Dimanche, des milliers et des milliers de Québécois vont s’asseoir devant leur télé, pour regarder le Super Bowl. Pour beaucoup, ce sera leur premier et leur dernier match de football de la saison. Ils sont là pour le kick. Pour les ailes de poulet, pour la bière, pour les pubs, pour Jennifer Lopez. Pour plein d’autres bonnes raisons que leur passion pour le ballon ovale. Et c’est bien comme ça. Plus on est de fans, plus on rit !

Surtout que cette année, il y a une raison de plus de faire partie de la fête. Une raison profonde. Une raison viscérale. Une raison patriotique : Laurent Duvernay-Tardif. Un Québécois joue dans l’évènement sportif annuel le plus big de la planète. Ça n’arrive pas souvent. Il y a de quoi être fier. Et on l’est.

Dès le début de la partie, ça va crier dans les chaumières : « Laurent ! Laurent ! Laurent ! Euh… Il est où, Laurent ? » Ceux qui s’attendent à voir aussi souvent Laurent Duvernay-Tardif dans leur télé que l’on voit Félix Auger-Aliassime durant un match de tennis, Phillip Danault durant un match de hockey ou Russell Martin durant un match de baseball vont être déçus.

On ne verra pratiquement pas Laurent Duvernay-Tardif du Super Bowl. Pas parce qu’il va rester sur le banc. Pas parce qu’il va traîner les pieds. Oh que non ! Duvernay-Tardif sera de toutes les poussées offensives des Chiefs de Kansas City. Au cœur de la mêlée. Toujours là. Toujours présent. Durant chacune des secondes de chacun des jeux à l’attaque. Mais la caméra ne le suivra pas.

La caméra n’aura d’yeux que pour Patrick Mahomes, le quart-arrière des Chiefs, que pour les receveurs des Chiefs, que pour les demis des Chiefs. Ce sont eux qui feront les exploits. Ce sont eux qui feront les points. Ce sont eux qu’on reverra au super ralenti.

Laurent Duvernay-Tardif, on ne l’apercevra que quelques furtives secondes. Dans des plans très larges. Faudra des jumelles, même sur votre grosse télé, pour discerner le numéro de son maillot. Le temps de le trouver dans la formation, et on ne le verra plus. La caméra suit le ballon. Et le ballon, Laurent Duvernay-Tardif n’y touchera probablement pas du match.

Alors que fera-t-il ? Duvernay-Tardif est un garde. Il empêche l’opposant, devant lui, de rejoindre le quart-arrière. Ou le joueur qui a le ballon. C’est ça, son travail. Être un obstacle. Se dresser sur le chemin de la défensive adverse, qui cherche à empêcher son équipe d’avancer sur le terrain. Son rival va essayer de le tasser, lui doit résister. C’est un rôle obscur. Mais essentiel. Si les gardes ne font pas leur boulot, le quart-arrière ne peut pas faire le sien. Et si le quart-arrière ne fait pas le travail, ça ne va pas bien.

Bref, ce n’est pas parce que vous ne verrez pratiquement jamais Laurent Duvernay-Tardif dimanche qu’il n’est pas important. L’essentiel est invisible pour les yeux, disait le joueur des Saints… Exupéry.

Et c’est ça qui est beau, dans toute la frénésie qui déferle sur le Québec à propos de la présence de LDT au Super Bowl. On tripe sur un joueur de ligne offensive. On tripe sur un garde. Personne ne tripe sur les gardes. Ce sont des anonymes dans la grosse business du football américain. Mais pour nous, dimanche, c’est la plus grosse vedette de la plus grosse partie. Parce que c’est un des nôtres. Et parce que, c’est aussi un être à part. Qui a réussi à atteindre la NFL tout en devenant médecin. Ayoye. Un esprit sain dans un corps sain. C’est de lui que parlait Juvénal.

Il n’y a pas juste le Québec qui s’extasie sur son cas. On l’a vu, cette semaine, dans plein de médias planétaires, à cause de son parcours atypique. Eux non plus n’en reviennent pas. On a beau laisser les joueurs de garde dans l’ombre d’habitude, son histoire est trop bonne pour ne pas la raconter.

Dans un monde où on nous dit qu’il faut toujours faire des choix, qu’on ne peut pas tout avoir, Laurent Duvernay-Tardif a tout pris. Les études avancées et le sport organisé. La tête et le casque. Et il a tout réussi. Gagne ou perd le gros bol, c’est un champion.

C’est un médecin, dont on parle beaucoup, à cause du football, et un joueur de garde, dont on parle beaucoup, à cause de la médecine. Raôul a raison. Toute est dans toute.

Si, à l’hôpital, Laurent est le médecin, le patron, le chef, le rôle principal, sur le terrain de football, c’est le garde-malade. Le préposé aux bénéficiaires. Le soldat. Le rôle effacé. Celui qui permet au quart-arrière d’opérer.

Un match de football ne se gagne que d’une seule façon, en équipe. Tous les exploits individuels sont, au fond, des exploits pluriels. Le quart-arrière ne réussit pas sa passe sans l’apport de chacun. Le demi ne réussit pas sa course sans l’apport de chacun.

On va donc regarder le gros show du Super Bowl en bonne partie à cause de LDT. Mais on le verra à peine. Et à travers lui, on va applaudir tous ceux que l’on voit à peine, dans les sports, en télé, au cinéma, dans les arts, dans la société, mais qui font que la magie se produit, que l’œuvre existe, que la scène est prête, que le chemin est libre.

L’invisible est essentiel.

Laurent Duvernay-Tardif est le plus célèbre des invisibles. Un invisible de 6 pieds, 5 pouces et de 321 livres. Un invisible incontournable.

C’est facile de rêver d’être le joueur étoile. Ça prend une tête et un cœur bien liés, pour rêver d’être Laurent Duvernay-Tardif.

Il nous fallait une idole comme lui. Pour être plus grand et plus utile.

Bon Super Bowl !