(Québec) Le ministre Jean Boulet se dit préoccupé par le refus d’indemniser la famille d’un ouvrier agricole guatémaltèque mort en changeant le pneu d’une fourgonnette de la ferme où il travaillait. Il est « en réflexion » sur la définition d’un accident de travail, mais il ne s’engage pas d’emblée à revoir la loi.

D’ailleurs, il a déjà adopté en 2021 une réforme de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Rouvrir le dossier n’est pas dans ses cartons pour le moment.

La Presse a raconté jeudi l’histoire d’Ottoniel Lares Batzibal, mort accidentellement le 18 juillet 2021 dans la ferme Les Cultures Fortin inc. à Saint-Patrice-de-Beaurivage, dans la MRC de Lotbinière. Ses camarades ont retrouvé son corps écrasé par une fourgonnette.

L’homme de 38 ans travaillait depuis 12 saisons dans la même ferme, selon sa famille. Il avait la permission d’utiliser les véhicules de l’entreprise pour transporter les autres travailleurs agricoles et possédait un permis de conduire québécois.

Au début du mois de février, la justice a confirmé la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) de ne pas reconnaître la mort du travailleur comme un accident de travail. Et donc, de ne pas indemniser la famille.

« L’intention bienveillante du travailleur s’inscrit dans le cadre d’une initiative personnelle qui n’était pas liée à son travail », a conclu la juge administrative Valérie Lizotte.

M. Lares Batzibal remplissait une fonction de chauffeur, mais n’avait jamais reçu le mandat de réparer les véhicules, selon la preuve retenue par Mme Lizotte. Elle a aussi souligné que l’accident était survenu après les heures normales de travail.

L’histoire de ce travailleur est « triste et malheureuse », a réagi Jean Boulet lors d’une mêlée de presse au parlement jeudi.

La décision du tribunal « découle d’une interprétation de la définition d’accident de travail. Le tribunal administratif a eu à apprécier la valeur probante des témoignages qui ont été entendus et a rendu la décision en application de la loi », a-t-il affirmé.

Tout en disant respecter cette interprétation, il a signalé que « c’est certain que ça provoque une réflexion sur la définition d’accident de travail quand on regarde les faits ». « C’est certain que c’est une décision qui me préoccupe », a-t-il ajouté.

« Quand il y aura des réflexions pour amender la loi sur les accidents de travail, on va faire des analyses d’impact et on va tenir compte de l’ensemble des décisions qui ont été rendues, notamment celles-là. » À quel moment la loi pourrait être revue ? Il a rappelé que la réforme de 2021 était la première en 40 ans.

Québec solidaire plaide pour une « réflexion collective » sur « ce modèle d’immigration » que le gouvernement Legault « est en train d’embrasser » alors que le nombre de travailleurs étrangers temporaires est à la hausse au Québec.

« Ça commence à faire beaucoup de drapeaux rouges qui se lèvent sur la situation des travailleurs étrangers temporaires au Québec. Soit il y a plein d’évènements isolés partout, tout le temps, soit il y a un problème de fond. Je pense qu’il y a un problème de fond », a fait valoir le chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois.

« J’ai lu l’article, je dois avouer, avec un sentiment de tristesse énorme », a exprimé le député de Québec solidaire, Haroun Bouazzi. « La question se pose. Si la loi actuelle ne peut pas indemniser, ce qui semble être le cas, il faudrait réfléchir à faire évaluer la loi », a-t-il ajouté.

Le chef du Part québécois, Paul St-Pierre Plamondon, croit pour sa part qu’une révision de la loi ou de son interprétation s’impose.

« Je comprends que ce n’est pas sa description de tâche de changer un pneu, mais c’est clairement une activité reliée au travail. Ce n’est pas quelqu’un qui va faire du ski-doo », a illustré le chef péquiste.

« Je trouve que c’est une interprétation qui n’est pas défendable. Donc, soit c’est une réforme législative ou soit il y a une interprétation par la CNESST qui doit évoluer de manière à ce que, lorsque c’est lié au travail, la protection soit là, parce que sinon, ça donne des situations comme celles-là, que je trouve indéfendables », a-t-il poursuivi.

Le chef libéral par intérim, Marc Tanguay, a affirmé que la situation est « excessivement malheureuse ». « La personne qui travaille au Québec doit avoir une couverture équivalente à quiconque […] Je pense qu’il faut indemniser la bienveillance, je pense qu’il faut la récompenser la bienveillance », a-t-il ajouté.