(Ottawa et Montréal) Journée faste en rebondissements dimanche à Ottawa. Le jour 17 des manifestations a démarré avec une mobilisation citoyenne sous le signe de l’exaspération. Il s’est terminé avec une lumière au bout du tunnel : le maire d’Ottawa a conclu une entente avec le camp des camionneurs. Et en fin de soirée, le premier ministre a convoqué son cabinet sur fond de crise.

Selon l’accord rendu public dimanche entre le maire d’Ottawa, Jim Watson, et l’une des figures de proue du mouvement de contestation, Tamara Lich, les camions libéreraient les rues de certains secteurs résidentiels de la ville dans les 24 à 72 prochaines heures. L’échange de lettres est daté du samedi 12 février.

Je veux voir une démonstration claire que le convoi de camionneurs quittera les quartiers résidentiels avant midi, le [lundi] 14 février.

Jim Watson, maire d’Ottawa, dans sa lettre

Il ajoute que le départ de ces quelque 400 camions constituera « une tâche significative sur le plan logistique ».

Une fois la preuve faite, « je suis prêt à vous rencontrer en temps opportun », a noté le maire Watson dans une missive adressée à la porte-parole du convoi. En réponse à cette lettre, celle-ci affirme avoir « hâte » d’avoir un entretien.

Il y a un mais : il faudra convaincre le convoi, signale Mme Lich.

« Nous travaillerons très fort dans les 24 prochaines heures pour obtenir l’adhésion des camionneurs », a-t-elle assuré, précisant toutefois qu’un « plan » pour concentrer « les protestations autour de la colline du Parlement » a été établi.

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Tamara Lich, figure de proue du « convoi de la liberté »

Si le plan Watson a vite fait l’objet de critiques – d’abord en raison du dialogue qu’il a accepté avec les organisateurs, puis car le problème n’est pas réglé, mais déplacé –, il s’agit malgré tout un progrès, croit l’avocat Paul Champ.

« Au moins, il essaie de faire quelque chose », lâche celui qui est derrière l’injonction accordée à une citoyenne du centre-ville ayant fait taire, pendant un certain temps, le concert incessant de klaxons.

« C’est le premier geste concret qu’on voit pour mettre fin à la manifestation, ou à tout le moins soulager les dommages qui sont causés à la communauté », ajoute l’avocat, qui sera de retour au cour mercredi dans l’espoir d’obtenir une prolongation de l’injonction.

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Un manifestant anti-mesures sanitaires prépare son petit-déjeuner devant le parlement.

Rencontre du cabinet

De son côté, le premier ministre Justin Trudeau a réuni ses ministres, dimanche soir, après une rencontre du premier ministre avec des membres du « groupe d’intervention en cas d’incident sur les barrages illégaux en cours ».

À en croire les propos tenus par le ministre de la Protection civile, Bill Blair, la Loi sur les mesures d’urgence étaient à l’ordre du jour.

Le bureau de M. Trudeau n’a pas voulu confirmer, dimanche, ce qui serait discuté à la table, mais plus tôt, sur les ondes de CBC, le ministre et ancien chef de police de Toronto a manifesté son incompréhension face à la stratégie du Service de police d’Ottawa, dimanche. En entrevue avec CTV, il a aussi affirmé qu’Ottawa était « tout à fait prêt à utiliser les pouvoirs supplémentaires dont dispose le gouvernement fédéral ».

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Bill Blair, ministre de la Protection civile

Compte tenu de cette « situation critique pour le pays », le gouvernement fédéral est « prêt à utiliser tous les outils à [sa] disposition, y compris les pouvoirs d’urgence », a affirmé le ministre Blair dans cet entretien avec CTV.

La Loi sur les mesures d’urgence a été adoptée en 1988 par le Parlement canadien. Elle n’a jamais été utilisée depuis, mais sa précédente incarnation, la Loi sur les mesures de guerre l’a été, lors de la crise d’Octobre, par Pierre Elliott Trudeau.

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Ottawa est paralysée par les manifestations depuis plus de deux semaines.

Ras-le-bol citoyen

La ville est paralysée par les manifestations depuis plus de deux semaines.

En début de journée, des résidants ont décidé de se mobiliser près du pont Billings, pour barrer la route à des véhicules à destination du centre-ville, où l’on a encore bruyamment fait la fête, vendredi et samedi.

Une file de véhicules a été immobilisée, promenade Riverside, pendant environ six heures, par une température glaciale. Des centaines de personnes, dont plusieurs brandissaient des pancartes, déambulaient dans la rue, se massant parfois autour des véhicules. Certains insultaient copieusement les passagers.

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Des contre-manifestants bloquent le passage d’un camion se rendant au centre-ville d’Ottawa.

« Rentrez chez vous ! Honte à vous ! Partez de notre ville ! », a-t-on notamment entendu. Des insultes et des propos injurieux étaient aussi balancés directement aux automobilistes immobilisés par des participants plus remontés.

Dans leur camionnette rouge, Yvette et Michael, arrivés de Toronto la veille, ont exprimé une déception de se voir ainsi invectivés. « Au centre-ville, les manifestants étaient pacifiques, l’ambiance était festive. Ici, ce qu’on voit, c’est le contraire. Les gens sont grossiers », a déploré Michael.

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Un manifestant soutenant le convoi de camionneurs discute avec policiers.

La police sous le feu des critiques

La gestion de crise des corps policiers était sur toutes les lèvres.

« Il y a un gros problème de crédibilité en ce moment avec la police. Les gens ne comprennent pas comment on a pu laisser les camions s’installer au centre-ville, pourquoi on laisse les gens passer avec des bidons d’essence, et que rien ne se passe », a exposé Serge, qui habite Orléans.

Moi, je n’en dors plus la nuit. C’est insupportable. J’ai tellement d’anxiété, d’angoisse, j’ai l’impression qu’on est en train de perdre notre démocratie et que la police est impuissante.

Marie-Odile Junker, résidante du quartier

Le corps de police n’avait peut-être pas l’appui suffisant des politiciens, estime Stéphane Wall, ex-superviseur au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) spécialisé en usage judicieux de la force.

« Avant d’intervenir et de procéder à des arrestations, on veut avoir un soutien politique. Mais ce qu’on voit à Ottawa depuis trois semaines c’est que la police ne se sentait peut-être pas les coudées franches pour passer à l’action. » On a donc laissé la situation se dégrader sur le terrain, juge le policier retraité.

Les manifestants se sont enracinés. « Ça prend du leadership politique. M. Ford est sorti seulement vendredi pour déclarer l’état d’urgence. » Le laxisme a fait en sorte que les contestataires prenaient les policiers de moins en moins au sérieux, juge Stéphane Wall.

Avec Mayssa Ferah, La Presse

Des spécialistes en renseignement militaire parmi les manifestants ?

Parmi ceux qui ont pris part aux manifestations à Ottawa figureraient deux, possiblement trois, membres du Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada (COMFOSCAN), division spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, comme l’a d’abord rapporté l’Ottawa Citizen, dimanche. Deux enquêtes ont été ouvertes, et une autre pourrait suivre, a indiqué dans un communiqué le major-général Steve Boivin, commandant de l’organisation. « Le Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada ne tolère pas que ses membres soutiennent ou participent activement à des causes pouvant mettre en péril la nature apolitique nécessaire à leurs fonctions », a-t-il déclaré.