(Ottawa) Neuf Premières Nations algonquines du Québec envisagent d’intenter une action en justice pour empêcher la municipalité d’Ottawa de permettre à un autre groupe algonquin de construire un nouveau projet à la périphérie de la ville.

Le conseil municipal d’Ottawa a rejeté la semaine dernière une résolution demandant aux urbanistes d’analyser plus amplement la proposition présentée par les Algonquins de l’Ontario et un grand promoteur immobilier visant à transformer 445 hectares de terrain à environ 20 kilomètres de la ville en une nouvelle communauté.

La municipalité peut placer ce projet parmi ses propriétés.

Si le maire d’Ottawa, John Watson décrit ce projet comme une étape vers la réconciliation, les Premières Nations algonquines québécoises déplorent ne pas avoir été consultées.

Le Conseil tribal de la nation algonquine Anishinabeg, qui représente neuf Premières Nations algonquines reconnues par le gouvernement fédéral au Québec, s’est réuni jeudi pour discuter de la façon d’arrêter un projet qu’ils considèrent comme une atteinte à leurs droits sur leurs terres historiques.

« Nous aimerions toujours avoir ce dialogue avec la ville d’Ottawa, dit le chef Lance Haymond de la Première nation de Kebaowek. Nous avons également profité de l’occasion [jeudi] pour avoir une présentation d’un avocat, d’un conseiller juridique, afin de connaître nos options potentielles en matière de contentieux. »

M. Haymond rappelle que les Algonquins de l’Ontario ne comprennent qu’une seule Première Nation reconnue au niveau fédéral et ne représentent pas la nation algonquine dans son ensemble.

Le groupe a été créé il y a plus de 10 ans par l’Ontario et le gouvernement fédéral pour négocier le règlement d’une revendication territoriale couvrant une vaste partie de l’est de l’Ontario, y compris tout le territoire de la ville Ottawa. Outre les Algonquins reconnus de la Première Nation de Pikwakanagan, l’organisme représente également neuf autres communautés algonquines. Il a déjà travaillé avec des promoteurs.

« Il y a neuf communautés qui sont laissées de côté et oubliées dans ce processus », déplore M. Haymond en faisant référence aux nations algonquines du Québec.

Il raconte que les Algonquins contrôlaient autrefois tout le bassin versant de la rivière des Outaouais et la vallée de l’Outaouais et qu’ils n’ont jamais conclu de traité et n’ont jamais été conquis. Les limites provinciales au milieu de la rivière sont une création récente.

« Nous déclarons avoir des droits et titres sous-jacents sur le territoire », affirme M. Haymond.

Selon lui, les Algonquins de l’Ontario ont acheté ces terrains à la périphérie d’Ottawa et ont utilisé le processus de planification de la ville pour faire avancer un projet résidentiel sous le couvert de la réconciliation.

« De notre point de vue, il s’agit d’une transaction foncière directe entre le promoteur et la ville d’Ottawa, souligne-t-il. C’est une manière sale et sournoise de faire approuver un projet, qui autrement aurait été rejeté sur le fondement des propres critères de la ville. »

De son côté, la cheffe Wendy Jocko, de la Première Nation de Pikwakanagan, soutient que ce projet permettra aux Algonquins de prendre « la place qui leur revient dans le tissu économique de la capitale du Canada ».

Elle dit que les peuples autochtones doivent être financièrement indépendants pour parvenir à une « véritable réconciliation ». Ce projet démontre que le peuple algonquin est capable de bâtir des entreprises et des collectivités prospères, ajoute Mme Jocko.

« Nos cousins algonquins du Québec ont été particulièrement bruyants. Ils laissent entendre que nous n’avons pas le droit de prendre des décisions sur notre propre territoire traditionnel », fait-elle état dans un communiqué.

Kirsten Anker, une professeure de droit autochtone à l’Université McGill, explique que les peuples autochtones ont souffert de pratiques coloniales. Des gouvernements ont souvent négocié avec de petits groupes autochtones locaux plutôt que de négocier avec des conseils tribaux qui représentent un plus grand nombre de personnes.

« Il ne fait aucun doute que ce modèle de division pour conquérir fait partie de l’histoire ici, dit-elle. Diviser les communautés et favoriser la division politique dans les communautés afin de favoriser un groupe qui acceptera le développement demeurent des pratiques courantes. »

Selon elle, les élus municipaux de la ville d’Ottawa devraient être conscients de ce contexte historique lorsqu’ils prennent des décisions concernant les peuples autochtones.

« C’est trop tentant de traiter avec un groupe qui offre des options de développement attrayantes en cliquant sur la case réconciliation. Je veux dire que c’est une sorte d’aveuglement intéressé. »

M. Haywood dit que les seuls bénéficiaires du projet seront la ville d’Ottawa et le constructeur Taggart qui s’est associé aux Algonquins de l’Ontario. « C’est un jeu de fumée et de miroirs. Ce n’est pas vraiment un projet de réconciliation. »

Le maire Watson compte rencontrer au cours des prochaines semaines ou des prochains mois les chefs algonquins du Québec et de l’Ontario afin d’écouter leurs préoccupations.