La famille d’un ouvrier agricole guatémaltèque mort en changeant le pneu d’une fourgonnette de la ferme où il travaillait ne sera pas indemnisée. Motif ? Ottoniel Lares Batzibal agissait par « bienveillance » et n’avait pas reçu la consigne de procéder à la réparation.

« Ce n’est pas juste », a dénoncé mardi sa fille Mary Lares, privée de son père et du principal pourvoyeur de la famille. « Je n’arrive toujours pas à m’en remettre. »

M. Batzibal est mort accidentellement le 18 juillet 2021 dans la ferme Les Cultures Fortin inc. à Saint-Patrice-de-Beaurivage, dans la MRC de Lotbinière. Ses camarades ont retrouvé son corps écrasé par une fourgonnette.

L’homme de 38 ans travaillait depuis 12 saisons dans la même ferme, selon sa famille. Il avait la permission d’utiliser les véhicules de l’entreprise pour transporter les autres travailleurs agricoles et possédait un permis de conduire québécois.

Début février, la justice a confirmé la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) de ne pas reconnaître la mort du travailleur comme un accident de travail. Et donc de ne pas indemniser la famille.

« L’intention bienveillante du travailleur s’inscrit dans le cadre d’une initiative personnelle qui n’était pas liée à son travail », a conclu la juge administrative Valérie Lizotte.

M. Lares Batzibal remplissait une fonction de chauffeur, mais n’avait jamais reçu le mandat de réparer les véhicules, selon la preuve retenue par Mme Lizotte. Elle a aussi souligné que l’accident était survenu après les heures normales de travail.

« Le changement de pneu est une tâche qui est dissociable de la conduite d’un véhicule et n’a aucun lien avec l’obligation pour l’employeur de fournir ou d’assurer un moyen de transport pour ses ouvriers, d’autant plus que la preuve prépondérante démontre que le travailleur aurait pu changer de véhicule pour aller rejoindre ses collègues au lieu de tenter une réparation », écrit la juge Lizotte.

« C’est irréparable »

Dans leur village de la périphérie de la ville de Guatemala, la veuve et la fille du défunt tentent maintenant de vivre en vendant les textiles qu’elles tissent avec des fils colorés.

« Il a été difficile pour nous d’aller de l’avant parce que mon père était celui qui soutenait ma famille, a confié Mary Lares, dans une conversation par écrit. La mort de mon père a affecté ma petite sœur et elle est décédée le 15 juillet de l’année dernière. » Le versement d’assurance vie de 50 000 $ lié au décès a été englouti dans les soins de santé de la jeune femme, selon sa sœur.

La famille a appris la mort de M. Lares Batzibal par l’intermédiaire d’« un proche d’un collègue de mon père », a-t-elle continué. « C’est irréparable. Je ne peux pas décrire. »

Mary Lares aurait aimé que la ferme dans laquelle son père a travaillé pendant tant d’années « aide [sa famille] avec l’indemnisation ».

Mais devant le Tribunal administratif du travail (TAT), l’avocat de la mutuelle de prévoyance qui est intervenu à titre de représentant de l’employeur a plaidé que « la réparation d’une crevaison s’inscrit dans une initiative personnelle et en dehors de la sphère professionnelle attendue du travailleur par l’employeur ». Joint au téléphone, MFarchid Mochirian n’a pas souhaité commenter le jugement.

« C’est malheureux »

« Ç’a été difficile », a indiqué Marcel Fortin, propriétaire majoritaire de la ferme Les Cultures Fortin inc. lors d’une brève entrevue téléphonique. « On ne souhaite ça à personne. »

« C’est malheureux, a-t-il ajouté. Un accident bête. » M. Fortin a par ailleurs affirmé que la permission de prendre le véhicule n’avait pas été donnée aux travailleurs.

C’est Michel Pilon, directeur général du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, qui a représenté la famille Batzibal devant le TAT. Bien qu’il soit déçu par la décision, il ne compte pas porter la cause en appel.

« Je plaidais que le fait de transporter des travailleurs, ça faisait partie de sa charge de travail », a-t-il souligné.

« Le transport, c’est à la charge de l’employeur, et moi, ce que je plaidais, c’était que M. Batzibal était le chauffeur désigné pour transporter les travailleurs, par exemple pour aller à la pharmacie, à la banque, pour aller chercher de la nourriture et ainsi de suite », a-t-il expliqué.

La famille a reçu 50 000 $ en assurance vie, souligne M. Pilon. « C’est certain que c’est difficile pour la famille, mais heureusement, ils avaient une assurance qui couvre les travailleurs agricoles. »

Pas le premier travailleur agricole étranger mort

Frappé par la foudre

Un travailleur étranger temporaire employé d’une ferme d’Oka, dans les Laurentides, a connu une fin malheureuse, un soir d’août 2021, lorsqu’il a été frappé par la foudre. Alors qu’un orage se dirigeait au-dessus du champ, le groupe de travailleurs dont il faisait partie a continué à ramasser des choux-fleurs. À la suite de l’accident, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a exigé que l’entreprise agricole élabore une procédure d’évacuation des champs en cas d’orage.

Coincé derrière une barrière

Un jeune travailleur guatémaltèque a perdu la vie en août 2018 dans une ferme laitière de Lambton, en Estrie, après avoir été coincé au niveau du cou derrière une barrière mécanique servant à pousser les vaches vers une salle de traite. La CNESST a recommandé aux employeurs de s’assurer d’identifier les zones de coincement et de les rendre inaccessibles.

Asphyxiés

Un ouvrier agricole étranger et son employeur ont tous deux perdu la vie après être entrés dans un silo de maïs en septembre 2018. L’enquête de la CNESST a révélé qu’ils avaient été asphyxiés en raison d’une « atmosphère appauvrie en oxygène par la présence de gaz d’ensilage à l’intérieur du silo ». Dans son rapport sur l’évènement, elle ajoute que la planification de l’exécution du travail en espace clos était inexistante.