En cette semaine de prévention du suicide, deux personnes qui ont fait une tentative et qui y ont survécu se racontent. Elles rappellent à quel point chacun doit être attentif aux signes précurseurs – chez soi-même ou chez ses proches – et soulignent l’importance d’accepter ou d’aller chercher de l’aide rapidement quand ça ne va pas. – Propos recueillis par Louise Leduc, La Presse

Érick Légaré : « Je voulais juste arrêter d’avoir mal »

J’ai écrit un au revoir sur Facebook, puis je suis passé à l’acte. Grâce à la géolocalisation, on a pu me retrouver, juste à temps. Les pompiers ont réussi à me réanimer.

L’an dernier, un de mes amis m’a dit que quand l’ambulance est arrivée, il y avait 50 de mes proches autour de moi. Cinquante ! Tous des gens que j’aurais pu appeler pour leur dire que ça ne filait pas !

Si tu as un divan à déménager, tu appelles un chum, tu lui dis que tu vas lui payer la bière et tu lui demandes de venir t’aider. Mais quand ça ne va pas du tout, tu ne le fais pas. Pourquoi n’ai-je pas appelé à l’aide une seule de ces 50 personnes ?

La réponse est facile : parce que je ne voulais pas me montrer vulnérable. Je fais des combats extrêmes d’arts martiaux, je suis dans le break dance. Je suis un gars plein de tatous de 6 pieds 1 pouce, 185 livres. Le genre qui donne l’impression d’être fort.

La goutte de trop, ce 3 novembre 2016, c’est une rupture amoureuse. Mais le vrai problème, c’est que je n’ai jamais demandé d’aide.

Au cours de ma vie, j’ai toujours traversé les épreuves, en pensant que j’étais capable de les surmonter tout seul.

Mon geste n’était aucunement prémédité. J’ai eu un black-out total. Je ne voulais pas mourir. Juste arrêter d’avoir mal. Mes proches me tendaient la main et au lieu de la prendre, moi, tout ce que je voyais, c’est que j’étais un fardeau pour eux.

Ce qui est certain, c’est que ça n’arrivera plus jamais. Des idées suicidaires, je n’en ai plus.

Je suis trop conscient des dommages collatéraux que cela fait autour de soi. Je sais maintenant à quel point j’ai fait paniquer mes proches. Trois ans et demi plus tard, on s’inquiète encore pour moi.

Je m’en suis voulu longtemps…

Maintenant, quand j’ai un genou à terre, je n’attends pas d’être complètement à plat ventre. Je demande de l’aide. Le temps des Fêtes, par exemple, est toujours assez pénible pour moi parce qu’à l’âge de 7 ans, en plein temps des Fêtes, j’ai été abandonné par mes parents et confié à un orphelinat. Je sais que je suis plus fragile à cette période-là, et je ne m’en cache pas.

Je sais aussi que j’ai encore besoin de médicaments et je les prends sérieusement.

Les gens doivent être attentifs aux petits signes. Si un proche est toujours de bonne humeur et qu’il se met à perdre du poids, à s’isoler, à ne plus avoir envie de rien, il faut lui demander si ça va et lui offrir de nous en parler.

Je cachais bien ma détresse avec mes proches, mais au travail, j’ai une collègue qui a remarqué que je n’avais plus du tout ma bonne humeur habituelle, que je travaillais de plus en plus avec mon capuchon et des écouteurs sur la tête. Elle a pris la peine d’en parler à une superviseure.

Plusieurs personnes ont accès à des programmes d’aide aux employés. À moi, ça m’a beaucoup aidé. Ceux qui n’en ont pas doivent s’ouvrir à leurs proches ou appeler les services d’aide (voir référence au bas de l’article).

Le suicide au Québec

De 1000 à 1100 Québécois se suicident annuellement depuis 2010. Dans les trois quarts des cas, la personne qui se suicide est un homme. Pour la période de 2014 à 2016, le taux de suicide des hommes et des femmes augmente avec l’âge pour atteindre un sommet chez les personnes âgées de 50 à 64 ans. Le taux de suicide augmente aussi progressivement avec l’augmentation de la défavorisation matérielle, particulièrement chez les hommes. Les problèmes de santé mentale, la dépendance à l’alcool et aux drogues, la maltraitance dans l’enfance, l’isolement et l’absence de liens significatifs dans la famille comptent parmi les facteurs de risque.

— Louise Leduc, La Presse

Besoin d’aide pour vous ou un proche ?

>> Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553).
>> Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide

Myreille Bédard : l’espoir et les bons mots

J’ai fait deux tentatives de suicide dans ma vie.

La première fois, le déclencheur a été une succession de stress, aussi bien positifs que négatifs. J’allais me marier et quelques mois avant le grand jour, mon conjoint et moi avons tous les deux perdu notre emploi.

PHOTO FOURNIE PAR MYREILLE BÉDARD

Myreille Bédard

Le mariage, ç’a été le plus beau jour de ma vie, mais deux jours après, c’est comme si l’adrénaline était retombée. Le stress accumulé, jumelé à une faille que je croyais colmatée – une faible estime de soi –, m’a assommée.

En dépression majeure, j’ai été hospitalisée pendant un an. Je fais partie des 30 % de gens qui font des dépressions résistantes aux médicaments, alors rien ne fonctionnait pour moi.

En dernier recours, on m’a proposé des électrochocs. J’ai d’abord refusé parce qu’ils ont si mauvaise réputation. Quand j’ai atteint le fond, j’ai fini par accepter. J’en ai eu 10, ce qui veut aussi dire 10 anesthésies générales. 

C’est ce qui m’a sortie de mon trou noir.

Mes proches venaient me voir, mais j’allais si mal que j’ai presque tout oublié de cette année à l’hôpital.

Mais je me souviens parfaitement bien de cette femme de ménage qui, juste en me souriant, sans engager outre mesure la conversation, me faisait du bien. Je voyais des médecins, des professionnels de la santé, dans une relation thérapeutique, mais elle, elle me ramenait à la simple relation d’humain à humain. Elle me ramenait à la vraie vie.

Je l’ai revue dans le métro par hasard des années plus tard et je lui ai dit qu’elle avait été importante pour moi. Elle m’a raconté qu’elle avait prié pour que je meure tant elle me voyait souffrir.

J’ai aussi revu une vidéo qu’on avait prise de moi, à l’époque. J’ai été frappée de voir à quel point, maigrichonne et décoiffée, je ressemblais à une petite fille qui revenait de la guerre.

J’ai eu une rechute en 2018. Je pense que je n’ai pas été assez vigilante aux signes. Un mois plus tôt, j’étais en pleine forme, puis j’ai eu une descente rapide, comme un glissement de terrain. Mais cette fois, mon rétablissement a été beaucoup plus rapide. J’ai eu le réflexe d’aller aux urgences, puis j’ai vite accepté les électrochocs.

Mais au-delà de la reconnexion avec les neurotransmetteurs, il faut voir s’il y a des changements à faire dans sa vie. Pour certains, ce sera de réévaluer son entourage, de changer de travail, par exemple, pour d’autres, de chercher à régler un problème de toxicomanie.

Pour ma part, j’ai repris l’activité physique, mieux respecté mes heures de sommeil, appris à dire non, repris aussi la création que j’avais délaissée.

Quand on est au plus mal, ce qui est essentiel, aussi, c’est d’avoir une ou des personnes qui savent te dire qu’il y a de l’espoir, que tu vas t’en remettre, qui croient à ton rétablissement.

Il faut le traitement, mais il faut aussi, beaucoup, l’espoir et les bons mots.

Myreille Bédard est l’auteure du livre Vaincre la dépression : l’estime de soi au cœur du rétablissement

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