Le jugement accordant l’absolution conditionnelle à l’agresseur sexuel Simon Houle n’est pas un « mauvais jugement sur le plan juridique », selon un criminaliste, mais il pourrait marquer un « point de bascule » avec l’intervention éventuelle de la Cour d’appel. La décision illustre toutefois le besoin de formation des juges en matière de violence sexuelle, d’après MSophie Gagnon, de Juripop.

« Envisagée à la lumière de la jurisprudence, la décision n’est pas sans précédent », estime le professeur Hugues Parent, de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Or, « le mouvement #metoo, et la conscientisation croissante du problème de l’agression sexuelle qui en découle, a modifié considérablement la donne tant au point de vue juridique que social ».

Le juge Matthieu Poliquin, dans une décision rendue en juin, a accordé l’absolution conditionnelle à M. Houle, ingénieur de Trois-Rivières reconnu coupable d’agression sexuelle. L’homme âgé de 27 ans au moment des faits a déshabillé la victime alors qu’elle avait les facultés affaiblies et dormait avant d’introduire ses doigts dans son vagin et de prendre des photos de son corps.

Consultez la décision rendue en juin

Si la décision n’est pas sans précédent, tant le professeur Parent que MGagnon soulignent qu’une peine de prison s’impose généralement en cas d’agression sexuelle. « C’est possible d’avoir des absolutions, ça existe, c’est prévu par le Code criminel, mais ce n’est pas usuel comme sanction », observe la directrice générale de Juripop.

Suscitant une importante couverture médiatique, le jugement a soulevé l’indignation sur les réseaux sociaux et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé qu’il demanderait la permission d’en appeler du jugement.

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Si la Cour d’appel accueille cette demande, sa décision « risque fortement de constituer un point de bascule entre une vision plutôt archaïque de l’agression sexuelle et de ses conséquences […] et une vision plus moderne, plus sensible au caractère répréhensible et à la nocivité de la violence sexuelle faite aux femmes », selon le professeur Parent.

« Sans écarter complètement l’absolution en matière d’agression sexuelle, il est fort possible que celle-ci soit limitée éventuellement à des attouchements de nature plus superficielle », avance-t-il.

Du besoin de former les juges

MGagnon se dit « surprise » d’avoir lu des commentaires sur la durée de l’agression sexuelle dans le jugement. « Il y a une victime et un seul évènement, lequel se déroule somme toute rapidement », a écrit le juge Poliquin.

À mon avis, la durée de l’agression n’est aucunement proportionnelle à la gravité du crime qui a été commis ni aux conséquences du crime sur la victime.

Me Sophie Gagnon

La victime a subi de graves conséquences de cette agression, peut-on lire dans le jugement. Elle a notamment été hospitalisée une semaine en psychiatrie pendant parce qu’elle avait des idées sombres, a été en arrêt de travail cinq mois, a dû retarder la fin de son parcours universitaire, et elle a augmenté sa consommation d’alcool et de médicaments.

« Un jugement sur la sentence ne devrait pas contenir de commentaire sur la durée d’une agression sexuelle, tranche l’avocate. Le fait qu’on en lise aujourd’hui dans des jugements, ça appuie l’importance d’assurer la formation des juges en matière de violence à caractère sexuel. » À cet égard, la création d’un tribunal spécialisé en violence sexuelle sera bénéfique, selon MGagnon, puisque le projet prévoit justement de telles formations, pour les juges comme pour les autres intervenants.

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