Le Liban se dirige-t-il vers une guerre avec Israël ? Cette question terrifie les membres de la communauté libanaise du Québec interrogés par La Presse, qui redoutent une escalade régionale de la guerre entre Israël et le Hamas.

« Tout le monde a peur, tout le monde est inquiet », confie Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal, jointe au téléphone au Liban, où elle s’est rendue le week-end dernier pour visiter sa famille.

Tout le monde dans la région, que ce soit au Liban, en Jordanie, tout le monde dans la région s’inquiète. Parce que l’éventuel élargissement de la zone de conflit, si ça arrive, on ne sait pas où ça s’arrêtera.

Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal

Mme Zahar ne sera sans doute pas là pour le subir puisqu’elle prévoit rentrer au Québec dans quelques jours.

« C’est un déchirement parce que j’ai de la famille ici, se désole-t-elle. Je suis certaine que toutes les personnes qui sont dans ma situation vivent un peu le même déchirement. Si jamais le conflit venait à s’étendre, je serais mortellement inquiète pour les miens. »

Elle ajoute que, malheureusement, peu de Libanais ont le loisir de quitter le pays.

« Les gens qui sont au Liban vivent une crise économique monstrueuse depuis cinq ans », explique la professeure, qui mène des recherches sur la violence politique depuis plus de dix ans.

« Leur monnaie n’a plus de valeur, leurs avoirs ont disparu dans les banques, la plupart des gens qui sont ici sont prisonniers du pays. Ils n’ont pas le loisir de partir. Puis, la réalité aussi, c’est que nous sommes dans une région où l’émission de visas est compliquée. »

« Je suis énormément stressée »

Ruby Dagher, professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa, vient aussi du Liban, où vivent son père et plusieurs autres membres de sa famille.

PHOTO FOURNIE PAR RUBY DAGHER

Ruby Dagher, professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa

« En tant qu’humaine, je ne peux pas comprendre ce qui arrive, surtout le nombre de personnes tuées, l’agressivité et le fait qu’il y a très peu de gens qui disent : arrêtez, arrêtez, arrêtez, dit-elle. Je ne peux pas comprendre le niveau de vengeance qui existe actuellement. Je suis énormément stressée. Je passe mon temps à parler avec mon père. »

Selon Mme Dagher, les gens, au Liban, s’attendent « à quelque chose de vraiment grave ».

« Ça peut exploser à tout moment », croit-elle.

« Si le Liban entre en guerre contre Israël, ça va être pire que lors du conflit de 2006 parce que l’armée libanaise ne peut rien faire, note la professeure. Elle n’a pas les outils pour faire la guerre. Ça va être le Hezbollah [un allié du Hamas]. Donc, Israël va répondre avec un niveau de frappe qui est énorme. Plus que ce qu’on a vu en 2006. »

Elle ajoute que « c’est impossible de voir autant de souffrance sans rien faire ».

« Je ne suis pas antisémite. Je pense que les gens qui ont fait ça ont tort des deux côtés. Je regarde ça avec un point de vue humain. »

« Ce n’est pas notre guerre »

De son côté, Roland Dick, homme d’affaires et président de l’Union libanaise culturelle mondiale, au Québec, estime que cette guerre n’est pas celle du Liban. L’organisme qu’il dirige est situé à Laval, une ville qui compte près de 20 000 habitants d’origine libanaise.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Roland Dick, originaire du Liban, dirige l’Union libanaise culturelle mondiale, au Québec.

« Tout le monde est inquiet, assure M. Dick. Tout le monde a peur parce qu’on a payé trop cher en 2006. On aimerait bien que le gouvernement libanais mette son pied à terre et qu’il fasse cesser tous les bombardements vers Israël. »

« C’est entre le Hamas et Israël, enchaîne-t-il. Ce n’est pas notre guerre. On n’a rien à faire là-dedans. On est passé à travers ça en 2006. Ça serait bien de rester loin de tout ça cette fois-ci. On n’a pas besoin de ça au Liban. »

Naji Elzein, du restaurant libanais Garage Beirut, dans le centre-ville de Montréal, vient aussi du Liban, pays qu’il a fui après le conflit israélo-libanais de 2006 pour venir au Québec.

« C’est sûr que nous sommes inquiets, avoue-t-il. Nos familles sont là-bas, et la guerre pourrait éclater à tout moment entre le Hezbollah et Israël. Toute ma famille est là-bas. Il n’y a que moi ici. Ma mère, mes frères, mes sœurs, tout le monde est là-bas. Je suis venu ici après la guerre de 2006 avec Israël. Maintenant, l’histoire se répète. On espère que non, mais… »

En savoir plus
  • 78 140
    Nombre de personnes originaires du Liban au Québec. Plus de la moitié sont dans la région de Montréal.
    Statistique Canada
    34 %
    Proportion de la population libano-canadienne établie au Québec.
    Statistique Canada