.

Il lui reste donc 500 millions dans son coussin pour des dépenses et des baisses de revenus inattendues.

Le déficit sera de 4 milliards en 2023-2024. Il atteindra 3 milliards l’année suivante et diminuera ainsi progressivement pour être éliminé à temps pour 2027-2028, selon les prévisions des Finances.

Réactions de l’opposition

On voit que le gouvernement n’a plus de marge de manœuvre. […] Le 7 milliards qu’avait laissé le gouvernement libéral en 2018, ça fait longtemps qu’il a été dépensé par la Coalition avenir Québec, entre autres par des mesures qui n’étaient pas structurantes.

Marc Tanguay, chef par intérim du Parti libéral du Québec, selon qui le gouvernement Legault a perdu le contrôle des finances publiques avec des dépenses « irrationnelles ». L’opposition officielle veut entendre le ministre Girard et la présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel en commission parlementaire.

Si véritablement, le ministre a budgété les prochaines années en calculant l’appauvrissement de milliers de travailleurs au Québec, c’est son erreur. Minimalement, un budget prudent implique de ne pas appauvrir les travailleurs [et] de se maintenir à l’inflation.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, en réaction à la mise à jour économique qui intègre la plus récente offre du gouvernement pour le renouvellement des conventions collectives des employés de l’État.

Il y a des feux à éteindre partout actuellement : en logement, sur le marché de l’immobilier, en itinérance, en transports en commun… Puis qu’est ce que la CAQ fait ? Ils attendent qu’il pleuve. […] Moi, je trouve qu’attendre qu’on soit proche des élections pour faire arriver de vraies mesures pour la crise du logement, c’est prendre les électeurs pour des imbéciles. C’est un manque de respect pour les Québécois, c’est insultant.

Christine Labrie, porte-parole de Québec solidaire en matière d’administration gouvernementale et pour le Conseil du trésor

Avec Hugo Pilon-Larose