Des locataires d’une maison de chambres du Plateau Mont-Royal craignent d’être évincés par les nouveaux propriétaires, qui ont déjà procédé à des travaux sans permis. Ces derniers disent vouloir conserver la vocation de l’immeuble, malgré des avis contraires signifiés aux locataires.

« Des travaux majeurs seront effectués à cette adresse dans le but de lui redonner sa vocation d’origine, celle d’un seul appartement », peut-on lire dans un avis aux locataires du 4232, avenue Christophe-Colomb affiché à la fin de l’année dernière.

Le 4232 est le rez-de-chaussée d’un immeuble de trois niveaux qui comptait jusqu’à récemment 21 chambres, soit sept par niveau.

« Nous offrons la possibilité aux intéressés de prendre un autre logement dans l’immeuble », indique un autre avis. « Si vous ne choisissez pas de prendre cette offre, il est possible que dans les prochaines semaines ou mois les travaux de structure et/ou de changement de vocation de l’immeuble nous obligent à vous demander de quitter. »

« Je crois qu’elle veut nous mettre à la porte pour faire un condo ou ces choses-là », a soupiré Normand Léveillé, qui vit au 4232 depuis 11 ans. Il a envisagé de déménager au troisième, le 4228, dans une chambre qui lui aurait coûté 140 $ de plus par mois, avant de se raviser. Croit-il pouvoir rester ? « C’est ça que je me demande. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Normand Léveillé loue une chambre depuis 11 ans dans l’immeuble de la rue Christophe-Colomb, à Montréal.

« Elle », c’est Ariane Cordeau, qui a acheté l’immeuble avec son conjoint, Frédéric Allali, l’automne dernier. Il était alors affiché au prix de 1 975 000 $.

« Ce que j’avais compris, c’est que le premier étage devait devenir un appartement, le monde qui était là, ils déménageaient », a déclaré Alain Isabelle, un locataire du deuxième, le 4230, qui vivait dans la rue avant de trouver ce logement. « On s’est fait dire que si on est fumeur, on allait se faire mettre dehors, il y en a qui se sont fait dire de nettoyer leur place, sinon ils allaient se faire mettre dehors. Disons qu’il y a eu un peu de pression. »

Or, les maisons de chambres sont maintenant protégées dans le Plateau, comme dans d’autres arrondissements, où elles se font de plus en plus rares.

« Pas de rénovictions »

En réaction aux avis, un autre locataire de longue date du 4232, Wojtek Donimirski, a consulté le Comité logement du Plateau Mont-Royal et fait circuler dans le quartier une pétition « contre la transformation de l’immeuble ».

« Ça nous apparaît évident qu’ils ont acheté ça sans avoir l’intention de conserver une maison de chambres. Ce ne sera pas assez rentable pour eux », a déclaré Vicky Langevin, une organisatrice communautaire du Comité logement du Plateau.

Mais les nouveaux propriétaires soutiennent maintenant ne pas vouloir changer la vocation de l’immeuble, malgré les avis qu’ils ont signés. « On ne veut justement pas faire de rénovictions. Faire des rénovictions, ça ferait qu’on va faire moins d’argent, alors que nous, on a acheté ça justement parce qu’il y a 20 logements », a assuré M. Allali.

Lui et sa conjointe ont admis avoir eu des discussions avec certains chambreurs concernant la cigarette et la salubrité des lieux, dont d’autres locataires se seraient plaints. Ils ont aussi dit avoir eu des ennuis avec des locataires qui seraient aux prises avec des problèmes de santé mentale.

À propos du logement plus cher proposé à M. Léveillé, M. Allali a noté qu’il bénéficie d’un rabais dans sa chambre actuelle parce qu’il était concierge de l’immeuble, fonctions qu’il n’occupe plus.

Travaux pour une chambre trop petite

Le copropriétaire parle de 20 logements, et non 21, puisque des travaux ont joint deux chambres du 4230, l’une d’elles étant trop petite pour être louée, selon lui. Ces travaux, exécutés sans permis, ont mené à l’affichage par la Ville d’un ordre de cesser les travaux en mars dernier.

« On n’avait pas besoin de permis pour ces travaux-là, c’était une rénovation d’un appartement, tout simplement », s’est défendu M. Allali, qui est avocat. C’est la nécessité de travaux structurels, découverte pendant ces « rénovations », qui a conduit à l’intervention de la Ville et à l’invitation aux locataires du rez-de-chaussée de quitter les lieux, selon lui.

« Un avis de non-conformité a été remis pour avoir effectué des travaux non autorisés et non conformes au règlement au 2e étage de la maison de chambres. (Ils ont converti deux chambres pour en faire un logement) », a toutefois indiqué Geneviève Allard, porte-parole de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, par courriel.

« L’arrondissement ne voit pas de motifs qui pourraient justifier l’obtention d’une dérogation par le propriétaire pour son projet », a-t-elle ajouté à la suite d’une rencontre entre l’arrondissement et les propriétaires mardi.

Le logement aménagé illégalement devra être reconverti en chambre et aucun travail intérieur ne pourra être réalisé sans avoir obtenu au préalable un permis.

Geneviève Allard, porte-parole de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal

Quant aux travaux structurels, une demande de permis est « actuellement à l’étude pour des travaux au sous-sol et au rez-de-chaussée », a déclaré la porte-parole.

Mme Langevin demeure sceptique. « Ce n’est pas impossible qu’un immeuble ait besoin de travaux qui nécessitent parfois des relocalisations temporaires des locataires », a-t-elle reconnu. Mais « souvent, c’est une façon un peu plus subtile de convaincre les locataires que ça va être compliqué […], que ça serait mieux de résilier le bail ».

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