La condamnation de Derek Chauvin, reconnu coupable du meurtre de George Floyd aux États-Unis, est un « premier pas » dans la bonne direction, disent des représentants de la communauté noire montréalaise. Mais si ce procès a marqué les esprits, plusieurs demeurent toutefois prudents avant d’envisager un réel tournant au sein des corps de police.

« Beaucoup de gens ont poussé un soupir de soulagement, c’est sûr, mais en même temps, c’est un cas parmi des centaines d’autres. Ce n’est pas un cas unique, donc on ne le voit pas nécessairement comme une victoire. La vraie victoire, ça aurait été que M. Floyd soit en vie. C’est ça que tout le monde recherche : d’éviter que ça se reproduise », a martelé le documentariste et militant Will Prosper, en entrevue avec La Presse.

Celui qui est aussi cofondateur de Hoodstock affirme qu’il reste « difficile » de tirer une « pleine satisfaction » de la condamnation de Derek Chauvin.

« On se demande [si la peine aurait été différente] si ça avait été une personne noire. Il y a encore une différence marquée dans le traitement des jugements à la cour. Et d’avoir des accusations contre un policier, c’est encore très difficile ici », a rappelé M. Prosper.

Malgré tout, dit-il, bien des choses ont changé depuis la mort de George Floyd, en mai 2020. « Avant, il y avait très souvent une omerta, un code chez les policiers. Je ne dis pas que ça n’existe plus, mais on sent un vent de changement. Les policiers ne sont plus nécessairement prêts à défendre leurs collègues à tout prix, parce qu’ils voient l’impact que ça a. Peut-être que la prochaine fois, quand ils verront un geste comme celui de Derek Chauvin, ils interviendront. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Will Prosper, militant et documentariste

Je sens quand même qu’il y a un changement de culture qui s’opère, qu’une réflexion plus large s’en vient. C’est un signe de progrès, signe qu’on commence à aller vers un autre chemin. Maintenant, il faut poursuivre.

Will Prosper, militant et documentariste

« Une étape »

L’avocat et entrepreneur social Fabrice Vil affirme également que le jugement rendu mardi est une forme de « soulagement », qui s’accompagne toutefois de nuances très importantes. « C’est selon moi une, et je dis bien une étape, dans la voie vers une société plus respectueuse des populations noires en particulier. Maintenant, on ne peut pas voir Derek Chauvin comme une pomme pourrie isolée. Il ne faut pas évacuer l’aspect systémique de ce débat », insiste-t-il.

« Dans le contexte québécois, on a souvent tendance à regarder nos voisins du Sud en se disant : on est bien moins pires que là-bas. Sauf que ça nous fait parfois oublier les enjeux localement. Il faut faire très attention à ça », avance aussi M. Vil.

Pour lui, le jugement en soi reste un « soulagement ». « Je ne m’attendais pas à moins, cela dit, parce que la preuve était robuste. C’était une sanction nécessaire, mais je ne parlerais pas d’espoir pour autant. Ça serait, à mon avis, de mettre la barre trop basse », poursuit-il.

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Fabrice Vil, avocat et entrepreneur social

L’espoir, on va le voir quand il y aura des actions, des politiques plus robustes, des changements plus vastes et plus tangibles qu’une seule condamnation d’un comportement autant violent et criminel.

Fabrice Vil, entrepreneur social

Opinion publique en transformation ?

On ne sait toujours pas si la condamnation de Derek Chauvin aura un « réel impact » sur le plan légal, affirme le politologue Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et président de l’Observatoire sur les États-Unis de l’Université du Québec à Montréal.

« On se pose tous la même question, mais on n’aura pas de réponses avant que le projet de loi sur la réforme de la police ne soit voté et appuyé », soulève l’expert. Il fait ainsi référence au projet de refonte de la police adopté au début de mars par la Chambre des représentants, à majorité démocrate, qui n’a toutefois pas passé au Sénat, où les deux camps détiennent chacun 50 sièges.

Presque aucun républicain n’a voté pour en mars dernier. Maintenant, si ce verdict peut amener le Sénat à changer sa position, ça pourrait certainement aider, surtout que Joe Biden va y mettre plus de poids.

Charles-Philippe David, de l’UQAM

S’il se dit « bien conscient » que le changement prendra du temps, et qu’il se fera « sur la durée » aux États-Unis, M. David dit aussi voir une évolution. « On est en train d’assister à un changement dans l’opinion publique, y compris sur le travail des policiers. La vidéo change beaucoup de choses aujourd’hui. Tous et toutes voient directement ces images troublantes. Ça marque les esprits », analyse-t-il.

En fin de compte, le constat est simple. « Il doit y avoir de moins en moins de Derek Chauvin, et plus de policiers formés comme police locale, non pas comme des soldats. Ça va être long, ça ne se règle pas facilement, mais ça se fait », conclut le politologue.