Des confins de la forêt boréale aux abords bruyants de l’autoroute 20 : une trentaine de résidants de Radisson attendent depuis vendredi dernier dans un hôtel à proximité de l’aéroport Montréal-Trudeau de savoir quand ils pourront réintégrer leur demeure menacée par la fumée et les flammes à plus de 1300 kilomètres au nord.

L’histoire jusqu’ici 

10 juillet : les autorités procèdent à la fermeture de la route Billy-Diamond entre Matagami et le kilomètre 544 (intersection avec la route Transtaïga) en raison d’un important panache de fumée qui rend la visibilité nulle par endroit.

13 juillet : la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) qualifie de « préoccupante » la situation en zone nordique tandis que 88 incendies sont répertoriés dans le Grand Nord québécois.

14 juillet : les habitants de la municipalité de Radisson reçoivent un avis d’évacuation obligatoire vers Montréal, par avion. À Chisasibi et dans d’autres communautés cries de la région, l’évacuation des personnes vulnérables en raison de la fumée des incendies est enclenchée.

« On est au bout de la route. Si on manque notre coup, on est piégé », résume le président par intérim de Radisson, Aurèle Gravel, attablé dans un hôtel non loin de l’aéroport Montréal-Trudeau, lundi.

C’est ainsi que l’élu de cette municipalité membre du Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James (d’où son titre de président, et non de maire) explique sa décision de déclencher une évacuation vendredi dernier, alors que la petite ville était étouffée par la fumée du plus important incendie de forêt de l’histoire du Québec.

Ainsi, 111 résidants de Radisson parmi les 140 environ que compte la municipalité ont été évacués à bord de deux 737 de la compagnie Air Inuit jusqu’à Montréal, la destination retenue puisqu’on y trouvait assez de chambres et de voitures de location pour tous.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

L’incendie 218, vendredi dernier

Depuis, la majorité d’entre eux sont allés rejoindre des membres de leur famille restés dans le Sud. Mais une trentaine sont toujours à l’hôtel, où ils tuent le temps en fumant des cigarettes sur des bancs donnant sur le chemin de la Côte-de-Liesse.

Une ambiance « apocalyptique »

« On aurait vraiment voulu rester », commente Daniel Gauthier, un employé du Motel Baie-James rencontré sur place. Il admet du bout des lèvres que l’ambiance à Radisson était devenue « apocalyptique » dans les derniers jours.

« Vendredi dernier, j’avais hâte qu’il soit midi pour qu’on termine notre shift », ajoute, à ses côtés, son collègue mécanicien Sylvin Légaré.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Daniel Gauthier (à droite), Sylvin Légaré et la chienne de ce dernier, Maïa

L’hôtel où ils ont atterri à Montréal dispose d’une piscine, mais malheureusement, personne dans la bande ne peut vraiment en profiter. C’est qu’ils n’ont pas pensé – ni eu le temps nécessaire – à ramasser leurs maillots de bain. « On s’est fait dire d’amener le strict minimum », lâche la copropriétaire du Motel Baie-James, Janine Vigneault.

Depuis mardi dernier, Radisson était complètement isolé du reste du Québec alors qu’un incendie de forêt traversait la route Billy-Diamond (aussi connue sous le nom de route de la Baie-James). Les conditions de fumée ne faisaient qu’empirer.

Lorsque l’incendie s’est approché à environ 40 km de l’aéroport de Radisson, la décision a été prise vendredi aux alentours de 11 h de lever le camp. Deux convois ont amené les résidants vers l’aéroport quelques heures plus tard, en fin d’après-midi, de même que quelques touristes arrivés dans les jours ayant précédé la fermeture de la route Billy-Diamond.

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL GAUTHIER

Une photo prise vendredi dernier à Radisson, derrière le Motel Baie-James, quelques heures avant l’évacuation des résidants, montre l’ambiance qui régnait en ville.

Une trentaine de personnes sont restées, tous des travailleurs jugés essentiels pour le maintien des infrastructures, y compris des barrages La Grande-1 et 2, dont les travailleurs résident pour la plupart à Radisson.

« La principale raison, c’est qu’il y avait beaucoup de fumée », explique le président par intérim Aurèle Gravel. « Il y a de la cendre qui s’est mise à rentrer sur Radisson et lorsqu’il y a de la cendre, on peut commencer à penser que ça peut être dangereux. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Aurèle Gravel, président par intérim de Radisson

Résidant du Nord-du-Québec depuis près de 50 ans, Aurèle Gravel ne se souvient que de deux autres fois où Radisson avait été évacué, dont la dernière en 1989.

Quand espère-t-il que les résidants pourront réintégrer Radisson ? « On ne peut savoir. Ça dépend toujours de la situation de l’incendie », tempère Aurèle Gravel, en affirmant que la décision sera prise lorsque les autorités seront sûres que la situation est « sécuritaire » à Radisson.

L’hôtel a toutefois été réservé pour les évacués jusqu’à vendredi prochain, signe que les Radissonniens pourraient encore devoir attendre.

Un petit coup de main

Les conditions météorologiques qu’Environnement Canada prévoyait lundi pour le début de la semaine dans la région du Nord-du-Québec ne devaient donner qu’un petit coup de main aux équipes qui luttent contre d’importants incendies de forêt, notamment dans des secteurs en périphérie de la Baie-James.

PHOTO PLANET LABS PBC

Image satellite des incendies de forêt au sud-est de Radisson, le 13 juin dernier

Par ailleurs, le gouvernement du Québec a annoncé lundi matin la levée totale et immédiate de l’interdiction de faire des feux à ciel ouvert en forêt ou à proximité, signe que la situation des incendies continue de s’améliorer dans le sud de la province. Cette mesure était en vigueur depuis la fin du mois de mai dernier.

De passage à Normétal, en Abitibi-Témiscamingue, lundi, le premier ministre du Québec, François Legault, a notamment évoqué l’idée que des tranchées soient maintenant creusées de manière préventive autour des villages afin d’éviter que d’éventuels incendies ne se rendent jusqu’aux maisons.

Il n’a pas non plus exclu d’investir davantage pour l’achat d’avions-citernes et l’embauche de pompiers forestiers.

Avec La Presse Canadienne