Presque aussi vaste que la Montérégie, le plus grand incendie de l’histoire du Québec – plus de 1 million d’hectares – ravage la forêt boréale à l’est de la baie James.

Pendant que tous les yeux étaient tournés vers les orages et les inondations dands le sud de la province, le plus grand brasier de l’histoire du Québec brûlait cette semaine au nord du 49parallèle.

Avec ses 1 041 760 hectares – à peine plus petit que le Liban –, cet incendie est trois fois plus grand que celui qui avait fait les manchettes en 2013.

PHOTO FOURNIE PAR SYLVAIN PAQUIN

« Je n’ai jamais vu autant de sécheresse. En 2013, oui, il faisait chaud, c’était sec, mais jamais comme ça », affirme l’entrepreneur touristique Sylvain Paquin.

Il s’agit du plus vaste incendie jamais recensé par la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), a confirmé à La Presse la porte-parole Mélanie Morin.

Dans les statistiques auxquelles j’ai accès, qui remontent à 1984, je ne retrouve aucun incendie de plus de 1 million d’hectares en zone nordique.

Mélanie Morin, porte-parole de la SOPFEU

« Ampleur sans pareille », « feu historique », « le plus gros incendie jamais vu » : les superlatifs ne manquaient pourtant pas en 2013 pour décrire le brasier de 350 000 hectares qui brûlait alors à quelques kilomètres de la collectivité crie d’Eastmain.

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Dix ans plus tard, l’ampleur de ce nouvel incendie – le 218 – est passée presque inaperçue. À noter que c’est dans cet incendie qu’ont été blessés deux combattants auxiliaires de la SOPFEU lundi dernier, une première en 30 ans, comme le rapportait La Presse samedi.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

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« Je n’ai jamais vu ça »

Une sécheresse accablante dans le nord de la province et des chaleurs hors du commun se sont combinées pour une saison propice aux incendies de forêt.

La région à l’est de la baie James reçoit en moyenne 80 mm de pluie en 30 jours à cette période-ci de l’année, soit du 15 juin au 15 juillet.

Cet été, à peine 20 mm de pluie, voire 10 mm par endroits, ont été enregistrés, souligne Félix Biron, météorologue pour Environnement Canada. « C’est très sec et ça aide à expliquer l’ampleur historique de ces incendies de forêt », affirme-t-il.

Une sécheresse constatée sur le terrain par l’entrepreneur touristique Sylvain Paquin, qui y vit depuis 25 ans. « Ça fait depuis le début du mois de juin que j’avertis le monde que c’est sec », raconte-t-il au bout du fil.

Les pousses d’épilobes sèchent debout, le gazon est jaune depuis le début juin, la mousse de caribou est en train de craquer, les feuilles de thé du Labrador sont sèches, les mélèzes aux alentours du camp mangent la claque, les feuillus perdent leurs feuilles… et on est juste au début de l’été. C’est anormal !

Sylvain Paquin, entrepreneur touristique

PHOTO FOURNIE PAR SYLVAIN PAQUIN

« La mousse de caribou est en train de craquer », observe Sylvain Paquin, qui a pris cette photo le 30 juin dernier.

Un épisode bien pire qu’il y a 10 ans, selon M. Paquin. « Je n’ai jamais vu autant de sécheresse. En 2013, oui, il faisait chaud, c’était sec, mais jamais comme ça. »

Radisson évacué, les collectivités cries en état d’alerte

De nombreux autres incendies menacent les infrastructures et les collectivités qui vivent le long de la baie James. Vendredi, les quelque 200 habitants de la municipalité de Radisson ont reçu un avis d’évacuation obligatoire vers Montréal, par avion.

« On avait trois heures pour ramasser un sac à dos avec nos effets personnels. On a tout laissé là », raconte Robert Gagnon. Sa conjointe, une paramédicale, est restée sur place avec le reste des travailleurs essentiels.

Il était devenu impossible dans les derniers jours d’ignorer la progression du brasier, affirme-t-il. Assombri par la fumée, le ciel virait à l’orangé, puis au noir.

Réfugié chez sa fille, M. Gagnon s’accroche à l’espoir de retourner chez lui – « le plus bel endroit où vivre au monde ». « On espère que le feu contourne Radisson ou s’arrête avant », laisse-t-il tomber.

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT GAGNON

Photo de l’évacuation, prise par un résidant de Radisson

« Notre gang m’étonne. Tout le monde est très résilient », souligne Judy Boissonneault, conseillère de la Localité de Radisson. Au total, trois avions ont été nécessaires pour évacuer environ 140 personnes – et leurs animaux de compagnie – à Montréal. Aucune date de réintégration n’est prévue à court terme.

« On n’est pas là du tout. Pour l’instant, on veut que nos gens soient bien en attendant de pouvoir retourner à la maison », soutient-elle.

À Chisasibi, la collectivité la plus peuplée du Nord-du-Québec après Chibougamau, l’évacuation des personnes vulnérables en raison de la fumée des incendies a débuté vendredi. D’autres collectivités cries sont aussi allées de l’avant. Un centre d’hébergement a été ouvert à Matagami pour aider les citoyens.

La route Billy-Diamond, la seule qui mène à ces collectivités, a été traversée par les incendies et est fermée par endroits.

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« Moi, je n’évacue pas tout de suite, mais je suis prêt, mes boîtes sont faites, confie M. Paquin. Si tous les intervenants de première ligne partent, c’est sûr que je vais partir, moi aussi. »

La SOPFEU ne combat pas les incendies situés en zone nordique, à moins qu’ils ne menacent des infrastructures stratégiques. Samedi, les vents poussaient les incendies vers le nord-nord-est, a indiqué Mme Morin. Une direction qui les éloigne, de façon générale, des collectivités.

Les priorités de la SOPFEU sont de protéger Radisson, notamment son aéroport, et les collectivités de Wemindji, Waskaganish et Eastmain, dont les routes d’accès sont menacées par les incendies. La SOPFEU tente aussi de protéger le relais 381, situé sur la route Billy-Diamond, essentiel pour l’approvisionnement en essence dans ce vaste territoire.

Mince espoir : de la pluie était attendue samedi soir et pour les prochains jours. Les quantités de pluie sont toutefois incertaines, a indiqué M. Biron, d’Environnement Canada. Et des orages, donc de la foudre, pourraient aussi allumer de nouveaux incendies.

Avec La Presse Canadienne