Vous avez peut-être vu cette vidéo virale sur les réseaux sociaux où une équipe de sauveteurs extirpe une paille de plastique de la narine d’une tortue. En la regardant, j’ai éprouvé une étrange sensation de soulagement au moment où l’objet a été retiré. Je me suis même frotté le nez par mimétisme.

Le sauvetage animal est devenu immensément populaire depuis quelques années. Un goéland embourbé dans des sacs de plastique, un dauphin pris dans un filet, un raton laveur la tête coincée dans une boîte de conserve… Hop ! Une bande de sauveteurs arborant un pantalon kaki et un chapeau à la Indiana Jones débarque et vient à la rescousse du vulnérable animal. Tout cela est évidemment immortalisé, XXIe siècle oblige, par une caméra.

Les secouristes du monde animalier sont les nouveaux héros de notre époque.

Partout dans le monde, on retrouve de ces équipes. L’une des plus connues est à Los Angeles et se nomme SmART, pour Small Animal Rescue Team. Ses opérations, avidement suivies par le public, ont remplacé l’engouement connu dans les années 1990 pour l’émission Alerte à Malibu. Autres temps, autres sauvetages.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Scène automnale au parc Michel-Chartrand de Longueuil

C’est ce phénomène qui m’a amené à m’intéresser à l’organisme qui est à l’origine de la protection des cerfs de Longueuil. Il s’agit de Sauvetage Animal Rescue. Le « rescue » est là pour séduire les anglophones « beaucoup plus sensibles à la cause des animaux », m’a dit Éric Dussault, fondateur de cette entreprise unique en son genre au Québec.

Sauvetage Animal Rescue est une société par actions créée il y a quatre ans. Elle fut un OBNL (Urgence Animale) pendant quelques années avant de devenir une entreprise lucrative. Elle vit de cotisations annuelles (30 $, 60 $, 120 $) d’environ un millier de donateurs.

Éric Dussault a comme objectif de permettre la création d’autres franchises ailleurs au Québec. Un projet en Abitibi est en préparation.

La quarantaine de membres de l’équipe (sauveteurs, vétérinaires, techniciens en santé animale, etc.) sont tous bénévoles. Les seuls salariés sont Éric Dussault et sa conjointe, Isabelle Vachon-Girard.

Au sein du groupe, on retrouve des professionnels qui travaillent normalement en urgence au service des humains : des pompiers, des paramédicaux, des policiers.

« Nous ne sommes pas une bande de véganes avec une pancarte en permanence au bout du bras », tient à préciser Éric Dussault.

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Sauvetage Animal Rescue intervient sur demande. Votre chien est à la dérive sur une rivière ? Votre chat est pris dans un arbre ? Vous appelez Sauvetage Animal Rescue qui, moyennant une somme d’argent, va procéder à une opération de sauvetage.

Quand il s’agit d’un animal itinérant ou d’un autre provenant de la nature qui est en détresse, les choses se compliquent. « Personne ne veut assumer la facture, dit Éric Dussault. On pige alors dans nos cotisations. »

Éric Dussault le reconnaît, la relation avec le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, les SPCA et les services animaliers embauchés par les municipalités n’est pas toujours harmonieuse.

« Pour ce qui est des services animaliers, on leur enlève souvent une épine du pied, car il y a plein de choses qu’ils ne peuvent faire. La SPCA nous refile facilement une dizaine d’appels par jour. Pour ce qui est de l’administration de la Faune, c’est plus compliqué. On nous voit comme une menace. »

L’homme ne s’en cache pas : l’intervention de son entreprise dans l’affaire des cerfs que la Ville de Longueuil s’apprêtait à euthanasier lui a procuré une bonne « visibilité ». Aidée par Anne-France Goldwater, sa société a réalisé un bon coup publicitaire.

« Honnêtement, ça m’étonnerait qu’on nous choisisse maintenant pour mener l’opération avec les cerfs, dit Éric Dussault. Ç’a été difficile pour la mairesse [Sylvie Parent] de faire volte-face. Elle doit être un peu hargneuse quand elle pense à nous. »

Ce coup d’éclat accompagne la diffusion, en janvier prochain, de la série Sauvetage animal sur TVA. Dans les 12 épisodes qui ont été produits avec l’équipe de Sauvetage Animal Rescue, on verra différentes opérations, dont certaines qui ont été tournées en Australie lors des incendies de 2019.

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Les êtres humains sont faits de millions de contradictions. D’un côté, il y a ceux qui s’adonnent à la chasse et qui s’abreuvent aux nombreuses émissions consacrées à cet univers. De l’autre, il y a cette tendance grandissante au sauvetage animal.

Lorsque j’étais jeune, on se contentait d’admirer la beauté du monde animal. Souvenez-vous des vignettes du Service canadien de la faune qui, au son d’une petite flûte tristounette, nous présentaient le comportement de la gélinotte huppée ou du renard roux en période de reproduction.

Aujourd’hui, on en veut plus. On veut que Tom Cruise, héros de Mission impossible, saute du 14e étage en moto pour sauver une mouffette qui s’est cassé une patte.

J’ai demandé à Éric Dussault comment il expliquait notre grande fascination pour les sauvetages d’animaux. « Ma génération a grandi avec l’idée que les animaux sont gentils et font partie de nos vies. On réalise aujourd’hui que nous avons une responsabilité envers eux. Ça va assez mal dans le monde que ces histoires font du bien. »

Éric Dussault a raison quand il parle de bien-être. Mais je vais me risquer à une autre explication plus périlleuse et moins romantique. On aime sauver les animaux et on aime mettre en scène ces opérations, car cela assure notre suprématie sur le monde animal.

L’être humain, par sa force et sa supériorité, aura toujours une ascendance sur les autres maillons de la chaîne de la vie. C’est la loi du plus fort. Du plus puissant. Cette loi dicte tout, même aux humains entre eux.

En retirant le filet qu’il a lui-même entouré autour d’un dauphin, l’être humain fait rouler le commerce des indulgences. C’est l’évidence même. Mais malheureusement, cela est comme la poutre dans l’œil.

Ou la paille dans la narine.