La Cour suprême du Canada accepte d’entendre la demande d’une coalition d’organisations journalistiques, dont La Presse, qui souhaite pouvoir contester les ordonnances de confidentialité émises dans l’affaire du mystérieux procès criminel secret tenu au Québec récemment.

Sans l’intervention du plus haut tribunal du Canada, ce genre d’arrangement pour tenir la population dans le noir et condamner des citoyens à l’abri des regards « pourrait se répéter à travers le pays », prévenaient les médias dans leur avis de demande d’autorisation d’appel.

Les organisations journalistiques qui ont lancé ce recours comprennent La Presse, Radio-Canada, La Presse Canadienne et les quotidiens des Coops de l’information.

« La présente demande d’autorisation d’appel soulève d’importants enjeux qui sont au cœur de la démocratie canadienne », écrivaient les avocats des médias dans un document envoyé à la Cour suprême.

Ceux-ci avaient souligné qu’il était primordial que les citoyens puissent suivre les agissements des tribunaux au pays. « En effet, la liberté d’expression, la liberté de la presse et leur corollaire, le droit du public à l’information, sont des piliers de la démocratie. Au cœur de ces droits et libertés fondamentaux se trouve le principe de la publicité des débats judiciaires », précisait le texte signé de la main de MChristian Leblanc, du cabinet Fasken Martineau Dumoulin. MLeblanc, qui a plaidé devant la Cour suprême une dizaine de fois dans sa carrière, plaidera la cause des médias.

L’avocat a souligné jeudi que la Cour d’appel du Québec, en réponse à une précédente requête du milieu journalistique, avait déclaré ne pas avoir la compétence pour infirmer les ordonnances émises par le juge de première instance qui a présidé le procès secret, un juge dont l’identité même est cachée au public.

Ça va être important d’en parler à la Cour suprême. J’espère qu’on pourra baliser et encadrer un peu ça, pour que ça ne se reproduise pas.

MChristian Leblanc, avocat

Le Procureur général du Québec, qui a aussi contesté les ordonnances de confidentialité à la demande du ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, a aussi vu sa demande d’autorisation d’appel accueillie. La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, a elle aussi été reconnue comme intervenante dans le dossier par la Cour suprême.

Maintenant que la Cour suprême accepte d’entendre l’affaire, les plaidoiries sur le fond auront lieu à une date ultérieure.

« Incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale »

Le 25 mars dernier, La Presse révélait la tenue récente au Québec d’un procès criminel secret dont toutes les traces auraient été effacées. L’accusé dans cette affaire était un informateur de police accusé d’un crime dont la nature demeure confidentielle et qui a été condamné à une peine gardée secrète. Aucun numéro de dossier n’était disponible, les procédures s’étaient déroulées dans un « huis clos complet et total », des témoins auraient été interrogés en dehors de la cour, le jugement n’a pas été publié et à ce jour, même le nom du juge reste inconnu.

Cet arrangement entre les parties a empêché le Barreau d’exercer un contrôle sur le comportement des avocats impliqués et caché au public l’arrangement convenu entre la police, la Couronne et le précieux informateur.

La Cour d’appel avait ensuite annulé la condamnation de l’accusé et décrié cette façon de faire « contraire aux principes fondamentaux » de la justice et « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale ».

Les juges de la Cour d’appel ont toutefois refusé de rendre publics les noms des procureurs, des avocats de la défense et du juge impliqués dans cette procédure hors norme. Ils n’ont pas donné de détails sur la nature des accusations ni sur la peine imposée, des informations qui, selon les médias, pourraient être relayées sans compromettre la sécurité de l’informateur de police. Les médias ont précisé à plusieurs reprises qu’ils étaient d’accord pour que l’identité de cet informateur soit protégée.

Contacts avec le ministre

Le Service des poursuites pénales du Canada, qui a piloté la poursuite dans le cadre de cet exercice hors norme, refuse toujours de s’expliquer sur sa conduite. L’organisme n’a jamais dit comment l’accusé aurait pu purger sa peine et comment un suivi de sa conduite aurait pu être assuré après sa condamnation.

En novembre, La Presse a révélé des extraits d’échanges de courriels et de messages textes qui montrent que le ministre de la Justice David Lametti et son cabinet ont été en contact étroit avec la patronne de la Couronne fédérale, MKathleen Roussel, sur ce sujet controversé1.

L’ancien supérieur des procureurs impliqués au bureau montréalais de la Couronne fédérale, MAndré Albert Morin, qui est aujourd’hui député du Parti libéral du Québec, a déclaré à La Presse qu’il n’avait pas autorisé ses procureurs à procéder de la façon décrite par le jugement de la Cour d’appel2.

1. Lisez l’article « Procès secret : la Couronne a eu des contacts étroits avec le ministre Lametti » 2. Lisez l’article « Le patron des procureurs nie avoir autorisé un procès secret »