Certains intervenants à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) recevront désormais une prime de 900 $ quand ils font l’évaluation des enfants à risque, a appris La Presse.

Cette directive ministérielle annoncée vendredi survient en pleine négociation des conventions collectives dans le secteur public.

La prime vise notamment à rembourser l’adhésion à l’ordre professionnel des intervenants concernés, selon nos informations. Les employés qui feront 150 heures d’évaluation et d’orientation pendant l’année y seront admissibles.

Quand un enfant est jugé à risque après un signalement, les intervenants à ce poste sont les premiers à intervenir. Leur rôle est de rencontrer les enfants et les parents, créant souvent une onde de choc dans les familles.

Si l’enfant est en danger, d’autres équipes prennent ensuite le relais pour faire appliquer des mesures déterminées par la cour. Toutes ces autres équipes, en amont ou en aval de l’évaluation, ne sont pas visées par la nouvelle directive ministérielle.

Selon nos informations, la prime de 900 $ sera rétroactive au 1er avril 2023 et versée en deux temps. Une première somme de 600 $ sera d’abord payée aux intervenants qui s’engagent dans le processus, et les 300 $ restants leur seront remis une fois les 150 heures d’évaluation terminées.

« À l’évaluation, c’est sûr qu’on est contents pour nous », réagit Katherine Christensen, criminologue, qui travaille aux évaluations à la DPJ de la Capitale-Nationale depuis près de 10 ans. « Mais on trouve ça aberrant et injuste pour les autres », ajoute-t-elle rapidement.

Selon elle, une prime de 900 $ n’aura pas nécessairement l’effet recherché. « On trouve ça irréaliste qu’ils pensent que ça va avoir un impact sur la liste d’attente [pour l’évaluation des enfants], assure-t-elle. ​​Ce n’est pas 900 $ qui vont faire en sorte qu’il va y avoir une meilleure rétention du personnel, ou que les gens vont vouloir venir. Je n’y crois pas. »

« C’est difficile partout »

Selon Laurie Allard, travailleuse sociale à la DPJ de la Capitale-Nationale, l’évaluation et l’orientation des enfants ne sont pas le seul poste difficile au sein des centres jeunesse.

Elle travaille à la DPJ depuis 10 ans, dont quatre ans à l’évaluation et l’orientation. Elle est désormais dans un secteur appelé « l’urgence sociale ». « On va également dans des familles, on va également retirer des enfants, détaille-t-elle. On est tout aussi témoins des difficultés personnelles et familiales de nos clients. On est tous à risque d’être témoins et de subir de la violence tous les jours. »

La nouvelle directive ministérielle, qui n’a pas encore été transmise par écrit, a été accueillie froidement vendredi après-midi, assure Mme Allard.

C’est sûr que ça crée beaucoup de grogne, autant chez ceux qui ne sont pas inclus que chez ceux qui le sont. Pour nous, ça dévalorise notre travail : pourquoi c’est juste un petit secteur qui est reconnu ? Les gens sont vraiment en colère.

Laurie Allard, travailleuse sociale à la DPJ de la Capitale-Nationale

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) n’avait pas répondu à la demande de La Presse au moment où ces lignes étaient écrites.

Les syndicats voudraient élargir la mesure

Du côté syndical, on estime que cette directive ministérielle vient court-circuiter les négociations en cours.

À l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente la vaste majorité des intervenants en DPJ du Québec, on estime que la mesure devrait s’appliquer à tous.

« On trouvait que ce n’était pas suffisant, même pour l’évaluation et l’orientation, affirme Josée Fréchette, première vice-présidente de l’APTS. On a aussi essayé d’élargir la mesure à l’ensemble de la DPJ. On a eu un non, on a essayé de discuter, et ils nous ont mis un ultimatum et finalement ils ont décidé de procéder quand même. »

Le remboursement de l’adhésion aux ordres professionnels fait partie des demandes syndicales pour l’ensemble des employés de l’APTS qui en ont besoin, ajoute Mme Fréchette.

Pour Jessica Goldschleger, première vice-présidente à la Fédération des professionnels de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), cette prime ne sera pas une recette magique pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre à la DPJ.

« On pense que la lourdeur de la clientèle, son intensité, les propos violents, les conditions de travail difficiles dans les centres jeunesse, c’est beaucoup plus ces conditions qui empêchent de stabiliser les effectifs », estime-t-elle.

« On négocie pour un maintien des primes [existantes], ajoute-t-elle, et pour réfléchir à des projets innovants pour faciliter l’intégration des nouveaux salariés et le développement des compétences. »