Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Ski acrobatique. Triathlon. Planche à roulettes. BMX. Cadet d’une famille tissée serré, Jonathan Phoenix Boulard a toujours été un gars qui aime bouger.

« Jo, c’était le sportif, le gars téméraire. Celui qui avait toujours des projets », raconte sa sœur Émilie.

« Il était le bouffon de la famille. Il faisait rire tout le monde », ajoute son père, Alain.

Adolescent, Jonathan accumule ses sous pendant l’été pour passer l’hiver à skier dans les montagnes de l’Ouest canadien et américain.

L’été de ses 18 ans, il travaille dans une quincaillerie quand son patron lui demande de nettoyer un bord de route à l’aide d’une débroussailleuse à lame avec un collègue.

Aucun des garçons n’a jamais manipulé de tels outils. À un moment, la machine du collègue bondit et entaille profondément les jambes de Jonathan.

Le jeune homme perd beaucoup de sang, au point où l’on craint pour sa vie. Il s’en sort, mais pas indemne. Les années qui suivent sont marquées par les interventions chirurgicales et la réadaptation.

Il y a aussi le traumatisme, les séquelles psychologiques, les deuils à faire — des aspects qui, selon la famille, sont négligés par le système de santé.

Jonathan est resté avec un ressentiment. Il se disait : “ils m’ont guéri physiquement, ils m’ont repatché et ils ont décidé que j’étais correct”.

Alain Boulard, père de Jonathan Phoenix Boulard

« Dix-huit ans, c’est l’âge où on se définit. Jo a vu ses amis partir pour l’université. Lui se ramassait seul, chez nos parents, à devoir réapprendre à marcher », témoigne sa grande sœur Émilie, qui a toujours été très proche de son frère.

Pour atténuer les douleurs de Jonathan, les médecins lui prescrivent de la morphine et de l’oxycodone — son premier contact avec les opioïdes.

Ambition positive

Malgré le coup dur, Jonathan ne se laisse pas sombrer. Il se fait tatouer « Positive Ambition » sur les doigts et vit selon ce mantra. Il partage bientôt un appartement avec sa sœur Émilie face au parc Laurier, à Montréal.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

À la maison familiale de Saint-Charles-Borromée, la famille Phoenix Boulard, Alain, Émilie et Lisette

« Devant les gens, il était toujours super positif. Il était toujours en train de faire des blagues. La vie, c’était tout le temps beau », raconte cette dernière.

Jonathan veut que tout le monde se sente bien autour de lui. Au point d’inviter parfois des sans-abri à l’appartement !

« Tout le monde l’aimait, il avait comme une aura… Évidemment, toutes mes amies voulaient se marier avec lui ! », dit sa sœur.

Kayak, rando, vélo : Jonathan recommence graduellement à être actif. Habile de ses mains, il fabrique des meubles, suit des cours d’ébénisterie et de maçonnerie. Il s’implique dans des campagnes pour la prévention des accidents de travail aux côtés du comédien Claude Legault.

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La famille Phoenix Boulard chérit aujourd’hui les meubles et les jardins construits par Jonathan.

« Je lui demandais parfois où il trouvait sa motivation. Il rentrait et me disait : “Allez Mi ! On va au gym, on va faire des push-ups, on va au parc, on va faire du vélo.” On avait un coach privé et on s’entraînait trois ou quatre fois par semaine. Il avait mal, il avait de la difficulté à cause de sa jambe, mais il faisait tout quand même », raconte sa sœur.

Jonathan recommence à voyager. Vietnam à moto, Indonésie en famille : il traverse même la Nouvelle-Zélande à vélo pendant deux mois. Il se met à la méditation et séjourne dans des centres Vipassana.

Mais ceux qui connaissent bien le jeune homme savent qu’il y a des failles derrière cette façade. Les médicaments antidouleur ont laissé Jonathan avec une dépendance qu’il satisfait avec des substances achetées sur le marché noir.

Des fois, il partait pour des week-ends complets, il mélangeait tout… Il avait besoin d’une échappatoire.

Émilie Phoenix Boulard, sœur de Jonathan Phoenix Boulard

Son père se souvient de « bad trips » vécus dans sa chambre à la maison familiale.

« On l’entendait crier, comme s’il se chicanait avec quelqu’un », raconte-t-il.

« Il revivait son accident », affirme Émilie.

La famille le convainc de suivre une thérapie. La veille de sa mort, il a coché deux mois d’abstinence sur son calendrier quand il se rend chez un ami. Il consomme ce qu’il croit être de l’oxycodone achetée sur le marché noir, une drogue qu’il connaît bien. Il boit quelques bières, prend des amphétamines et de la cocaïne. Un régime qui, selon sa sœur, n’est pas inhabituel pour lui.

Jonathan rentre dormir chez ses parents. Ceux-ci l’entendent ronfler fortement. Ils le retrouvent sans vie dans sa chambre le lendemain. Il a 27 ans.

Les analyses menées par le coroner révéleront la présence dans l’organisme de Jonathan d’une substance appelée isotonitazène. À l’époque, en 2020, ce puissant opioïde de synthèse vient tout juste d’être identifié au Québec.

À la maison familiale de Saint-Charles-Borromée, la famille Phoenix Boulard chérit aujourd’hui les meubles et les jardins construits par Jonathan.

« C’était un fils extraordinaire, dit son père. Même quand il prenait de la drogue, il a toujours été fin, généreux. »