(Chapais) La plus jeune mairesse du Québec gère l’urgence. Sa municipalité, Chapais, a été évacuée en partie, il y a 10 jours. Et voilà qu’un autre incendie menace le petit village de la Jamésie. La Presse a obtenu une permission spéciale afin de rouler sur la route 167 pour rencontrer Isabelle Lessard, 23 ans.

« J’ai 23 ans, bientôt 44 »

Une entrevue en faisant une marche ? Isabelle Lessard hésite en regardant son ordinateur et son téléphone cellulaire. Si elle s’éloigne, elle pourrait manquer le début de la conférence de presse du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel.

« Allez, Isabelle ! Vas-y, ça va te faire du bien », lui lance Kate Kirouac, responsable des communications de la municipalité de 1600 habitants.

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Isabelle Lessard, mairesse de Chapais, discute avec des résidants de la municipalité.

Isabelle Lessard finit par accepter et admet qu’elle n’a pas beaucoup pris l’air depuis deux semaines, soit depuis que le feu 213 s’est déclenché très près de la ville. La cause de l’incendie reste à déterminer.

« Quand le feu a starté, on le voyait là-bas », dit-elle en pointant vers la forêt en contrebas. « La fumée est arrivée rapidement, ce n’était pas beau. Ça s’est étendu sur toute la largeur de la ville et ça s’est même approché à quatre kilomètres des maisons », raconte-t-elle pendant que des mouches noires voraces lui tournent autour de la tête.

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Vue aérienne de la ville de Chapais

« C’est vraiment particulier parce que ce que j’aime le plus de Chapais, c’est ce qui nous cause le plus de tort en ce moment. C’est la nature et toutes les forêts à proximité », dit celle qui s’est présentée aux élections municipales de 2021 alors qu’elle n’avait que 21 ans. Son seul adversaire s’est retiré de la course avant le scrutin.

Isabelle Lessard travaille 16 heures par jour depuis la naissance du feu 213. Deux fois par jour, elle s’entretient avec des responsables de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) pour connaître l’évolution des incendies. En soirée, elle s’adresse à ses concitoyens pour leur présenter le portrait de la situation via Facebook.

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Le danger d’incendie demeure « extrême » dans la municipalité de 1600 âmes.

« On a dû changer notre matériel pour les Facebook Live parce qu’on n’était vraiment pas équipés. Vraiment, vraiment pas. Le premier qu’on a fait, on était dehors avec un cellulaire. Je te le dis, c’était laitte », dit-elle en pouffant de rire.

Évacuation et préalerte

La moitié de la population a été forcée d’évacuer Chapais, le 31 mai. Les évacués ont pu réintégrer leur maison le 3 juin.

Puis, le 6, un autre violent incendie s’est déclenché, cette fois au nord de la ville. Chibougamau et la communauté crie d’Oujé-Bougoumou ont été évacués. Chapais est entré en mode préalerte. Les personnes ayant une santé précaire ont été encouragées à quitter le village afin de se rapprocher des services de santé.

« La panique s’est installée. Les gens se sont dit que le feu était en train de foncer sur nous aussi. Tout le monde était inquiet, y compris moi », explique Isabelle Lessard, qui vit avec des troubles d’anxiété depuis l’adolescence.

Les deux tiers des citoyens ont quitté Chapais mardi soir, en même temps que ceux de Chibougamau. Il reste environ 550 personnes dans le village. Les voitures qui restent sont couvertes de cendre. Les écoles sont fermées. Les rues sont quasi vides. Des voitures de la Sûreté du Québec patrouillent plus que jamais le village presque fantôme.

« En ce moment, je sens que les gens sont extrêmement fatigués, sous pression, stressés, anxieux », laisse tomber la mairesse au sujet de ses concitoyens.

Évacuer, une tâche complexe

Isabelle Lessard s’est fait reprocher de ne pas avoir rendu l’évacuation obligatoire. Chapais est moins populeux que Chibougamau et donc plus rapide à évacuer, se défend-elle. L’incendie est aussi à plus de 40 kilomètres du village.

Évacuer une ville est une tâche plus complexe qu’on pourrait l’imaginer, ajoute-t-elle. « Il faut s’assurer que les gens ont un endroit où aller et qu’ils ont du transport pour partir. Il faut faire le tour de toutes les maisons pour s’assurer que les gens sont au courant de l’ordre d’évacuation et pour vérifier qu’ils ont véritablement quitté leur domicile », raconte-t-elle.

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Isabelle Lessard, mairesse de Chapais

Dans une autre ville où il y a eu des évacuations, on sait que des gens se sont cachés dans leur sous-sol pour ne pas s’en aller.

Isabelle Lessard, mairesse de Chapais

Les évènements lui font réaliser que sa municipalité est extrêmement dépendante de Chibougamau : hôpital, pharmacies, dentistes, animaleries, optométristes, boutiques de vêtements, magasins à grande surface, énumère-t-elle. Beaucoup de Chapaisiens sont sans emploi et privés de services essentiels depuis la fermeture de Chibougamau.

L’épicerie, la station-service et le casse-croûte restent toutefois ouverts.

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L’hôtel de ville de Chapais

Cette semaine, l’hôtel de ville s’est chargé de rassembler les ordonnances des personnes qui ont besoin de médicaments. Une citoyenne a fait l’aller-retour à Roberval, à trois heures de route, pour récupérer les préparations. Elle a été autorisée à reprendre la 167 vers le nord même si la route est fermée à cause des incendies.

« Cette super bonne samaritaine, je vais la nommer parce que c’est ma mère », raconte la jeune femme aux cheveux noirs lissés et aux ongles vernis.

Isabelle Lessard s’interrompt. Trois marcheurs, avec leurs chiens, viennent à contresens.

« Les médias m’ont forcée à prendre une pause en marchant », dit-elle en souriant.

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La mairesse de Chapais, Isabelle Lessard, enlace Sylvie Imbeault, son ancienne belle-mère.

« Franchement, elle est super bonne, la mairesse », affirme Sylvie Imbeault, une citoyenne de Chibougamau qui a trouvé refuge chez sa fille à Chapais. Mme Imbeault a déjà été la belle-mère d’Isabelle Lessard, bien avant que celle-ci ne soit élue à l’hôtel de ville.

« Elle a vraiment de l’aplomb pour son âge. Tu vas maturer, la jeune, hein ? », lance Mme Imbeault.

« J’ai 23 ans, bientôt 44 », répond la jeune femme qui apprend à gérer une ville dans le feu de l’action.

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Le pompiste Mario Bouchard, à la station-service de Chapais

Les commerces essentiels tiennent bon

Même si les deux tiers de la population ont quitté le village de Chapais, des commerces ont fait le choix de garder leurs portes ouvertes pour les citoyens qui restent.

Un tsunami à la station-service

Le 31 mai, Mario Bouchard a vu un nuage de fumée s’élever de la forêt, non loin de sa station-service. Il a aussitôt appelé le 911, mais un autre citoyen de la municipalité avait déjà contacté les services d’urgences. La ville a évacué la moitié de sa population, mais la station-service a à peine ressenti la baisse de clientèle.

Quelques jours plus tard, quand la ville de Chibougamau a été évacuée, la station-service de Chapais a vécu un tsunami.

« On dirait que tout le monde a voulu prendre la fuite en même temps qu’à Chibougamau », raconte M. Bouchard.

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Mario Bouchard

J’ai vendu du gaz jusqu’à 23 h 30 non-stop, les quatre pompes accotées. Trois employés sont venus m’aider. C’était affreux. Le lendemain, mes employés ont tous quitté le village.

Mario Bouchard

M. Bouchard a fait un appel à tous sur Facebook afin de trouver quelques volontaires pour le dépanner. Un pompier, sa conjointe et un ex-conseiller municipal ont levé la main.

Poutine réconfort

Le casse-croûte a osé fermer ses portes mercredi, mais des clients ont aussitôt réclamé sa réouverture !

C’est que les citoyens échangent sur toutes sortes de sujets à la « cabane ». Les feux, la fumée, la météo et les évacuations monopolisent plus que jamais les discussions, raconte la propriétaire de l’endroit, Patricia Landry.

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Patricia Landry, propriétaire du casse-croûte de Chapais

« On s’est rendu compte que pour ceux qui sont restés, c’est important de leur offrir le service. C’est un petit baume sur le cœur. On offre du bonheur à ceux qui restent », raconte Mme Landry.

L’épicerie, tant qu’il le faudra

La seule épicerie du village restera ouverte tant et aussi longtemps qu’elle aura des employés, affirme la propriétaire, Doris Bouchard. Mais déjà 50 % d’entre eux ont fui la ville depuis que celle-ci est en mode préalerte.

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L’épicerie du village de Chapais

L’épicière a d’ailleurs dû réduire les commandes d’aliments. « C’est bien tannant », affirme Mme Bouchard.

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Doris Bouchard, propriétaire de la seule épicerie de Chapais

C’est difficile d’évaluer la quantité de fruits, de légumes, de viande à commander. Et les gens ne font pas de grosses épiceries parce qu’ils ne savent pas s’ils vont devoir évacuer.

Doris Bouchard, propriétaire de la seule épicerie de Chapais

« C’est une situation bien spéciale », note Mme Bouchard, qui se réjouit de pouvoir garder son commerce ouvert pour ceux qui ont décidé de rester à Chapais.