(Québec) Si les consortiums qui voudraient construire le tramway se montrent trop gourmands, alors la Ville de Québec pourrait choisir de se passer d’eux et de devenir maître d’œuvre du plus important chantier de son histoire, prévient Bruno Marchand.

Le maire de Québec a évoqué pour la première fois ce scénario mardi en conférence de presse. « Ça fait partie des alternatives qu’on évalue présentement », a dit M. Marchand.

« Si on allait là, notre travail est de dire : est-ce qu’on est capable de le faire avec autant d’acuité, de rigueur et de respect des échéanciers ? C’est ça qu’on est en train de regarder, avec d’autres alternatives », a ajouté le maire.

Lundi, Bruno Marchand avait annoncé accorder un délai supplémentaire de quatre semaines à ces consortiums pour qu’ils fournissent leurs propositions financières, soit jusqu’au 2 novembre.

Ce délai supplémentaire doit leur servir à peaufiner leurs propositions financières, idéalement en réduisant les coûts. Des rumeurs circulent dans la capitale sur une possible explosion du prix. Le maire admet lui-même que la facture jusqu’ici évaluée à 4 milliards sera beaucoup plus salée.

Mais si, en novembre, le prix final des consortiums n’est pas acceptable aux yeux de la Ville et de ses bailleurs de fonds – Québec et Ottawa –, alors un plan B est à l’étude.

On est en train de travailler sur des solutions. C’est le message que j’envoie aux consortiums : nous ne sommes pas prisonniers de leurs propositions.

Bruno Marchand, maire de Québec

M. Marchand a précisé que de travailler avec un consortium reste toutefois « le premier choix ».

« C’est difficile de négocier si la seule alternative, c’est de ne pas faire [le projet] », a-t-il ajouté.

« Ce ne sont pas les cols bleus qui construisent ! »

Si la Ville devient maître d’œuvre du tramway, elle pourrait embaucher un gestionnaire de projet et le scinder en lots réalisés par différentes firmes, indique en entrevue Florence Junca-Adenot, professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Ce ne sont pas les cols bleus et les fonctionnaires de la Ville qui construisent ! », dit l’experte.

Selon elle, il est assez commun que des sociétés de transport procèdent ainsi. Par contre, l’avantage de travailler avec un consortium est que ce dernier assume le risque. Cette sécurité a toutefois un prix.

La Ville aura toujours besoin de contingence, mais en général, ce sera moins élevé que le consortium qui prend tout sur ses épaules.

Florence Junca-Adenot, professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal

Rappelons que l’administration précédente envisageait de faire affaire avec un seul consortium pour tout le projet. Mais Régis Labeaume avait finalement décidé de scinder le projet en deux.

La Ville s’est entendue en février avec Alstom pour l’achat de 34 rames au coût de 569 millions. La Ville pensait au départ débourser 400 millions.

Québec cherche maintenant à s’entendre avec un consortium pour la portion la plus coûteuse du projet de 19 kilomètres, soit les infrastructures, dont le tunnel de 1,8 kilomètre qui doit relier la Haute-Ville à la Basse-Ville.

« Il a perdu le contrôle »

Les élus de l’opposition ont accueilli froidement l’idée que la municipalité devienne maître d’œuvre du projet.

« On sent [que le maire] a perdu le contrôle dans le projet, peut-être une preuve de son inexpérience, preuve que c’était une trop grosse bouchée », a dit Alicia Despins, cheffe par intérim de Québec d’abord, l’opposition officielle.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

La cheffe par intérim de Québec d’abord, Alicia Despins

« C’est un changement de cap très important » qui, selon elle, entraînera des délais supplémentaires.

Ça demande de l’expertise supplémentaire parce qu’on n’a pas construit de tramway dans l’histoire récente à Québec. Ça ajoute aussi une part de risque.

Alicia Despins, cheffe par intérim de Québec d’abord

Mme Despins se demande si la sortie du maire ne représente pas « du bluff », une tactique risquée de négociation avec les consortiums, « un peu comme s’il jouait au poker ».

La deuxième opposition, qui, elle, s’oppose au projet de tramway, évoque un projet maintenant rendu à 8 milliards. « J’ai des sources, malheureusement, je ne peux les dévoiler », lâche Patrick Paquet, chef par intérim d’Équipe Priorité Québec. « Jamais Régis ne serait monté en haut de 5 milliards ! »

Bruno Marchand se défend d’avoir « perdu le contrôle ». Selon lui, le contexte inflationniste actuel explique que les coûts du projet augmentent. Si Québec abandonne ce projet nécessaire pour la mobilité, prévient-il, alors d’autres villes vont ramasser la cagnotte.

« On ne peut pas être les seuls au Québec à se dire : nous, on retourne l’argent dans la caisse et Montréal ou d’autres villes au Québec reprennent cet argent pour leurs projets qui vont coûter aussi plus cher », a illustré le maire de Québec.

« Le REM de l’Est va coûter plus cher que les premières analyses. Le pont de l’Île-aux-Tourtes coûte plus cher, dit M. Marchand. Les hôpitaux coûtent plus cher et oui, le tramway va coûter plus cher. »