L’histoire n’a pas fait les manchettes. Mais dans sa vie, oui.

Le lundi 20 juillet, Stéphanie Evans a obtenu justice, plus de 25 ans après avoir été victime d’un crime sexuel.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Stéphanie Evans a été victime d’un crime sexuel à l’âge de 14 ans.

Le lundi 20 juillet, au palais de justice de Saint-Jérôme, son ex-beau-père, André Meyer, a plaidé coupable à une accusation d’exploitation sexuelle alors qu’il était en situation d’autorité et de confiance vis-à-vis d’un adolescent.

L’homme de 74 ans a écopé d’une peine de deux ans moins un jour d’emprisonnement avec sursis, deux ans de probation et 20 ans de restrictions, à la demande de la victime. Son nom est inscrit au registre des délinquants sexuels. Et Stéphanie a le sentiment qu’elle peut enfin tourner la page.

Lorsqu’elle a entendu le juge dire « coupable », elle a senti des larmes couler sur ses joues. Elles ont coulé de plus belle lorsqu’elle a pris connaissance de la lettre d’excuses que son agresseur avait écrite à sa demande.

Pour elle dont la vie a été volée à 14 ans, c’était un grand soulagement. « Ça ne m’aurait pas soulagée de l’envoyer en prison. Ce qui me soulage, c’est la reconnaissance des faits. C’est l’aveu de culpabilité. »

La toile d’araignée s’est défaite. La cage s’est ouverte. C’est ce que je voulais. Un poids énorme tombe de mes épaules pour laisser place à une légèreté jamais encore goûtée.

Stéphanie Evans

Le juge Sylvain Lépine a salué son courage. « Ça faisait du bien d’entendre ça de la part d’un juge. »

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Stéphanie était au seuil de l’adolescence quand sa vie lui a été volée. C’est arrivé en 1995. Une fin de semaine où sa mère était absente, son beau-père en qui elle avait mis toute sa confiance l’a saoulée et l’a agressée. « On parle d’une relation complète alors qu’on m’a mise sous l’effet de l’alcool à l’âge de 14 ans. »

À l’époque, elle a voulu dénoncer. Mais ce n’était pas si simple. « Je me rappelle être allée à vélo au poste de police peu de temps après. J’ai raconté rapidement ce qui s’était passé. Mais je n’ai pas voulu signer la déposition. »

Lorsqu’on lui a expliqué les étapes qui suivent une plainte à la police, elle y a renoncé. Après des années difficiles, son beau-père était arrivé dans sa vie comme le sauveur de sa mère, le sauveur de sa propre enfance trop souffrante. « Je me suis effondrée en disant : “Oui, mais… c’est la première fois que j’ai une maison. C’est la première fois que j’ai à manger tous les jours. Ma mère est retournée à l’école… Je ne veux pas.” »

Par la suite, un copain à qui elle s’était confiée a confronté sa mère, qui a divorcé. Stéphanie ne se sentait pas prête à faire une plainte à la police, bien qu’elle y songeait tout le temps.

En 2018, dans la foulée du mouvement #moiaussi, elle s’est dit : « Ça suffit ! » « Quand toute sa vie, on se fait dire : “Ben non, t’as menti, t’as attiré l’attention. Arrête de chercher le trouble… Ne ressasse pas cette histoire…” J’étais tannée. »

Encouragée par une amie proche qui l’a accompagnée au poste de police de Blainville, elle est allée déposer une plainte. Elle a été accueillie par l’enquêteur Cédric Bourgeois, pour qui elle n’a que de bons mots.

Il a été très professionnel, très à l’écoute, très attentif, très respectueux. Il m’a détaillé toute la procédure avant d’aller dans la salle de vidéo pour enregistrer mon témoignage.

Stéphanie Evans, au sujet de l’enquêteur Cédric Bourgeois de la police de Blainville

Stéphanie n’a que de bons mots aussi pour MCaroline Lafleur, procureure du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui l’a accompagnée dans la suite des démarches. « Je suis une de ces chanceuses qui ont croisé un policier qui les ont crues, un enquêteur attentionné et professionnel, une procureure du DPCP attentive et ayant beaucoup d’expérience dans ce type de dossier. »

Avec la vague de dénonciations dans les réseaux sociaux, on a beaucoup parlé des raisons pour lesquelles des victimes d’agression sexuelle ne font pas confiance au système de justice. Il y a urgence de s’y pencher. On a très hâte de voir à l’automne les résultats des travaux du comité d’élues transpartisan en mission pour rétablir la confiance et lutter contre les violences sexuelles.

(Re]lisez l’article « Quatre élues en mission contre les violences sexuelles »

Chose certaine, dans un contexte où la majorité des victimes qui portent plainte à la police n’obtiennent pas justice, on ne peut pas les blâmer pour cette confiance brisée. Entre 2009 et 2014, au Canada, la majorité (57 %) des agressions sexuelles déclarées par la police, à la suite de plaintes considérées comme fondées, n’ont pas été suivies d’une mise en accusation. Seulement 12 % ont donné lieu à une déclaration de culpabilité, selon les données de Statistique Canada.

En témoignant de son expérience positive et libératrice dans le système de justice, Stéphanie Evans ne cherche pas à condamner les victimes qui ne déposent pas de plainte à la police. « J’ai été chanceuse. Ça a fonctionné pour moi. Mais je ne dis pas que la voie que j’ai choisie est la seule et unique voie. Ce que je veux dire, c’est que ça peut être une voie. Je veux dire qu’il y a aussi de l’espoir. »

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Avant que ne soit présentée la sentence, Stéphanie a demandé au juge de s’adresser directement à l’accusé en lisant une lettre qu’elle lui a écrite. Pandémie oblige, elle était chez elle, dans une salle virtuelle du palais de justice. Elle ne voyait sur son écran que les mains de l’accusé, qui était dans la salle d’audience.

Dans sa lettre, Stéphanie a dit à son ex-beau-père comment le « sauveur » de son enfance qu’il était s’est transformé en fossoyeur. « J’avais mis toute ma confiance de jeune fille, d’adolescente dans la personne d’autorité que tu étais. Ensuite, tu as abusé de cette confiance. A été détruite en moi toute possibilité de croire en l’adulte. L’adulte qui dirige, qui guide, qui accompagne. »

Elle lui dit qu’elle souhaitait qu’il prenne conscience de la douleur qu’il lui a causée. « De la vie insoutenable que j’endure depuis ce moment-là et de la famille dont j’ai été privée. »

Elle lui a dit qu’elle souhaitait qu’il soit écrit sur les murs, sur son visage et dans son livre de vie qu’il lui avait volé la sienne. « Je souhaite que tu prennes conscience aujourd’hui de l’étendue de l’humiliation que j’ai vécue et la souffrance que j’ai traversée. »

Elle lui a dit qu’elle souhaitait que personne n’ait à vivre ce qu’elle a vécu. « Il n’y a pas que moi qui sois victime. Il y a toutes les autres personnes qui ont mis leur totale confiance en des gens qui ont abusé de celle-ci. C’est pourquoi, avec conscience d’un devoir collectif, il me fallait dénoncer ce que tu m’as fait. Ceci pour aider d’autres personnes, d’autres victimes comme moi d’agression sexuelle qui sont restées, elles, sans mots. »

Elle lui a dit qu’elle ne croyait pas à la maxime « Œil pour œil, dent pour dent ». « Je crois que fondamentalement, tout être humain sur cette terre mérite d’être heureux, d’être réhabilité en cas d’écart. Je souhaite maintenant que tu fasses face à tes responsabilités et que moi, je me tienne finalement debout avec fierté. »