(Sept-Îles, Montréal et Québec) Fébriles, mais confiants : les résidants de Sept-Îles se préparent au pire tandis qu’un immense incendie de forêt s’est rapproché de la municipalité vendredi, porté par le vent et le temps sec des derniers jours. Pas moins de 10 000 d’entre eux sont évacués.

En soirée, vendredi, de nombreux véhicules de la police et des autorités de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) sillonnaient les rues de la ville.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Des résidants évacués tentent de se reposer au centre d’hébergement d’urgence mis sur pied au Complexe récréatif et culturel de Port-Cartier.

Il s’agissait d’un des seuls signes de l’urgence de la situation puisque, malgré la proximité du brasier, le vent transportait son odeur et sa fumée plus au nord.

De longues files devant les enseignes de restauration rapide et la présence de plusieurs roulottes dans les stationnements laissaient aussi deviner l’évacuation de plusieurs résidants.

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Environ 300 lits ont été installés au Complexe récréatif et culturel de Port-Cartier.

Des centres d’hébergement ont ouvert leurs portes plus à l’ouest, à Baie-Comeau et à Forestville. À Port-Cartier, 300 lits de camp ont été installés sur la glace vide du Complexe récréatif et culturel.

« On en a trois fois comme ça », a indiqué une employée rencontrée sur place vendredi soir alors que l’endroit était quasi désert puisque la grande majorité des gens avaient réussi à se loger chez des proches à Sept-Îles.

Ordre d’évacuation à Sept-Îles

L’ordre d’évacuation obligatoire touche les secteurs du Lac-Daigle, des Plages et de Moisie, selon ce qu’a précisé le maire de Sept-Îles, Steeve Beaupré. Quelque 10 000 résidants étaient concernés, selon Québec.

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Barrage routier sur la route 138 interdisant l’entrée dans les zones évacuées de Sept-Îles

En fin de journée, le maire avertissait les résidants du quartier Sainte-Famille, plus densément peuplé, de préparer leurs valises en cas d’évacuation dans les prochains jours : ils sont en « préalerte ».

Dans le cas de la communauté innue de Uashat mak Mani-utenam, qui a également déclaré l’état d’urgence, c’est l’entièreté des 1500 résidants de Mani-utenam qui ont dû évacuer. Ils pouvaient être transportés par autobus dans la communauté innue de Pessamit, plus de 300 km à l’ouest, où ils seraient accueillis.

Une dizaine de patients ayant besoin de soins actifs aigus ont été évacués par avion vers le CHU de Québec – Université Laval, a annoncé le CISSS de la Côte-Nord en début de soirée. D’autres usagers pourraient être évacués dans les prochaines heures et les prochains jours, tandis que les activités « non urgentes » sont suspendues « jusqu’à nouvel ordre » à l’hôpital de Sept-Îles.

Aide des Forces armées canadiennes

Le responsable de ce branle-bas : le « feu 172 », qui longe la rivière Moisie ; cet incendie « a pris une ampleur qui n’était pas attendue [jeudi] et c’est ce qui justifie cette évacuation », a précisé le maire Steeve Beaupré.

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Fumée causée par les incendies de forêt près de Port-Cartier, à une soixantaine de kilomètres de Sept-Îles

« [Jeudi] soir, les dernières informations, ça n’allait pas dans ce sens-là, mais le feu a beaucoup progressé », de sorte qu’il « pourrait y avoir une jonction entre les deux feux qui sont actuellement en activité », a-t-il expliqué. En fin de journée vendredi, cet incendie progressait toujours, mais de manière moins rapide.

Devant l’urgence de la situation, le gouvernement Legault a demandé l’aide des Forces armées canadiennes.

« Je viens de communiquer avec le gouvernement fédéral afin d’obtenir de l’aide des forces armées canadiennes pour la situation des incendies de forêt. […] On fait tout en notre pouvoir pour aider les gens de la Côte-Nord », a indiqué le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel en fin d’après-midi.

Québec demande de l’aide pour transporter des équipements d’urgence, des denrées alimentaires et de l’essence, évacuer des sinistrés, apporter un soutien technique et de l’expertise en génie civil et pour « contribuer à la planification logistique du ravitaillement d’urgence de communautés isolées ».

« Ce n’est pas la panique »

Ayant appris vendredi matin qu’ils devaient avoir quitté leur domicile avant 16 h, plusieurs résidants ont trouvé à se reloger à Sept-Îles même, chez des proches, en espérant pouvoir retourner bientôt chez eux.

Au camping Laurent-Val, à Moisie, où seulement une trentaine des 165 emplacements étaient occupés vendredi matin, le téléphone ne dérougissait pas.

« Peut-être qu’il y a des gens qui vont avoir besoin de leur VR [véhicule récréatif] pour se loger dans d’autres endroits », prévoyait la propriétaire, Francine Perreault.

C’est ce qu’elle-même et son conjoint s’apprêtaient à faire en fin de journée. « On va aller à Sept-Îles, en espérant qu’ils n’évacuent pas [ce secteur] », a-t-elle indiqué, tout en soulignant ne trouver « rien de stressant » à la situation.

Ce n’est pas la panique, il n’y a pas de boucane sur le camping, c’est vraiment une mesure de prévention. Cette nuit, on avait de la cendre qui tombait un peu, mais aujourd’hui, rien de ça.

Francine Perreault, propriétaire du camping Laurent-Val, à Moisie

Les cendres des incendies de forêt non maîtrisés s’étaient aussi rendues jusqu’à Sept-Îles la veille, notamment dans le secteur des Plages, plus à l’est.

Dans l’inconnu

Native de Sept-Îles, Marie-Lyne Essiembre, une mère de famille de 44 ans, raconte n’avoir jamais rien vécu de tel. « Je me sens un peu désorganisée parce qu’on ne sait pas si on va pouvoir revenir dans les prochains jours. On apporte deux paires de pantalons, ou on en apporte dix ? Mais on apporte la [console de jeu] PS5 », a-t-elle glissé avec un sourire dans la voix.

Le centre-ville n’était pas visé par les évacuations vendredi matin, mais le parc d’attractions de Beauce Carnaval, installé quelques jours plus tôt, surveillait la situation.

« Où on est, derrière le centre d’achat, on ne voit pas de feu, pas de boucane, le ciel est bleu. C’est plutôt à 15 kilomètres plus haut », a indiqué la propriétaire, Véronique Vallée, jointe au téléphone sur les lieux.

Fermeture du chemin de fer

Le feu préoccupe le plus gros employeur de la région, la multinationale Rio Tinto. Elle a dû interrompre ses activités de transport de minerai de fer, car elle a fermé pour une durée de sept jours le chemin de fer privé qu’elle exploite, le Quebec North Shore and Labrador, qui relie Sept-Îles à Labrador City.

« Pour le moment, les principales infrastructures n’ont pas été touchées sérieusement, mais il y a des infrastructures de communication qui sont endommagées [le réseau de fibre optique et une tour de communication], tandis que des poteaux sont tombés en travers et en bordure de la voie ferrée », a indiqué le porte-parole de l’entreprise, Simon Letendre.

La fermeture de ce chemin de fer vient d’enclaver Schefferville, car le train de passagers ne peut plus circuler non plus.

Avec la collaboration de Charles Lecavalier, Lila Dussault, Tommy Chouinard et Jean-Thomas Léveillé, La Presse