(Ottawa) Aucuns fonds provenant de l’étranger n’a servi à financer le « convoi de la liberté » durant sa première semaine, selon le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). C’est ce qu’avait indiqué son directeur, David Vigneault, lors d’une réunion téléphonique le 6 février entre le gouvernement fédéral, le gouvernement de l’Ontario et de hauts responsables de la Ville d’Ottawa.

À ce moment, le convoi de camions paralysait le centre-ville de la capitale fédérale depuis 10 jours. Une campagne de sociofinancement sur la plateforme GoFundMe avait alors permis aux organisateurs d’amasser plus de 10 millions.

« Il n’y a aucun acteur étranger identifié à ce jour qui soutient ou finance ce convoi », peut-on lire dans le compte rendu des propos de M. Vigneault présenté sous forme de points saillants. Le document a été déposé en preuve lors des audiences de la Commission sur les mesures d’urgence, mardi.

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David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité

Le directeur du SCRS soulignait que le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et les banques suivaient la trace de cet argent et s’assuraient qu’il n’était pas utilisé dans un but « non pacifique ».

« Le SCRS n’a pas vu d’argent étranger en provenance d’autres États pour appuyer [cette hypothèse] », ajoutait-il.

Des dons en provenance des États-Unis

Une semaine après cette réunion téléphonique, le premier ministre Justin Trudeau avait affirmé que des fonds étrangers avaient servi à financer le « convoi de la liberté ». Les responsables de GoFundMe avaient affirmé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale en mars que « 86 % des donateurs étaient originaires du Canada ». Ils avaient gelé les fonds une semaine après le début de la manifestation.

Les organisateurs s’étaient alors tournés vers une autre plateforme de sociofinancement nommée GiveSendGo pour continuer à recevoir des dons. Quatre jours après que la Ville d’Ottawa eut déclaré l’état d’urgence, ils avaient réussi à accumuler une nouvelle somme de 8,4 millions. Une fuite de données, rapportée par le réseau CTV, avait par la suite démontré qu’un nombre important de ces nouveaux dons provenaient des États-Unis.

Le compte rendu du patron du SCRS indique également qu’il n’y avait pas de convoi de camions en provenance des États-Unis et qu’il s’agissait donc d’un « enjeu intérieur ».

Il met en garde contre des « éléments radicaux » qui pourraient être violents présents sur les lieux de la manifestation sans toutefois y participer activement ou en être les organisateurs. « Il est probable qu’ils l’utilisent comme pour faire du recrutement », indiquait M. Vigneault. Le nom des personnes ou des groupes radicaux n’est pas mentionné. Le SCRS estime qu’ils étaient non seulement sur la colline du Parlement, mais également aux manifestations de Québec, de Toronto et en Alberta.

La Commission doit déterminer si le gouvernement a eu raison de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence pour la première fois de son histoire afin de mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays. Le gouvernement fédéral peut recourir à cette loi en cas de crise nationale qui « met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces », ou qui « menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays ».

L’argent comme facteur de motivation

Pour la Police provinciale de l’Ontario (PPO), la campagne de financement fulgurante du « convoi de la liberté » constituait un indice que les camions allaient s’incruster à Ottawa. « L’argent est un puissant motivateur », a résumé le responsable du renseignement pour le corps de police, Pat Morris, lors de son témoignage à la Commission en fin d’après-midi mercredi.

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Pat Morris, responsable du renseignement pour la Police provinciale de l’Ontario, lors de son témoignage à la Commission, mercredi

Il a ajouté qu’il s’agissait d’une indication que les manifestants avaient beaucoup de soutien et auraient les moyens de rester. « Cela prenait de l’ampleur à un rythme qui, pour nous, était sans précédent », a-t-il expliqué.

Plusieurs jours avant l’arrivée du convoi, la PPO estimait que cet évènement serait « de longue durée » et planifiait ses horaires de travail en conséquence, soit pour deux semaines, voire un mois. Le corps policier ontarien suivait le trajet de plusieurs convois grâce aux renseignements fournis par la Gendarmerie royale du Canada. Ses rapports étaient distribués à plusieurs intervenants, dont le chef du Service de police d’Ottawa.

Loin des attentes

Plus tôt cette semaine, le directeur de la Ville d’Ottawa, Steve Kanellakos, et le maire d’Ottawa, Jim Watson, ont indiqué que la police municipale s’attendait à une manifestation comme les autres et à ce que les camions repartent quelques jours après leur arrivée.

Dès le 22 janvier, l’un des rapports de la PPO indiquait que le « convoi de la liberté » allait « perturber la circulation et le flot des marchandises sur les routes canadiennes et aux postes frontaliers ». Une semaine plus tard, le renseignement de la PPO indiquait que la manifestation qui venait de commencer avait « le potentiel de poser un risque pour la sécurité publique et la sécurité des agents ».

Pat Morris a insisté sur le fait que son bureau n’avait eu aucun renseignement indiquant que les manifestants seraient armés ou qu’ils prendraient d’assaut le parlement comme cela s’était produit au Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. La PPO s’inquiétait davantage de groupes radicaux ou d’un « loup solitaire » qui auraient pu profiter de la manifestation pour commettre des crimes.