Lancé sans tambour ni trompette la semaine dernière, le programme de récupération des contenants de cannabis dans les succursales de la SQDC suscite des questionnements dans le milieu de la récupération et du recyclage, en raison du flou qui l’entoure et parce qu’il vise des matières déjà couvertes par la collecte sélective.

La Société québécoise du cannabis (SQDC) offre à sa clientèle, depuis le 10 août, de déposer les emballages vides de ses produits dans des boîtes disposées dans chacune de ses succursales. Les détails de ce programme de récupération, qui n’a pas été annoncé par une campagne publicitaire ou un communiqué, tiennent en quatre phrases sur le site internet de la société d’État.

Il est notamment indiqué que les pots de plastique « seront transformés en matériau composite qui permet de construire du mobilier urbain, comme des bancs de parc ou des boîtes à fleurs ».

C’est l’entreprise Canopy Growth, productrice de cannabis, qui finance le programme, qu’elle offre également dans le reste du Canada.

« Pour la SQDC, c’est à coût nul, c’est un service qui est gratuit auquel on adhère », a expliqué à La Presse le porte-parole de la société d’État, Fabrice Giguère, précisant que seuls les bacs de récupération avaient été payés par la SQDC.

Canopy Growth s’est associée à l’entreprise de récupération étatsunienne TerraCycle pour mettre sur pied ce programme de récupération.

Les matières récupérées dans les succursales de la SQDC, généralement du plastique et du carton, sont envoyées à Fergus, en Ontario, mais il est difficile de savoir ce qu’il en advient ensuite.

Information confidentielle

« TerraCycle utilise les installations de sous-traitants pour traiter les matières récupérées et travaille avec un vaste réseau d’utilisateurs finaux qui intègrent les matières recyclées dans leurs produits », a d’abord expliqué dans un courriel à La Presse Sue Kauffman, responsable des relations publiques pour l’Amérique du Nord de l’entreprise.

L’identité de ces sous-traitants est « une information confidentielle », a ensuite déclaré dans une entrevue téléphonique le vice-président mondial pour les partenariats de marques, Michael Waas.

« Je ne suis pas en mesure de partager cela », a-t-il indiqué.

TerraCycle ne dévoile pas non plus où aboutissent les matières recyclées.

« Je ne peux pas partager spécifiquement ce niveau de détail », a répondu M. Waas.

L’entreprise affirme toutefois que « lorsque c’est possible », les sous-traitants et les utilisateurs finaux sont choisis sur le marché local.

Questions sans réponses

TerraCycle manque de transparence, selon le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), Karel Ménard, qui a cherché par le passé à en savoir plus sur ce qui advenait des matières récupérées par l’entreprise.

« On n’a jamais été capables d’avoir l’information finale où ça allait, dit-il. Leur site [internet] est très général, plus général que ça, tu meurs. »

« Je ne dis pas que c’est mauvais, mais ce qui m’achale, c’est qu’on n’a jamais les réponses qu’on serait en droit d’avoir », explique-t-il, estimant que les consommateurs qui rapportent leurs contenants doivent avoir l’assurance qu’ils font « le bon geste ».

Pourtant, TerraCycle aurait tout intérêt à publiciser ses façons de faire, dit-il.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LAPRESSE

Karel Ménard

Si c’était vraiment bon, être TerraCycle, je le dirais haut et fort ; ça serait la meilleure des publicités. Là, on ne sait rien.

Karel Ménard

Recyc-Québec ignore également ce qu’il advient des matières récupérées par TerraCycle.

« On ne connaît pas les détails », a indiqué à La Presse la porte-parole de l’organisme gouvernemental, Brigitte Goeffroy, précisant qu’il n’y a pas d’obligation légale de traçabilité de la matière recyclée pour les entreprises qui font du recyclage.

La réforme de la collecte sélective sur laquelle planche Québec promet d’ailleurs de corriger cette lacune en rendant obligatoire la reddition de comptes quant à la quantité de matières récupérées, leur traitement et leur destination.

Double système

La plupart des emballages de produits du cannabis récupérés à la SQDC peuvent aussi être récupérés par la collecte sélective, ce qui fait dire à Karel Ménard qu’« il y a quelqu’un qui paie en double pour deux systèmes ».

La SQDC paie effectivement une contribution à Éco Entreprises Québec (ÉEQ), l’organisme qui représente les entreprises fabriquant et vendant sur le marché québécois contenants, emballages et imprimés et qui finance la collecte sélective – Canopy Growth affirme le faire aussi, ce que réfute ÉEQ.

C’est une première que TerraCycle s’occupe de récupérer des matières qui peuvent être récupérées par la collecte sélective.

Brigitte Geoffroy, de Recyc-Québec

Paradoxalement, même TerraCycle recommande le recours à la collecte sélective.

« Nous préférerions que quelqu’un recycle localement, si c’est possible pour le produit concerné, que l’envoyer via nos programmes, affirme Michael Waas. C’est meilleur pour l’environnement que quelque chose soit recyclé localement lorsque possible. »

Zéro déchet

TerraCycle, qui a fait sa renommée en proposant de recycler ce qui n’est autrement pas recyclable, affirme que rien de ce qu’elle récupère n’est perdu.

« Nous recyclons approximativement 98 % des matières résiduelles que nous recevons, nous compostons les 2 % restants et nous n’envoyons jamais rien à l’enfouissement », se targue-t-elle.

Mais il n’y a pas de processus de vérification indépendant pour le garantir.

« Nous avons des engagements contractuels », répond Michael Waas.

Canopy Growth n’a pas précisé quelles garanties de traçabilité des matières récupérées lui fournissait TerraCycle, invitant La Presse à poser la question à la SQDC, qui a elle-même invité La Presse à poser la question à Canopy Growth.

« Aucun des contenants que TerraCycle récupère n’est expédié outre-mer et tous les produits sont recyclés au Canada », a cependant affirmé Hilary Black, cheffe de la responsabilité sociale de l’entreprise.

Canopy Growth n’a pas non plus dévoilé ce que lui coûte ce programme de récupération, indiquant simplement que les coûts sont liés au poids des matières.

Un représentant de la SQDC s’est rendu à Fergus, en décembre, pour visiter l’installation utilisée par TerraCycle, a indiqué à La Presse son porte-parole, Fabrice Giguère.

« Ça nous a amplement satisfaits », a-t-il déclaré.

Tri difficile

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« La technologie actuelle du tri optique ne permet pas de détecter les contenants et emballages en PET [polyéthylène téréphtalate, un plastique] noir et peut difficilement reconnaître ceux en PET opaque », explique Brigitte Geoffroy, de Recyc-Québec.

Si les contenants de plastique et les emballages de carton vendus à la SQDC sont récupérés par la collecte sélective, certains se butent cependant à un obstacle lors du tri. « La technologie actuelle du tri optique ne permet pas de détecter les contenants et emballages en PET [polyéthylène téréphtalate, un plastique] noir et peut difficilement reconnaître ceux en PET opaque », explique Brigitte Geoffroy, de Recyc-Québec, précisant que certains centres de tri disposent de l’équipement permettant de contourner ce problème, comme le Groupe Gaudreau, à Victoriaville. Rien n’oblige pourtant les fabricants à utiliser des contenants noirs. « L’emballage du cannabis doit être à l’épreuve des enfants et muni d’un sceau d’inviolabilité [et] le contenant immédiat doit être opaque ou translucide », a expliqué à La Presse Tammy Jarbeau, porte-parole de Santé Canada. « À l’intérieur de ces paramètres, les transformateurs de cannabis autorisés peuvent concevoir leur emballage et leur étiquetage comme bon leur semble », ajoute-t-elle. D’ailleurs, rien dans la loi n’oblige que les contenants soient en plastique. Éco Entreprises Québec n’a pas souhaité commenter le nouveau programme de récupération de la SQDC, mais sa porte-parole, Yourianne Plante, a indiqué à La Presse que « les emballages de cannabis illustrent une occasion de faire mieux ». « Nous tendons la main pour accompagner les producteurs et la SQDC qui souhaitent entreprendre une démarche d’écoconception de leurs emballages afin que ceux-ci se recyclent efficacement dans les bacs des Québécois », a-t-elle indiqué.

Projet-pilote concluant

La mise sur pied du programme de récupération des contenants de cannabis à la SQDC fait suite à un projet-pilote réalisé en juin et en juillet dans cinq succursales de Montréal, Québec et Saint-Jean-sur-Richelieu. Environ 45 kg de contenants ont été récupérés, soit environ 4600 contenants, affirme la SQDC, qui refuse toutefois d’indiquer quelle proportion des contenants vendus représente ce volume. « Pour nous, ces résultats-là ont été assez probants pour se dire qu’on peut déployer [le programme dans l’ensemble des succursales] », affirme Fabrice Giguère.