Les vieux, c’est rendu comme les écureuils volants. On sait qu’ils existent. Il y a des photos. On écrit des articles là-dessus. Leurs mœurs sont décrites avec précision par les spécialistes. On sait ce qu’ils mangent et à quelle heure. Où ils habitent.

Mais on n’en rencontre jamais.

« Vieux, moi ? Voyons ! »

Et c’est dit avec un mélange d’incrédulité et de scandale, comme si vous suggériez qu’il a des membranes sous les bras et vole d’arbre en arbre la nuit venue.

Non, il n’est pas vieux. Sa voisine de palier est vieille, oui. Son oncle est vieux. Mais pas lui.

En utilisant le mot « vieillard » pour parler de Bernie Sanders et Joe Biden, je me doutais que les accusations d’âgisme ne tarderaient pas.

PHOTO MARK FELIX, AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe Biden, candidat à l’investiture démocrate

Je me suis dit, pour varier, on va mettre « têtes blanches » dans le titre.

Oh là là !

« Candidats aux cheveux blancs ? On peut les avoir blancs à 30 ! Et Trump, lui, à 73 ans, ses cheveux, vous croyez qu’ils ne sont pas blancs ? » Non, madame. D’abord, Trump, ce ne sont pas ses vrais cheveux. Ce sont des filaments de duvet de poussin naturels orange. Vous savez ceux qu’on voit, multicolores, aux centres commerciaux ? Ben, quand Pâques est passé, on recycle leur plumage pour en faire de magnifiques perruques aériennes.

Et Churchill ? Et de Gaulle ? Et Adenauer !

Pour Churchill, sa période glorieuse fut son premier mandat, en pleine guerre, de 1940 à 1945, donc de 65 à 70 ans. Il est revenu au pouvoir de 76 à 80 ans et est demeuré député jusqu’à 89 ans. De Gaulle a été élu président à 68 ans et est demeuré au pouvoir 10 ans. Adenauer, chancelier allemand après la défaite nazie, détient le record pour une démocratie occidentale. Élu à 73 ans, il a quitté le pouvoir à 87.

Bien. Ça prouve quoi ?

Ça prouve qu’on peut avoir largement dépassé l’âge de la retraite et occuper les plus hautes fonctions dans un État démocratique. Mais ça prouve aussi que la chose n’est pas commune, et pour ne considérer que ces trois exemples, ils sont le fruit de circonstances historiques tout à fait extraordinaires.

Je ne pense pas que d’avoir 79 ans, âge qu’aura Bernie Sanders en septembre, disqualifie un candidat.

Mais si la langue française a encore ses droits, il s’agirait bien d’un vieillard. Le mot est utilisé chez les auteurs classiques pour désigner des gens bien plus jeunes.

Vieillard tout à fait vert. Vif. En pleine possession de ses facultés intellectuelles. Avec des visées révolutionnaires.

Mais vieux quand même.

Mais oui, il y a plein d’avantages à la vieillesse. On n’a qu’à regarder à Ottawa pour voir que l’image de jeunesse de Trudeau s’accompagnait d’une impréparation évidente.

Si je parlais de l’âge des deux candidats démocrates restants, c’est surtout pour m’étonner de l’absence de relève forte dans cette période historique que ce parti juge critique.

Comment ça se fait ?

***

N’empêche, y a plus de vieux.

« Plus », dans le sens de « il n’y en a plus » : personne ne se déclare vieux. Ou alors par coquetterie, pour se faire dire : « Ben non, t’es pas vieux. »

C’est une bonne nouvelle. Je n’ironise pas du tout. Il n’y a pas si longtemps, passé un certain âge, on se déclarait caduc, trop vieux pour faire ceci, trop vieux pour faire cela. Il ne restait qu’à se bercer et à éviter toute forme d’excès.

Et comme vous savez, c’est la meilleure recette pour accélérer le vieillissement : démissionner de la vie. Ceux dont Chateaubriand dit qu’en traînant sur la Terre ils ont vu mourir non seulement leurs amis, mais aussi leurs idées, et qui se sentent d’une race « différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle ils achèvent leurs jours ».

Le refus de vieillir, la vie plus active, la meilleure éducation, la meilleure alimentation, etc. Tout ça est une formidable nouvelle.

Parce que… y a « plus » de vieux dans un deuxième sens : il y en a davantage.

Le poids démographique des 65 ans et plus va exploser sous peu. Alors aussi bien se préparer : des carrières politiques de gens de 80 ans, il y en aura. Comme il y a des artistes de 80 ou 90 ans, et qui sont pertinents.

Les derniers textes de Leonard Cohen sont sublimes et bouleversants. Ce n’en sont pas moins ceux d’un vieil homme.

La présence en fin de course démocrate de deux hommes qui seraient octogénaires pendant leur premier mandat dit quelque chose sur l’état de la démocratie américaine, il me semble.

C’est peut-être le refuge d’une nation en quête de rassurance.

Peut-être la réponse démocrate à la nostalgie conservatrice : la recherche d’une autre sorte de bon vieux temps américain, progressiste.