Un artefact de la Perse antique exposé pendant six décennies au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) se retrouve au coeur d'une bataille judiciaire aux États-Unis et au Québec entre l'Iran et ses anciens propriétaires. L'oeuvre de 1,2 million de dollars volée à Montréal, puis retrouvée en Alberta dans un appartement rempli de cannabis et de LSD, a été récemment saisie par la police new-yorkaise en pleine foire. Récit.

L'objet de toutes ces convoitises est un bas-relief en calcaire façonné il y a 2500 ans à Persépolis, capitale de l'Empire perse, où se trouve maintenant l'Iran. Cet artefact de 20 cm représente le visage d'un garde perse et ferait partie d'imposantes ruines de l'ancienne métropole antique détruite par Alexandre le Grand.

C'est en janvier 1951 que le MBAM achète l'objet de Paul Mallon, un marchand d'art français installé à New York, selon un document déposé en cour. La facture ? 1005,10 $. Pendant 60 ans, le musée montréalais expose l'oeuvre publiquement sur plusieurs périodes.

Coup de théâtre en septembre 2011 : un voleur dérobe le bas-relief au MBAM. Le mystère est total. Les policiers le retrouvent trois ans plus tard à Edmonton chez Simon Metke. Cet homme avait acheté l'objet 1400 $ pendant une visite à Montréal, sans connaître son origine. Pendant deux ans, l'artefact ramasse la poussière dans une salle de méditation, aux côtés de figurines de Star Wars.

Les policiers trouvent du LSD, de l'héroïne et une kyrielle de drogues pendant la perquisition. Ce personnage haut en couleur, qui a bénéficié d'une absolution conditionnelle pour son crime, a inspiré le film Yoga Hosers au réalisateur Kevin Smith, dans lequel Johnny Depp interprète un personnage nommé « Guy Lapointe ».

Indemnisation de 1,18 million pour le MBAM

Entre-temps, la compagnie d'assurance du Musée, AXA Art Insurance UK, indemnise celui-ci pour 1,18 million de dollars. Quand l'artefact est retrouvé en 2014, le MBAM conserve la compensation financière et donne ses droits à la compagnie d'assurance. En 2016, AXA vend l'objet à deux sociétés britanniques, Sam Fogg Ltd et Rupert Wace Ancien Art Ltd. 

L'oeuvre a finalement été exhibée en octobre dernier à l'European Fine Art Fair de New York, une foire néerlandaise très réputée chez les collectionneurs. Devant une foule ahurie, des policiers saisissent l'oeuvre. « Nous sommes abasourdis », a dit Rupert Wace au New York Times. L'affaire fait le tour du globe.

L'artefact de la Perse antique a toujours appartenu à l'Iran et n'aurait jamais dû être acquis par le MBAM, prétend Téhéran, qui demande aux tribunaux américains de rapatrier le bas-relief.

PHOTO DÉPOSÉE À LA COUR

Contrat qui atteste de l'acquisition du bas-relief par le Musée des beaux-arts de Montréal, en janvier 1951.

PHOTO DÉPOSÉE À LA COUR

Contrat qui atteste de l'acquisition du bas-relief par le Musée des beaux-arts de Montréal, en janvier 1951.

Depuis un mois, l'artefact saisi est ainsi sous la garde légale de la Cour suprême américaine pour la durée du processus judiciaire.

C'est dans ce contexte que la compagnie d'assurance AXA a déposé la semaine dernière à la Cour supérieure du Québec une ordonnance de sauvegarde pour protéger ses droits et ceux des précédents propriétaires, dont le MBAM. « Il est urgent et impératif que la Cour intervienne pour prévenir que le bas-relief soit donné à l'Iran », indique la requête. 

On soutient que le musée montréalais a acquis l'artefact en 1951 dans le respect des lois. Cela n'a jamais été remis en question en 64 ans, plaide-t-on. La compagnie d'assurance mène cette bataille judiciaire, parce que ses droits, et ceux du Musée, sur l'objet antique seraient rétroactivement invalidés si la justice américaine tranchait en faveur de l'Iran.