(Québec) Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale manquent de places. Dans plusieurs régions, comme à Montréal, elles affichent régulièrement complet, alors que le gouvernement mène des campagnes publicitaires pour inciter les Québécois à intervenir quand ils sont témoins de situations conjugales violentes. Avec les demandes d’aide qui explosent, les intervenantes réclament de nouveaux investissements de Québec.

« Dans certaines régions du Québec, les maisons d’hébergement ont dépassé leurs capacités. Plusieurs femmes et leurs enfants se font refuser de l’hébergement. Elles vont cogner à des portes et se font refuser l’accès parce que les maisons sont pleines », affirme la députée libérale Brigitte Garceau. Nouvellement élue en octobre dernier dans la circonscription de Robert-Baldwin, à Montréal, Mme Garceau connaît bien ce monde des maisons d’hébergement. Avocate en droit de la famille pendant près de 30 ans, elle présidait jusqu’à tout récemment le conseil d’administration du Refuge pour les femmes de l’Ouest de l’Île.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Brigitte Garceau, députée de Robert-Baldwin

Inquiète, Mme Garceau a récemment multiplié les demandes d’accès à l’information auprès de nombreux ministères pour obtenir un portrait précis du nombre de refus transmis chaque année par les maisons d’hébergement, faute de places disponibles. « Il n’y a personne qui peut nous dire ou nous confirmer des chiffres. On a besoin d’une reddition de comptes », conclut-elle.

Politique « zéro refus »

Au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, on affirme que le nombre de femmes refusées par manque de places a atteint 3793 en 2019-2020 avant de légèrement reculer à 3736 en 2021-2022. Une femme qui ne trouve pas de place d’hébergement n’est toutefois pas laissée sans soutien. Elle trouve parfois une place dans une autre maison qui n’est pas membre du regroupement ou elle est aidée par des intervenantes qui offrent des services externes. Ce nombre d’accompagnements a d’ailleurs bondi durant la même période, passant de 14 660 à 19 034.

Si le gouvernement estime qu’il a mis beaucoup d’argent dans les dernières années, et c’est vrai qu’il y a eu des injections, il faut continuer à consolider les services des maisons et il faut augmenter le nombre de places.

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

Encore récemment, Québec faisait même la promotion de la ligne téléphonique de SOS violence conjugale. Le Parti libéral du Québec voudrait que le gouvernement Legault se donne l’objectif d’avoir une politique « zéro refus » lorsqu’une victime de violence conjugale se dit prête à partir et qu’elle soit relogée dans sa propre région.

« La campagne a été un bon point de départ. Mais si [une femme] cogne à la porte, qu’elle appelle et qu’il n’y a pas de place, qu’est-ce qui se passe ? Elle retourne chez elle et il va y en avoir, un autre incident. Peut-être que cette fois-là, ça sera pire. C’est ça, l’enjeu du manque de places », déplore la députée Brigitte Garceau.

Visionnez la campagne publicitaire

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on affirme qu’après des rehaussements successifs des budgets consacrés aux maisons d’hébergement ces dernières années, une « nouvelle vague de collecte de données est prévue à l’automne 2023 pour évaluer l’impact des investissements ».

Une situation difficile

Claudine Thibaudeau, responsable du soutien clinique et de la formation chez SOS violence conjugale, confirme qu’il manque de places en maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale dans plusieurs régions du Québec. Lorsque La Presse lui a parlé, la semaine dernière, les maisons de Montréal et de Laval affichaient toutes complet.

« En ce moment, c’est extrêmement difficile. Les intervenantes de SOS font tout ce qui est en leur pouvoir pour trouver des places. Elles doivent régulièrement proposer à des victimes d’aller ailleurs, plus loin, dans d’autres régions. Parfois à des distances qui sont très grandes », explique-t-elle.

J’ai eu connaissance déjà aujourd’hui de plusieurs appels où on n’a pas trouvé d’hébergement et on a été obligés de demander aux personnes de nous rappeler un peu plus tard. C’est déchirant.

Claudine Thibaudeau, de SOS violence conjugale

« Si j’ai une femme de Joliette et que je lui propose d’aller à Québec, ça la met à l’abri à court terme, mais toutes ses démarches restent à Joliette. Les intervenants auprès d’elle sont à Joliette. Ce n’est pas parce qu’on leur offre d’aller plus loin que les victimes sont en mesure de l’accepter », ajoute Mme Thibaudeau.

Chez SOS violence conjugale, depuis cinq ans, le nombre de demandes d’aide reçues a bondi de 125 %, passant de 25 899 demandes en 2016-2017 à 58 303 demandes en 2021-2022. Dans le prochain rapport annuel, qui n’a pas encore été déposé, la statistique diminuera légèrement, pour atteindre 51 521 demandes. Cette baisse s’explique en partie par le fait que le service de clavardage a été suspendu, faute de personnel.

Les demandes d’hébergement ont également augmenté, ajoute l’organisme. Elles sont passées de 6751 en 2020-2021 à 10 020 en 2021-2022.

« Quand quelqu’un appelle et demande un hébergement, ce n’est jamais un caprice. On devrait toujours pouvoir dire oui », affirme Claudine Thibaudeau.

« Les maisons d’hébergement, ça devrait être comme la disponibilité des pompiers. On n’appelle jamais les pompiers pour se faire dire qu’ils sont occupés et de rappeler demain. Il faut avoir beaucoup plus de pompiers qu’il y a de demande pour pouvoir toujours dire oui », ajoute-t-elle.

Un problème documenté

Décembre 2020

Le rapport Rebâtir la confiance du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, issu d’une initiative parlementaire transpartisane, établit qu’il y a un « manque de places dans les maisons d’hébergement et un manque de ressources financières et humaines pour les services à l’externe ».

Mars 2021

Dans le budget 2021-2022 du Québec, le ministre des Finances, Eric Girard, prévoit 22,5 millions sur cinq ans pour rehausser les services offerts par les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Il note également que les restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 ont « exacerbé le manque de places ».

Alors que le Québec est secoué par une vague de féminicides, le gouvernement du Québec lance ensuite les Actions prioritaires pour contrer la violence conjugale et les féminicides 2021-2026 qui consacrent 92 millions de dollars sur cinq ans à bonifier les services externes des maisons d’hébergement et créer de nouvelles places.

Juin 2022

Québec dévoile la Stratégie gouvernementale intégrée pour contrer la violence sexuelle, la violence conjugale et Rebâtir la confiance 2022-2027, laquelle comporte 58 actions et un investissement de 462 millions sur cinq ans. Il s’agit de la réponse du gouvernement au rapport Rebâtir la confiance.

Constatant un « enjeu important de manque de places dans certaines régions du Québec » en matière d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale, il est proposé d’ouvrir quatre maisons d’aide et d’hébergement d’urgence dans les régions de Montréal, de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue. Ces projets sont en cours de réalisation.

Mars 2023

Dans son plus récent budget, Québec prévoit 10 millions sur cinq ans pour « bonifier les services » offerts par les maisons d’hébergement.