Le pionnier de la cueillette d’algues sauvages au Québec a cessé ses récoltes en Gaspésie, car il vit dans la peur d’être poursuivi par Pêches et Océans Canada. Il demande l’intervention de la nouvelle ministre Diane Lebouthillier afin que le ministère qu’elle dirige cesse d’appliquer une réglementation « intransigeante » et « sans fondement scientifique » qui menace la survie de son entreprise.

Ce qu’il faut savoir

Une entreprise qui récolte des algues se retrouvant dans les assiettes des plus grandes tables du Québec s’estime « asphyxiée » par la réglementation de Pêches et Océans Canada.

L’arrachage accidentel d’algues lors de la cueillette est interdit, mais impossible à éviter en pratique, estime un pionnier de la filière.

Le bureau de la nouvelle ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, Diane Lebouthillier, réitère que la récolte manuelle d’algues au moyen d’un outil coupant est la seule méthode autorisée au Québec.

« Chaque récolte pourrait nous envoyer en cour », déplore Antoine Nicolas, de l’entreprise gaspésienne Un Océan de saveurs, dont les algues comestibles sont vendues dans près de 500 points de vente et 150 restaurants, dont les plus grandes tables du Québec.

Au cœur de son différend avec le Ministère : l’arrachage accidentel d’algues lors de la récolte en apnée. La récolte d’algues se fait au couteau et les crampons de la plante doivent demeurer attachés au fond. Une marge d’erreur de 0 % est tout simplement impossible à atteindre, dit-il.

« La cible sera toujours zéro, mais la réalité ne peut pas être zéro », explique le PDG de l’entreprise fondée en 2011.

En septembre 2021, il raconte que l’une de ses plongeuses – biologiste de formation – a reçu la visite d’agents des pêches sur la plage. Ils ont constaté qu’une partie des algues récoltées avaient été arrachées.

[Une plongeuse] avait récolté 44 kilos d’algues et sur 4,2 kilos, il y avait encore les crampons. On est sur des quantités particulièrement dérisoires pour la pêche commerciale.

Antoine Nicolas, PDG et fondateur de l’entreprise Un Océan de saveurs, au sujet d'un cas survenu en 2021

Antoine Nicolas et son employée ont tous deux reçu un chef d’accusation pénal en vertu de la Loi sur les pêches en lien avec l’interdiction d’arrachage. Les accusations ont finalement été retirées en mai 2023, mais l’interdiction stricte demeure la même.

Cette épée de Damoclès l’a amené, au printemps, à transférer entièrement ses activités de cueillette au Nouveau-Brunswick où, dit-il, la réglementation est appliquée différemment et l’arrachage est permis.

Pêches et Océans Canada n’a pas répondu à nos questions transmises par courriel mercredi.

Intervention de la ministre demandée

Antoine Nicolas demande un changement de réglementation qui autoriserait l’arrachage des algues vertes et des algues rouges.

Dans la pêche au flétan, ils ont le droit de pêcher 30 % de morue, qui est une espèce en péril, en prise accidentelle. Et nous, l’algue de la même espèce, mais dont le crampon se serait arraché malencontreusement, on n’a pas le droit de la ramasser.

Antoine Nicolas, PDG et fondateur de l’entreprise Un Océan de saveurs

Il ajoute par ailleurs que certaines espèces d’algues se décrochent naturellement avec les vagues et le mouvement des glaces.

« Il y a trois familles d’algues : les vertes, les brunes et les rouges. Les vertes et les rouges ont tendance à être annuelles et vont s’arracher toutes seules à l’automne. Naturellement, elles ont terminé leur cycle de vie, donc elles s’en vont avec les tempêtes. […] On ne peut pas être plus catholique que la nature. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Antoine Nicolas en juillet 2018

Le plongeur demande maintenant l’aide de la ministre Lebouthillier, qui est aussi la députée de sa circonscription.

« La confusion qui règne autour de l’application de la réglementation par le ministère fédéral des Pêches et Océans et les décisions arbitraires de ses fonctionnaires régionaux ont mis mon entreprise en péril. Les orientations que maintiennent les fonctionnaires régionaux du MPO déstabilisent les conditions d’affaires du secteur, menacent de freiner son développement et sa contribution à l’essor de l’autonomie alimentaire du Québec », écrit M. Nicolas dans une lettre adressée à la ministre Lebouthillier.

Réponse du cabinet de la ministre

Appelé à régir, le cabinet de la ministre Lebouthillier a indiqué qu’il ne commentait pas les cas spécifiques. Dans une déclaration écrite qu’il nous a fait parvenir, il indique que les forêts d’algues sont essentielles pour de nombreuses espèces marines du Saint-Laurent, « leur offrant un lieu pour vivre, se réfugier, se nourrir et se reproduire ».

Impossible de savoir si et pourquoi les règles diffèrent d’une province à l’autre.

« L’octroi de permis pour la récolte d’algues par Pêches et Océans Canada (MPO) constitue un privilège assorti de responsabilités importantes », a indiqué son bureau dans cette déclaration. « Afin de garantir la protection à long terme de cette précieuse ressource, la récolte manuelle d’algues au moyen d’un outil coupant est la seule méthode autorisée au Québec. L’arrachage d’algues, même accidentel, nuit considérablement à leur repousse, impact amplifié par la glace et les prédateurs, tels que les oursins, dans le Saint-Laurent. »