Les pères québécois sont de plus en plus nombreux à profiter des congés parentaux. Mais dans certains milieux de travail très masculins, les jeunes papas qui s’absentent plusieurs mois pour prendre soin de bébé sont encore vus d’un drôle d’œil.

C’est ce que révèlent des recherches qui seront présentées cette semaine au congrès de l’ACFAS. De nouvelles données en provenance du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) montrent que 70 % des pères ont réclamé un congé d’au moins une semaine en 2017, contre 56 % en 2006, la première année du régime.

« La hausse est constante depuis le début du régime et elle est significative », constate Claudia Giguère, actuaire en chef au Conseil de gestion de l’assurance parentale. La proportion des mères qui se prévalent d’un congé auprès du RQAP est de 78 %, contre 74 % en 2006. Rappelons que les parents qui ne sont pas sur le marché du travail ne peuvent réclamer de congés payés au gouvernement.

Si les pères sont plus nombreux que par le passé à prendre congé, ils s’absentent encore beaucoup moins longtemps que les femmes lors de la naissance de leur enfant. Leur congé moyen est de 9 semaines, contre 45 semaines pour les femmes.

Tous sexes confondus, au moins un parent réclame un congé parental dans 88 % des naissances au Québec. « Ça montre bien la popularité du régime », dit l’actuaire Claudia Giguère.

« Pratiquement toutes les familles où il y a un travailleur semblent venir au RQAP réclamer des semaines. » — L’actuaire Claudia Giguère

Partage en hausse

Le congé parental est de plus en plus populaire chez les pères : 37 % d’entre eux prennent maintenant ce congé en partie ou en totalité, contre 31 % il y a 10 ans.

« C’est toujours en hausse, mais c’est une hausse lente », observe Mme Giguère.

Fait intéressant, les statistiques permettent maintenant d’étudier le comportement des couples formés de deux femmes par rapport à la naissance (l’échantillon de couples gais masculins qui deviennent parents n’est pas encore assez important pour dégager des tendances, surtout que les chiffres excluent les adoptions).

Constat : les couples femme-femme partagent beaucoup plus le congé parental entre elles que les couples homme-femme (39 % contre 24 %). Le nombre de semaines est aussi partagé de façon plus égale.

Malaise dans le monde techno

Au-delà des chiffres, la sociologue et autrice Valérie Harvey a voulu savoir comment se sentent les hommes lorsqu’ils demandent un congé parental à leur patron. Elle a choisi l’industrie des technologies de l’information, du multimédia et des jeux vidéo, des mondes très masculins où les heures supplémentaires abondent.

Constat : le congé de paternité de cinq semaines auquel les pères ont droit passe bien. Au-delà de ça, c’est plus compliqué.

« Le congé de cinq semaines, c’est la normalité. Les pères ne se sentent pas mal de le demander. L’employeur le considère comme des vacances et ne remplace pas l’employé », explique Mme Harvey, qui a travaillé sur le sujet dans le cadre de sa thèse de doctorat à l’Université Laval.

Elle raconte que les pères de son étude qui ont pris des congés de 20 ou 30 semaines ont dû prendre leur courage à deux mains pour en faire la demande à leur patron.

« Dans ces cas, le stress était beaucoup plus grand chez les pères. Certains me disaient même qu’ils auraient renoncé si les patrons avaient eu des hésitations », raconte Mme Harvey, qui a interviewé 31 pères dans le cadre de sa recherche.

Oubliez par ailleurs la conciliation travail-famille : de retour au boulot après le congé parental, les pères ont affirmé qu’on s’attendait à ce qu’ils recommencent à enfiler les heures supplémentaires. « On considère que tu as eu ton congé et que maintenant, c’est comme avant. Les employés avaient le sentiment de trahir l’entreprise parce qu’ils ne pouvaient pas faire autant d’heures », raconte la chercheuse.

Mme Harvey a observé « quelques dépressions » dans son échantillon de jeunes pères. Certains ont aussi réorienté leur carrière vers un autre milieu.

« Avec les congés parentaux, les pères voient c’est quoi, s’occuper d’un bébé, dit Mme Harvey. Ils développent des compétences, une confiance, un attachement, et restent beaucoup plus impliqués par la suite. De façon générale, les pères québécois sont très impliqués quand on compare à ailleurs. Mais on voit qu’il reste du travail à faire dans certains milieux. »

Quelques témoignages de pères tirés de l’étude de Valérie Harvey

« L’annoncer, que j’allais prendre un congé, j’ai trouvé ça vraiment dur. Parce que j’étais le premier, que jamais personne n’avait fait ça. » — Pascal, 1 enfant, 22 semaines de congé

« Du fait qu’ils ne m’avaient pas remplacé, l’équipe avait développé un semblant d’autonomie […]. Je me suis fait un peu tabletter. Je n’avais plus de projets, je n’avais plus grand-chose à faire et j’ai l’impression que les congés parentaux ont contribué un petit peu à cet état-là. » — Megaman, 2 enfants, 8 et 10 semaines de congé

« Sans le congé, t’arrives à la fin de la journée et ta blonde est encore en pyjama, je me serais peut-être dit : “Oh, elle se laisse aller, elle est en dépression.” [rires] Alors que quand tu l’as vécu, tu sais que, des fois, tu as à peine le temps de manger, de prendre ta douche. Ça m’a permis de mieux comprendre la réalité, de plus aider… » — Nathan, 2 enfants, 9 semaines de congé pour chacun

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