On connaissait la ville de Québec. On connaissait la province de Québec. On connaissait Quebec Love et Québec inc. Mais on ne connaissait pas Quebec, le nom de famille. Et pourtant, des centaines de personnes le portent sur la planète ! Saint-Jean oblige, on a fait des recherches pour en savoir plus sur ce patronyme bien de chez nous. Notre quête nous a mené à l’autre bout du monde. Mais, bizarrement, pas au Québec où, sauf erreur, il n’y a pas de Quebec…

Ce drôle de voyage commence chez le beau-frère, grand amateur de jazz. En fouillant un soir dans sa collection de disques, quelle ne fut pas notre surprise de tomber sur l’album d’un certain Ike Quebec (sans accent aigu).

Ce saxophoniste afro-américain a enregistré une poignée d’albums sur étiquette Blue Note au début des années 1960. Mais dans son cas, c’est bien le nom de famille – et non la musique – qui a piqué notre curiosité. Pseudonyme ? Après une courte recherche, il s’avérera que non.

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Ike Quebec : cool saxophoniste, nom improbable…

On sait, depuis nos cours d’histoire du secondaire, que « Québec » vient du terme algonquin « kebek » signifiant « passage étroit » et qu’il a été donné à la ville du même nom parce que c’est là « où la rivière rétrécit », à savoir le fleuve Saint-Laurent.

Mais comment diable ce mot autochtone est-il devenu un patronyme ? Et s’il y a vraiment des gens qui s’appellent Québec, combien sont-ils ? Où vivent-ils ?

Au Québec ?

Aux États-Unis ?

Après moult réflexions, il nous a semblé que le sujet méritait investigation…

« Je suis la dernière… »

Commençons tout bêtement notre recherche sur le site Canada 411.

Les pages blanches excluent d’emblée les propriétaires de cellulaires. L’info sera forcément incomplète. Mais ce répertoire numérique peut quand même nous renseigner minimalement sur l’existence des Québec.

Premier constat, rassurant : il existe bien des gens au Canada répondant à ce nom. Mais ils ne sont qu’une petite dizaine et résident tous dans les provinces de l’Ouest : Alberta, Saskatchewan, Colombie-Britannique.

Au Québec ? Aucun, selon Canada 411.

Deuxième constat : les Québec sont beaucoup plus nombreux au sud de la frontière. D’après le site Whitepages.com, 77 personnes porteraient encore ce nom aux États-Unis, essentiellement en Californie et en Nouvelle-Angleterre.

Voilà peut-être le bon filon à explorer.

Au hasard, on cible une douzaine d’individus habitant au Vermont et au Massachusetts. Il y a bien un Québec, quelque part, qui saura nous éclairer sur son arbre généalogique.

On tente de joindre, un par un, les noms figurant sur notre liste. Peter Quebec, Rudolph Quebec, Katherine Quebec, Barbara Quebec… Manque de chance : la plupart des numéros ne sont plus en service. Si on se fie aux âges inscrits sur le site, on devine que les principaux intéressés ne sont eux-mêmes plus en service…

Il faut attendre notre huitième appel pour qu’Eva Quebec, de Swanton, au Vermont, décroche le combiné. Bingo ? Pas tout à fait.

La dame, âgée, n’a aucune idée de la provenance du nom – qui était d’ailleurs celui de feu son mari.

Ce qu’elle peut dire, en revanche, c’est que les Quebec ont déjà été beaucoup plus nombreux dans son patelin. « Nous étions six familles dans la rue, dit-elle. Je suis la dernière… »

Un peu dépité, on décide de contacter la société généalogique canadienne-française du Vermont, où un spécialiste pourra peut-être nous aiguiller.

Grâce aux aimables recherches de John Fisher, on apprend que la première mention d’un Quebec dans l’État remonterait à 1840, en la personne de Jos Quebec, ou « Quabec », on n’est pas certain. Pourquoi ce nom ? « Aucune idée, répond l’expert. Peut-être voulait-il se rappeler d’où il venait… »

PHOTO FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ GÉNÉALOGIQUE CANADIENNE-FRANÇAISE DU VERMONT

Recensement de 1840 au Vermont. On aperçoit le nom de Jos Quebec…

Insatisfaits, on se rabat alors sur le site FamilySearch.com et sa gigantesque banque de données généalogiques.

Cette fois, on découvre qu’une certaine « Marie-Louise Moreau Lévesque-dit-Quebec » vivait à St. Louis, au Missouri, à la fin du XVIIIsiècle. Puis qu’un Pierre Quebec a fait son service militaire aux États-Unis entre 1812 et 1815. Ces dates correspondent précisément à la guerre de 1812 entre les États-Unis et le Royaume-Uni. On peut supposer que Pierre Quebec venait du Bas-Canada (ancien nom de la province de Québec) et qu’il s’était enrôlé dans l’armée américaine pour combattre les Anglais.

SOURCE ANCESTRY.COM

Acte d’enrôlement du soldat Pierre Quebec, Missouri, Guerre de 1812

Était-ce un pseudo ? Fort probable.

Mais peut-être faut-il revenir au Québec pour en savoir plus…

Quand Lavallée devient Quebec

Cette fois, on tente notre chance avec la Société généalogique canadienne-française et la Société généalogique de Québec. Mais la collecte s’avère limitée.

Qu’à cela ne tienne. Si les experts ne peuvent nous aider, revenons à la bonne vieille méthode des coups de fil au hasard. Fort de notre liste trouvée sur Canada 411, on appelle Gerald Wayne Quebec, Graham Quebec, Pamela Quebec et Dennis Quebec…

Encore une fois, pas de réponse.

On est sur le point de renoncer quand Dorothy Quebec, de Swift Current, en Saskatchewan, décroche le téléphone. Cette fois, c’est du solide. La dame est généalogiste certifiée et a déjà effectué des recherches sur les origines de son mari.

PHOTO FOURNIE PAR DOROTHY QUEBEC

Dorothy Quebec, de Swift Current en Saskatchewan, a suivi la piste des Québec.

« La piste m’a amenée à Francis Lavallée, un résidant de Dunham, dit-elle. Sur le recensement de 1851, il s’appelle Francis Lavallée. Sur celui de 1861, il s’est rebaptisé Francis Quebec. Il y avait aussi Maurice Quebec, qu’on soupçonne être son frère. Ce que je pense, c’est qu’ils ont adopté le nom Quebec parce que personne ne s’entendait sur la façon d’épeler Lavallée… »

L’hypothèse nous paraît farfelue. Mais ce qui est certain, c’est que le patronyme « Quebec » commence vraiment à se répandre à partir de ce moment.

Francis et Maurice auront chacun cinq fils, dont certains émigreront en Ontario, puis en Alberta. Une branche de Lavallée-devenus-Quebec apparaît également au Vermont à la même époque. Il y a forcément un lien, mais les éléments de preuve nous échappent.

IMAGE FOURNIE PAR DOROTHY QUEBEC

Recensement de 1861. On aperçoit Francis Quebec, anciennement connu sous le nom de Francis Lavallée.

On doit préciser, du reste, que Frank et Maurice ne sont pas les premiers Quebec du Québec. Le recensement canadien nous révèle l’existence de deux Quebec (Henry et Moyse) en 1851, et d’un Joseph Quebec, fermier à Farnham, dès 1842.

Ce Joseph Quebec serait-il le Jos Quebec enregistré au Vermont dans les mêmes années ? A-t-il adopté ce nom parce qu’il venait de Québec ? On est encore en train de spéculer lorsque Dorothy Quebec nous recontacte.

« J’ai oublié de vous dire : avez-vous exploré la piste des Philippines ? Vous allez trouver ça intéressant. Il y a pas mal de Quebec là-bas aussi. »

La piste des Philippines

Les Philippines ? Un instant. Sommes-nous toujours dans le même article ? Réponse courte : oui. Malgré son côté surréaliste, cette information va se révéler entièrement vraie.

Non seulement il y a des Quebec aux Philippines, mais c’est le pays qui en compte le plus sur la planète, soit environ 2400 individus !

Comment est-ce possible ? Pour le savoir, il faut remonter au fameux « décret Claveria sur les noms de famille » daté de 1849.

À cette époque, les Philippines sont encore sous contrôle espagnol. Mais la majorité de la population – indigène – ne possède pas de nom de famille.

Dans une optique de contrôle civil, les autorités coloniales décident alors de soumettre aux résidants une liste de 60 288 patronymes, parmi lesquels ils pourront choisir leur nouvelle identité.

PHOTO FOURNIE PAR LE FILIPINO GENEALOGY PROJECT

Le Catalogue alphabétique des noms de famille, issu du décret Claveria, du nom du gouverneur des Philippines à cette époque. Plus de 60 000 patronymes s’y trouvent, dont Quebec.

Or, à la page 106 de la liste, apparaît clairement le nom QUEBEC.

PHOTO FOURNIE PAR LE FILIPINO GENEALOGY PROJECT

Page 106 du Catalogue alphabétique des noms de famille. Troisième rangée au centre, on aperçoit le nom Quebec.

« Étonnant, mais pas tant que ça, observe Todd Lucero Sales, président du Filipino Genealogy Project, expert du décret Claveria. Il y a beaucoup de noms espagnols dans ce catalogue, mais aussi des mots de tous les jours issus des mondes végétal et minéral, des arts ou de la géographie. »

On veut bien. Mais la question demeure : comment et pourquoi ce terme algonquin originaire de Nouvelle-France s’est-il retrouvé dans un catalogue colonial espagnol, aux Philippines, en 1849 ? On se perd en conjectures. On cherche les points de recoupement.

La religion catholique, commune aux deux pays, pourrait-elle être le lien manquant ?

« C’est possible, car le décret Claveria a été compilé par des prêtres », convient M. Sales.

PHOTO FOURNIE PAR TODD LUCERO SALES

Todd Lucero Sales, président du Filipino Genealogy Project, expert du décret Claveria

Vérification faite, les missionnaires espagnols envoyés aux Philippines appartenaient essentiellement à l’ordre des Jésuites, tout comme nombre de missionnaires français en Nouvelle-France. On en conclut – sous toutes réserves – que la compagnie de Jésus aurait importé ce mot autochtone en Asie du Sud-Est, où il sera, ironiquement, adopté par d’autres autochtones…

Dans tous les cas, la présence de nombreux Quebec en Californie, dont la plupart avec des prénoms hispaniques, s’explique désormais : ce sont des immigrants philippins. Rien à voir avec la branche canadienne et américaine.

Dylan en Quebec

Il y a donc des Quebec au Vermont, au Massachusetts, en Californie, en Alberta, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, aux Philippines, voire une poignée en Iran et au Bénin, si l’on se fie au site Surnam.es.

Mais au Québec ? Apparemment aucun.

Cette tendance à la baisse se dessine d’ailleurs sur les recensements d’époque. En 1861, on compte 30 Québec au Québec. En 1881, ils ne sont que 17. En 1901, ce chiffre tombe à 10. En 1921, on n’en compte plus que trois… Le recensement de 1931, disponible depuis le 1er juin, ne nous donne pas la possibilité d’aller plus loin. Mais le mouvement est clair.

Pour ce qui est d’Ike Quebec, soulignons qu’il est mort en 1964 d’un cancer du poumon. Et qu’il avait un frère, Danny Quebec West, aussi saxophoniste, qui a accompagné un temps Thelonious Monk.

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Un 45 tours de Madlyn Quebec

Ces deux musiciens avaient-ils un lien avec la chanteuse soul Madlyn Quebec, qui a commis quelques 45 tours à la fin des années 1960 ? Difficile à dire. Les informations à son sujet sont assez rares.

On sait seulement que Madlyn Quebec était la mère de la choriste Carolyn Dennis, membre des Queens of Rhythm, qui aura un enfant avec Bob Dylan dans les années 1980.

Dylan, dont le vrai nom était d’ailleurs Zimmerman. Mais cela est une autre histoire.