Mardi, 13 h 15. Le président de la République française, Emmanuel Macron, quitte le lycée hôtelier de Tain-L’Hermitage, dans la Drôme. Il voit un petit attroupement de badauds, à l’extérieur. De façon spontanée, il fait arrêter son convoi, sort de sa voiture et va au pas de course à la rencontre des électeurs. L’entourage est pris de court. C’est qu’il est en forme, le chef d’État, avec son allure de Tintin. Arrivé devant le groupe, il amorce son bain de foule et reçoit une gifle en plein visage du premier venu salué. On entend le cri des royalistes : « Montjoie, Saint-Denis ! » Dans la contrée tricolore, même les paumés connaissent leur histoire. Le service de sécurité se jette sur l’agresseur et son compagnon, pendant que Macron continue de serrer des mains.

Only in France !

Revoyons la séquence, devenue virale sur les réseaux sociaux, avec nos yeux de Nord-Américains. Le président masqué s’en va toucher à des inconnus masqués. Allô ! ? Et la distanciation physique, elle ? Elle a foutu le camp ? Pourtant, rien n’est réglé chez eux, il y a encore des mesures sanitaires en vigueur dans l’Hexagone. Comment expliquer cette scène ? On se croirait en 2019. Comme si François Legault avait distribué les high five, à la Cage, le soir de l’élimination des Jets de Winnipeg par le Canadien.

Les agents autour de Macron ne lui offrent aucune réelle protection. Il est aussi vulnérable que Jack Evans contournant le filet désert pour marquer un but. Puis l’incident se produit. Violence, catégorie 1. Sans arme. De ce côté-ci de l’Atlantique, ç’aurait été un coup de poing, une poussée, une prise de lutte. En France, ç’a été une gifle, bien sûr. La gifle fait autant partie du patrimoine culturel français que la baguette. Elle a été longtemps une méthode d’éducation, consacrée dans le film culte de 1974 La gifle, où l’on voit le père, Lino Ventura, lever la main sur sa fille adolescente, Sophie Marceau.

Il n’y a rien de plus gaulois que la taloche. Dans la Drôme, Macron était en plein Astérix. Il était le chef Abraracourcix recevant une baffe du marchand de poisson Ordalphabétix. Sauf qu’Abraracourcix aurait répliqué ou son épouse Bonemine l’aurait vengé, avec une rafale de beignets. Puis cela aurait dégénéré. Solide. Tout le village se serait mis à se taper dessus, avant de se tomber dans les bras et de faire un banquet, avec des sangliers sur le BBQ. Et Assurancetourix ligoté à un arbre pour qu’il ne puisse pas chanter.

Qu’a fait Macron ensuite ? Il a continué à serrer des mains ! Ben oui ! Aux États-Unis, les gardes du corps auraient propulsé Joe Biden dans Cadillac One, avant de l’isoler dans le bunker le plus proche. Le président français, lui, continue sa mêlée comme si de rien n’était.

Dans une vidéo différente de celle qui a le plus été relayée, on entend la femme qui filme dire, en voyant la torgnole expédiée : « Oh non, ils sont cons ou quoi ? Sont marteaux ! Mais n’importe quoi ! Venez là, nous, on ne vous veut pas du mal. Monsieur Macron, une photo ! On ne vous veut pas du mal. » Et Emmanuel s’approche d’elle. Imaginez. Si elle aussi lui avait envoyé une giroflée ! On aurait été en plein Louis de Funès.

Comprenez-moi bien, gifler quelqu’un est un geste grave. Loin de moi l’idée de le minimiser. C’est une atteinte physique à la personne. Que la victime soit le président ou un simple citoyen. Il s’agit d’un crime. D’ailleurs, le gifleur de Macron a reçu une peine de 18 mois de prison, dont quatre ferme. La fonction publique de l’agressé ajoute à la symbolique de l’acte. C’est une manifestation, dans la réalité, du non-respect ambiant, trop toléré, dans la virtualité. Voilà que les insultes, évoquées dans l’anonymat, finissent par se transformer en coup asséné au grand jour. On a grand besoin de plus de civilité. D’humaniser le rapport social. De cesser de vouloir, constamment, s’en prendre les uns aux autres.

Cela dit, il y a dans la gifle présidentielle une exception française étonnante. L’agresseur est un malotru, c’est évident. Comme partout ailleurs. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est la réaction du président. Sa volonté de ne pas en faire un plat. Il pourrait écrire un livre sur l’art de recevoir une châtaigne. Il prend le camouflet, sans dire un mot, un de ses protecteurs l’éloigne de la foule, et lui s’en défait et retourne vers les gens. Sans larmes et sans peur. Irréductible attitude : j’ai décidé de prendre un bain de foule, je vais prendre un bain de foule, quoi qu’il arrive ! Même si l’eau est bouillante. Il n’y a pas à dire, la bête politique qu’il est est prête pour la prochaine campagne.

En espérant que le climat social en France s’assainisse d’ici là. La tension ne cesse de monter au pays. De nombreux analystes prédisent même l’inconcevable : l’arrivée au pouvoir du Front national, devenu le Rassemblement national. Ce qui serait plus qu’une gifle à la fraternité. Ce qui serait un K.-O. à l’égalité. Chers cousins, ne gaspillez pas ainsi votre liberté.

En attendant, vive la France !