(Sept-Îles) L’hydravion prend de l’altitude et l’incendie 172 apparaît à l’horizon, menaçant. Depuis vendredi, les résidants de Sept-Îles sont suspendus à ses moindres mouvements, comme s’il s’agissait d’une bête sauvage. Du renfort est arrivé des quatre coins de la province au cas où un mouvement brusque du brasier rendrait d’autres évacuations nécessaires. Par chance, ça ne s’est pas produit samedi.

« C’en est un gros », lâche Yves Bolduc, au travers des grésillements du casque d’écoute. Le pilote survole la région depuis 25 ans. Il transporte des villégiateurs dans les nombreuses pourvoiries du territoire.

La Presse est montée à ses côtés à bord d’un hydravion d’Air Tunilik afin de survoler l’immense brasier.

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Les pilotes d’Air Tunilik se tiennent prêts à prêter main-forte à la SOPFEU pour transporter des pompiers forestiers sur les lieux de l’incendie 172.

Jamais il n’avait vu un incendie de forêt de l’ampleur du 172 si près de Sept-Îles. En ville, samedi après-midi, les cendres qui tombaient du ciel telle de la neige légère et la teinte orange du soleil trahissaient la présence du brasier, tout près.

L’embarquement se fait à l’hydrogare du Lac-Rapide, à une vingtaine de minutes du centre-ville de Sept-Îles. À cet endroit, c’est la présence d’un autre incendie majeur qui suscitait l’inquiétude jeudi, le 218. « On voyait la lueur derrière les montagnes, c’était quelque chose », se souvient Yves Bolduc.

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L’incendie 172 a brûlé jusqu’ici 324,75 km⁠2, l’équivalent des trois quarts de l’île de Montréal.

Samedi soir, cet incendie toujours considéré comme non maîtrisé par la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) s’était toutefois calmé. « Mais ce n’est pas parce qu’il est tranquille qu’il ne peut pas se réveiller », prévient une porte-parole de l’organisation, Isabelle Gariépy.

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Des pompiers forestiers de la SOPFEU prennent une pause bien méritée après des heures à combattre les incendies à proximité de Sept-Îles.

Les arbres noircis apparaissent à perte de vue dès que l’hydravion prend de l’altitude. Parmi eux, de petits carrés gris-blanc constellent la forêt carbonisée. « Ce sont des camps de chasse qui sont passés au feu », lâche le pilote, Siméon Alexander.

Puis apparaît à l’horizon l’incendie 172, un monstre. Ce brasier, dont l’origine serait une étincelle provenant du chemin de fer de la minière IOC, a brûlé jusqu’ici 324,75 km⁠2, l’équivalent des trois quarts de l’île de Montréal.

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Des pompiers forestiers de la SOPFEU embarquent du matériel à bord d’un de leurs appareils non loin de l’aéroport de Sept-Îles.

Après avoir débuté à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Sept-Îles, il était à moins du tiers de cette distance de la municipalité samedi, un peu au sud de la jonction des rivières Moisie et Nipissis.

Rendu engourdi par les températures fraîches de la nuit, proches de zéro, l’incendie s’était calmé en matinée samedi, quoique d’immenses flammes pouvaient être aperçues à plus de 3000 mètres dans les airs.

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Après avoir débuté à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Sept-Îles, l’incendie 172 était à moins du tiers de cette distance de la municipalité samedi.

Au moins deux hydravions de la SOPFEU bombardaient l’incendie sans relâche, guidés par un avion-commandeur. Huit hélicoptères ont également été employés par la SOPFEU, tout au long de la journée, pour arroser l’incendie ou préparer le terrain.

Car lutter contre un incendie de cette taille, « ce n’est pas un sprint, c’est un marathon », précise Isabelle Gariépy. À ce stade-ci, le travail des pompiers forestiers sur le terrain se limite à des préparatifs en vue de l’offensive.

Ils coupent dans la forêt des zones d’atterrissage pour les hélicoptères qui, eux, déposent des pompes à eau ou de la machinerie, comme des bulldozers qui permettront de creuser des tranchées dans l’espoir de freiner l’avancée du feu.

Ambiance tendue

Pendant ce temps, à Sept-Îles, l’ambiance était tendue, particulièrement dans le quartier Sainte-Famille, le plus près du brasier 172. Ses résidants ont reçu avant-hier la consigne de se tenir prêts à évacuer.

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Des enfants du quartier Sainte-Famille jouent dans un parc sous le soleil teinté par le panache de fumée de l’incendie 172. L’un d’eux observe un avion en jouet volant dans le ciel.

Ils attendent depuis, dans l’expectative de pouvoir rester chez eux. La présence de nombreuses roulottes devant les maisons donnait un indice de leur préparation.

Sur son perron, André Charbonneau regardait les camions de la Sûreté du Québec passer dans sa rue samedi matin, quelques heures avant que les autorités ne tranchent à savoir si de nouvelles évacuations allaient être nécessaires.

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Des résidants du quartier Sainte-Famille, à Sept-Îles, toujours sous le coup d’une consigne de se tenir prêts à évacuer, prennent une bière entre voisins.

« Je viens de sortir prendre mon café et j’en ai compté six. C’est assez inhabituel », lâche-t-il en appelant son chien au pied. A-t-il un plan en cas d’évacuation ? « Pas vraiment, surtout qu’avec quatre enfants, ce n’est pas évident. Les bagages sont faits. »

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L’incendie 172 faisant rage près de Sept-Îles

L’ordre d’évacuation appréhendé n’est finalement pas venu. « Le feu s’est comporté selon le scénario prévu aujourd’hui, avec des percées vers le nord, ce qui est plutôt positif pour les secteurs habités », a indiqué la Ville dans un bref communiqué publié en fin de journée.

Mais la fébrilité persiste. Samuel Bouret et son voisin ont tous deux appelé leurs assurances pour bonifier leur couverture en cas d’incendie.

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Ravages causés par l’incendie 172

« On a déjà évacué une fois, ce serait plate de devoir le faire une deuxième fois », confiait quelques heures plus tôt Marie-Ève Bouret, une résidante du secteur des Plages qui s’est réfugiée chez son frère.

Devant elle, les enfants jouent comme si de rien n’était parmi les pissenlits dans un parc du quartier Sainte-Famille. Sa belle-sœur, Sabrina Desrosiers, raconte comment elle a dû expliquer le tout à son fils : « Dans sa tête de 8 ans, il se demandait : est-ce que je vais revoir ma maison ? »

Des renforts de partout

Les autorités n’ont pas lésiné sur les moyens pour se préparer à toute éventualité, comme en témoigne la centaine de policiers dépêchés en ville. Le maire de Sept-Îles, Steeve Beaupré, a accueilli des pompiers ayant conduit leurs camions de Saguenay, Lévis et Québec.

Il y a un mouvement de panique qui se fait [dans la population], c’est naturel. De voir des pompiers de partout, ça rassure.

Steeve Beaupré, maire de Sept-Îles, los d’une prise de parole devant les policiers rassemblés derrière la caserne municipale.

Quelques heures plus tard, c’était au tour d’un hélicoptère de l’armée de se faire entendre dans le ciel de Sept-Îles. Les soldats suivaient en soirée une formation accélérée pour aller prêter main-forte aux pompiers forestiers sur le terrain.

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Pompiers de la ville de Québec arrivés samedi à Sept-Îles au volant de leur camion-citerne

Pendant ce temps, les policiers de la Sûreté du Québec sillonnent en nombre les zones toujours évacuées à l’est de Sept-Îles. Ils guettent les résidences, à l’affût de potentiels cambrioleurs, quoiqu’aucun évènement du genre n’ait été rapporté jusqu’ici, malgré des rumeurs persistantes sur les réseaux sociaux.

Un total de 1500 personnes de la communauté innue de Uashat mak Mani-utenam ont aussi dû quitter leur domicile vendredi.

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Les policiers de la Sûreté du Québec sillonnent les zones évacuées à l’est de Sept-Îles.

Toute la population est suspendue aux bilans météo tandis que de la pluie est attendue dans la région lundi et mardi.

L’incendie 172 en chiffres

  • 32 475 hectares de superficie
  • 60 km : largeur de la bordure sud de l’incendie, la plus proche de Sept-Îles
  • 10 000 personnes sont sous le coup d’un ordre d’évacuation à Sept-Îles, selon Québec.