Devenir pompière volontaire, c’était le rêve d’enfance de Doris Nolet. Sa candidature a été refusée une première fois dans les années 1980. « Les gars n’étaient pas prêts. » Mais elle y est arrivée. Doris dirige aujourd’hui une brigade de 23 pompiers volontaires – tous des hommes –, à Normétal. Ensemble, ils ont travaillé avec acharnement cet été pour sauver leur village d’Abitibi des flammes. Rencontre avec une pionnière qui n’a pas froid aux yeux.

(Normétal) L’appel de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) ne peut pas survenir à un pire moment.

Nous sommes le 6 juin à Normétal, un village de quelque 800 fiers Abitibiens situé tout juste au sud de la Baie-James, à quelque 735 km au nord de Montréal.

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À 66 ans, Doris Nolet est à la tête d’une brigade de 23 pompiers volontaires.

À la tête d’une brigade de 23 pompiers volontaires, Doris Nolet vient de raccrocher avec « ses gars » qui « arrosent » depuis la matinée le rang 8 de Saint-Lambert – le village voisin.

Cela fait quelques jours qu’un incendie de forêt – le « 281 » – causé par un éclair fait rage aux portes de Normétal. Les résidants ont déjà été évacués. Il ne reste plus qu’une poignée de travailleurs essentiels, dont les sapeurs.

Mauvaise nouvelle : leur camion-citerne s’est enlisé dans le chemin de gravier.

Le conducteur n’arrive pas à se sortir du pétrin alors que le feu progresse dangereusement en leur direction.

La cheffe du service des incendies de Normétal a à peine le temps d’encaisser l’information : son téléphone sonne à nouveau. C’est la SOPFEU qui lui ordonne d’« évacuer immédiatement » les pompiers volontaires du rang 8.

La force des vents fait faire des « sauts » de 500 m au brasier. Leur sécurité sera bientôt compromise.

« Je ne feelais pas bien », raconte la femme de 66 ans.

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Alain St-Georges, son mari, partage sa passion. Le chauffeur du camion de pompiers est aujourd’hui dirigé par sa femme.

Le chauffeur du camion-citerne n’est nul autre que son mari, Alain St-Georges. La passion de combattre les flammes, c’est une affaire de famille à Normétal. Leur fils est d’ailleurs le directeur adjoint du service des incendies.

Depuis le début de l’état d’urgence décrété le 3 juin, la cheffe pompière dirige les opérations de la caserne alors que ses hommes sont sur le terrain en appui aux pompiers de la SOPFEU, les maîtres d’œuvre de l’opération.

« Je t’envoie un véhicule avec des chaînes pour te sortir de là, dit-elle à son conjoint. Au pire, abandonne le camion-citerne. »

Des avions-citernes leur passent au-dessus de la tête.

Les « gars » vont parvenir in extremis à évacuer par un autre rang… avec le camion-citerne. « Il était temps qu’ils arrivent », se souvient la cheffe pompière.

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Alain St-Georges, pompier volontaire et mari de Doris Nolet

Plus d’un mois plus tard, le couple parvient à en rire. « C’est juste une rumeur, lâche le sympathique barbu. Le gars avec qui j’étais n’a pas pris de photo. Il n’a pas eu le temps ! »

La cheffe pompière de 5 pieds « et 1 pouce », précise-t-elle, reprend son sérieux. « On est chanceux d’avoir encore un village », indique cette native de Normétal en nous faisant faire une tournée des lieux par une soirée chaude de la mi-juillet.

À certains moments durant les deux semaines de juin où les pompiers ont travaillé sans relâche, le feu était à 500 m de la municipalité, et ce, à plusieurs endroits simultanément. Une quarantaine de pompiers du Nouveau-Brunswick sont venus prêter main-forte aux sapeurs déjà sur place.

Des tranchées de 40 m de large ont été creusées en urgence autour de Normétal pour servir de coupe-feu.

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La cheffe pompière Doris Nolet

Avec les changements climatiques, on savait qu’on devrait le faire pour protéger les villages – on en parlait pas plus tard qu’en mai dernier dans un congrès de chefs pompiers. Mais je ne pensais jamais qu’on devrait le faire aussi vite.

Doris Nolet, cheffe du service des incendies de Normétal

Dans les années 1960, ils étaient plus de 2500 à vivre ici. La population est en baisse depuis la fermeture de la mine de cuivre de la Normetal Mining Limited en 1975 – année où 1000 personnes ont déménagé en l’espace de quelques mois, selon le site web de la municipalité.

Aujourd’hui, chaque maison, chaque famille est importante pour la survie de Normétal. Les pompiers le savent trop bien.

Une pionnière

Enfant, Doris Nolet vivait tout près de la caserne. Son voisin était pompier volontaire. Adolescente, elle gardait sa progéniture lorsque le devoir l’appelait. « Quand il revenait, je voulais qu’il me conte tout, se souvient-elle. Il me disait : les yeux te brillent quand je te conte ça. »

À 29 ans, mère de trois enfants, elle pose sa candidature. Un vote secret est tenu à la caserne parmi les pompiers en poste. Elle perd par deux voix. Nous sommes en 1986.

« Les gars n’étaient pas prêts. C’était trop vite pour les mentalités de l’époque », explique-t-elle aujourd’hui sans amertume.

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La passion pour le métier de pompier, Doris la cultive depuis l’adolescence.

En ville, il y en avait peut-être, des femmes pompières, mais dans les petites places, ce n’était pas encore accepté.

Doris Nolet

À l’époque, son rejet est justifié par le fait qu’elle ne serait « pas assez disponible ». Elle leur avait pourtant assuré que son aînée était en mesure de garder les plus jeunes si elle devait partir combattre un brasier.

En 2004, on lui donne accès aux archives pour qu’elle réalise un document souvenir pour les 50 ans de la caserne. C’est là qu’elle apprend que le résultat avait été serré. « J’ai même vu qui avait voté contre », dit-elle avant d’éclater de rire.

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Lutter contre le feu occupe une place centrale dans la famille. Le fils du couple est d’ailleurs directeur adjoint du service des incendies.

Doris est alors surveillante à la polyvalente de La Sarre, ville située à une trentaine de kilomètres au sud de Normétal. « J’avais mis une croix sur mon rêve », admet-elle. Entre-temps, son mari est devenu pompier volontaire. Il avait d’abord refusé, précise-t-elle, pour « ne pas [lui] faire de peine ».

Cette même année, le directeur du service des incendies de l’époque lui offre enfin sa chance. Elle doit réussir un examen. Sa bête noire : connecter de gros tuyaux au camion-citerne et aux bornes d’incendie. Elle en fait des cauchemars. « Des tuyaux de deux pouces et demi, c’est pesant, raconte-t-elle. Je passais mes journées à pratiquer. »

Vous devinez la suite : elle relève le défi haut la main et rejoint la brigade.

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Devenue pompière en 2004, Doris Nolet portera le casque de cheffe 14 ans plus tard.

En 2018, Doris Nolet est promue cheffe et devient ainsi la première femme à la tête d’un service d’incendies en Abitibi-Témiscamingue.

À peine nommée, elle affronte son « plus gros feu » en carrière. Par une soirée de grands vents, des jeunes ont la mauvaise idée d’allumer un feu dans une cuve à lessive à l’entrée du village – et surtout de le laisser sans surveillance quelques instants.

Cinq bâtiments, dont un garage et un immeuble résidentiel, sont rasés par les flammes et quatorze autres sont endommagés. Des fils électriques tombent. Le village manque d’eau. « On a passé tous les extincteurs qu’on avait, raconte-t-elle. C’était vraiment l’enfer. » Par chance, personne n’est blessé.

Une cheffe humaine

La cheffe des pompiers est respectée. « C’est une leader. Elle a commencé au bas de l’échelle, puis elle a travaillé fort pour se rendre là », raconte Antoine Baillargeon, l’ancien chef qui lui a donné sa chance il y a 19 ans.

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« Aider la population », c’est la principale motivation de Doris Nolet.

En principe, Doris passe le flambeau cette année. Elle aurait cependant aimé recruter une femme avant de partir. « Il y a de la place pour les femmes. On ne voit pas les feux de la même façon. »

« On t’envoie tout le temps pour accompagner les évacués, lui ont souligné ses confrères masculins. Tu es bonne là-dedans. Nous autres, on a de la misère à faire ça. »

Ce n’est pas le salaire qui attirera les candidates. Sur appel, elle gagne 125 $ par mois. « Tu peux l’écrire », dit la femme rieuse en s’esclaffant à nouveau.

« Je ne le fais pas pour la paie. Je le fais pour aider la population », ajoute Doris Nolet plus sérieusement. Aussi première répondante, elle a été appelée d’urgence chez un homme « tombé dans sa cour » il y a quelques années.

« On a pris le défibrillateur. On l’a shocké une première fois, ça n’a pas marché. Une deuxième fois, ça n’a pas marché encore. Une troisième fois, on a eu un pouls – très faible – mais on en a eu un. »

L’ambulance, qui arrive de La Sarre, prend minimalement 25 minutes pour se rendre à Normétal. La cheffe pompière a accompagné l’homme inconscient dans le véhicule d’urgence. Ce dernier a été stabilisé puis transféré dans un hôpital montréalais.

« Aujourd’hui, on fait des marches ensemble le soir. C’est ça, mon salaire ! »

Ses deux petites-filles, âgées de 10 et 16 ans, sont venues espionner leur grand-mère en entrevue le jour de notre visite. « J’espère qu’elles vont prendre la relève », lance la sexagénaire – avec le style direct qui la caractérise.

« Si je reste dans le coin, peut-être » répond l’aînée, Anabel, visiblement gênée de la soudaine attention sur elle. Puis l’adolescente ajoute que peu importe, elle est « très fière » de sa mamie. Ici, on ne sent pas l’ombre d’une hésitation. La plus jeune ne dit pas un mot, mais ses yeux brillent aussi d’admiration.

Doris Nolet en 5 dates

1957 : née à Normétal

1986 : refusée chez les pompiers

2004 : intégrée dans la brigade

2018 : nommée cheffe