La décision du gouvernement fédéral de transférer en Ontario les migrants du chemin Roxham a réduit la pression sur le Québec, mais cause de sérieux problèmes. Des maires de villes ontariennes demandent au fédéral : « C’est quoi le plan » ?

Le maire de Niagara Falls se dit heureux de soutenir l’effort du Canada pour gérer l’afflux de demandeurs d’asile, mais s’arrache les cheveux à l’approche de la saison touristique.

Au moins 5000 demandeurs d’asile occupent entre 1700 et 2000 chambres, réparties dans 11 hôtels de cette petite ville de 95 000 habitants, selon l’évaluation du maire Jim Diodati. Qu’arrivera-t-il quand la municipalité, dont le tourisme est la principale industrie, aura besoin de ces chambres pour accueillir les visiteurs ? se demande-t-il. Et ça viendra vite. La saison commence en mai.

Comme le premier ministre François Legault, le maire de Niagara Falls se questionne sur la façon dont le fédéral gère la crise migratoire.

« Je sympathise avec le premier ministre Legault parce que Niagara Falls, comme le Québec, a atteint le point de saturation », affirme Jim Diodati.

Avec l’afflux de milliers de migrants transférés à Niagara Falls depuis juillet, les services communautaires de la ville n’ont jamais été autant sous pression : la demande a bondi de 85 % dans les banques alimentaires, les écoles débordent et des sans-abri logés dans des motels pour l’hiver craignent d’être évincés pour faire place à des demandeurs d’asile.

PHOTO TARA WALTON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jim Diodati, maire de Niagara Falls

« C’est quoi le plan ? », veut savoir M. Diodati.

« Le plan à long terme. Pas aujourd’hui, mais demain, précise-t-il. Qu’est-ce qu’on va faire avec tous ces gens ? Où est-ce qu’on va les mettre quand le tourisme va reprendre ? »

14 millions de visiteurs

Niagara Falls est une destination touristique incontournable au Canada avec 14 millions de visiteurs par an, rappelle le maire. « Le tourisme est vraiment, vraiment important pour nous. Il y a 40 000 personnes qui vivent ici et qui comptent sur l’industrie touristique pour nourrir leur famille, pour payer leurs factures, leur hypothèque, leur loyer. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Touristes contemplant les chutes du Niagara, en mai 2015

M. Diodati a fait part de ses inquiétudes au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada (IRCC), Sean Fraser. Il dit lui avoir demandé trois choses. La première : que la ville prenne part aux discussions pour identifier des solutions. La deuxième : une aide financière accrue pour répondre aux besoins. La dernière : il veut voir le plan.

Dans le milieu des affaires, d’où je viens, il y a le plan A, le plan B et le plan C, mais il y a un plan. Je veux voir le plan.

Jim Diodati, maire de Niagara Falls

Jim Diodati ajoute dans le même élan qu’il est heureux de contribuer à l’accueil des migrants. Il ne voudrait pas qu’on croie qu’il se plaint.

« On sait qu’on est un pays d’immigration, explique-t-il. On est heureux de faire ce qu’on peut, mais on a besoin de savoir quel est le plan parce qu’on a atteint le point de saturation. Ça commence à avoir un impact négatif sur notre communauté. »

Un sujet sensible

C’est en juillet que le va-et-vient des demandeurs d’asile, orchestré par le fédéral, a commencé à Niagara Falls.

« Au début, ils occupaient 87 chambres. On s’est fait dire de ne pas en parler, de ne pas dire dans quels hôtels ils étaient logés parce que c’est un sujet sensible, confie M. Diodati. On a dit OK. Mais après, c’est passé à 300 chambres, puis à 687 chambres, et ç’a continué à augmenter jusqu’à 2000 chambres. Et tout indique que ça continue d’augmenter. »

Le maire souligne que la présence des migrants « n’est plus un secret pour personne » à Niagara Falls.

Notre communauté, nos églises ont été incroyables. Elles ont fourni des manteaux, des chapeaux, des gants et des bottes à tous les demandeurs d’asile, mais c’est une liste sans fin parce que tous les 40 jours, c’est à recommencer.

Jim Diodati, maire de Niagara Falls

L’hébergement d’urgence dure en moyenne 40 jours, le temps que le gouvernement émette un premier chèque d’aide sociale. Après quoi, les migrants doivent se débrouiller pour se loger et se nourrir.

Niagara Falls, comme Montréal et de nombreuses autres villes canadiennes, est aux prises avec une pénurie de logements abordables. La situation actuelle exacerbe le problème.

À cela s’ajoute un autre problème : trois saisons touristiques ratées à cause de la pandémie.

« On a été dévastés par la COVID parce que le tourisme a été complètement fermé, se désole M. Diodati. Enfin, on a une chance d’avoir une bonne année, et notre préoccupation majeure, en ce moment, c’est de savoir comment on va s’y prendre si cette situation continue. On a besoin que toutes les villes canadiennes contribuent. Pas juste le Québec. Il faut une approche canadienne. »

Une question de capacité

La ville de Cornwall, où le fédéral loue plus de la moitié des 1000 chambres d’hôtel pour loger 800 demandeurs d’asile, en a aussi plein les bras.

Son maire, Justin Towndale, déplore l’absence de communication et d’action concertée avec Ottawa et demande que sa municipalité reçoive une compensation financière pour les coûts liés à l’accueil des migrants. Depuis août, 1400 demandeurs d’asile ont été transférés dans cette petite ville de 48 000 habitants, à 115 km de Montréal.

« Nous faisons ce que nous pouvons et nous voulons aider, mais c’est juste une question de ressources et de capacité, explique M. Towndale. On aimerait connaître le plan du gouvernement. »

Le fédéral cherche de « nouvelles destinations »

Le transfert dans des villes ontariennes de demandeurs d’asile qui sont arrivés par le chemin Roxham a commencé le 30 juin 2022. Le ministère de l’Immigration « travaille actuellement avec d’autres provinces et municipalités pour trouver de nouvelles destinations qui ont la capacité d’accueillir les demandeurs d’asile », a fait savoir par courriel la porte-parole du Ministère, Nancy Caron, en réponse aux questions de La Presse.

« Je ne voulais pas aller là-bas »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

L’Angolais Wilson Lutamaiio Ngngoma est hébergé au YMCA du centre-ville de Montréal.

Qu’est-ce qu’un demandeur d’asile francophone cueilli au chemin Roxham peut faire quand il est mis dans un autobus pour Niagara Falls, qu’il ne parle pas anglais, qu’il n’a pas d’argent et pas de famille en Ontario ?

C’est une situation dans laquelle plusieurs migrants se retrouvent depuis que les autorités fédérales, dans leurs efforts pour atténuer le fardeau migratoire imposé au Québec, redirigent les migrants vers des villes ontariennes de façon mécanique, sans tenir compte de leurs besoins ou des besoins de la société d’accueil.

Certains réussissent à retomber sur leurs pieds. C’est le cas de Wilson Lutamaiio Ngngoma, un Angolais de 33 ans, qui est venu à Montréal en autobus à partir de Niagara Falls. Mais ce n’est pas à la portée de tous les migrants.

« J’avais 145 $ dans ma poche », raconte le jeune homme.

J’ai pris un autobus, de Niagara à Toronto, que j’ai payé 40 $. Et de Toronto à Montréal, ça m’a coûté 86 $. Je suis content parce que je comprends bien la langue ici. Ça me facilite la vie.

Wilson Lutamaiio Ngngoma, migrant venu de l’Angola

Wilson Lutamaiio Ngngoma a mis 50 jours à arriver au Québec par le chemin Roxham le 12 février. Il est parti le 27 décembre de Luanda, la capitale angolaise, où il habitait, pour se rendre à Portland, dans le Maine, en passant par le Brésil, le Nicaragua et le Honduras. Il a fait le trajet en partie en avion, en partie en bus et en partie à pied.

À Portland, il dit avoir payé un passeur pour se faire conduire au chemin Roxham.

« Moi, mon objectif, c’était de venir au Canada », dit-il.

Direction Niagara Falls

Une fois la frontière franchie, les autorités frontalières lui ont demandé dans quelle ville il souhaitait aller. Wilson a répondu Montréal. Mais c’est plutôt à Niagara Falls qu’il a été transporté par autobus, à 715 km de Saint-Bernard-de-Lacolle, avec une vingtaine d’autres migrants.

« Je ne voulais pas aller là-bas, mais on m’a dit que je n’avais pas le choix, qu’il n’y avait pas d’espace à Montréal pour moi », confie-t-il.

Mais après quelques jours, j’ai vu que je rencontrais des difficultés à comprendre l’anglais. J’avais du mal à remplir les documents. J’ai pris la décision de quitter Niagara.

Wilson Lutamaiio Ngngoma, migrant venu de l’Angola

À Montréal depuis près d’une semaine, Wilson est hébergé à la Résidence YMCA, dans le centre-ville. Ce YMCA est un des deux sites du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), au Québec, géré par le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

L’autre site est l’hôtel Place Dupuis, près de la place Émilie-Gamelin. Les deux lieux, qui affichent toujours complet, disposent de 1200 lits.

Le fédéral loue 2164 autres chambres dans des hôtels de Montréal et des environs pour héberger des demandeurs d’asile.

Des organismes débordés

Selon Barry Morgan, porte-parole du PRAIDA, « le retour au Québec des demandeurs d’asile n’est pas une situation courante ». « Le cas échéant, le PRAIDA ne sera pas concerné, sauf pour des cas exceptionnels. Un tel évènement ne s’est produit qu’à deux reprises. »

Mais ce sont les organismes qui œuvrent auprès des migrants qui subissent le contrecoup. Depuis février, tous les demandeurs d’asile qui entrent au pays par le chemin Roxham sont envoyés dans des villes ontariennes, notamment Niagara Falls, Ottawa, Windsor et Cornwall, même ceux qui parlent français ou qui ont de la famille au Québec.

« On n’arrête pas de recevoir des appels, et même des gens qui se présentent chez nous en personne », indique Eva Garcia-Turgeon, directrice de Foyer du monde, une maison pour réfugiés, à Montréal.

« En Ontario, ces personnes n’ont pas toujours accès à des services en français parce que les services d’urgence vont d’abord se donner en anglais. Si elles reviennent au Québec, c’est à leurs frais. Une fois arrivées ici, bonne chance pour trouver de l’hébergement ! »

En savoir plus
  • 930
    Nombre de demandeurs d’asile arrivés au Québec par avion, en janvier
    Source : gouvernement du Canada
    4875
    Nombre de demandeurs d’asile interceptés au chemin Roxham, en janvier, une augmentation de 4 % par rapport à décembre
    Source : gouvernement du Canada