Socalled fait du hip-hop klezmer, joue du piano et de l'accordéon et a lancé en avril 2013 la trame d'une comédie musicale qu'il a écrite. Urbania a parcouru avec lui les rues du Mile-End en sautant de l'anglais au français parmi la bière et les bagels.

Montréal, un jeudi soir de printemps, vers 22 h. Lorsque j'arrive à l'appartement de Josh Dolgin, alias Socalled, un demi-sous-sol situé dans le Mile-End, j'ai l'impression de mettre les pieds dans une caverne située idéologiquement pas très loin du marché aux puces St-Michel. «Sorry, mais je suis en train de rénover ma cuisine, il y a du stock partout. Look, my fridge is in the middle of the living room!» Je ne l'avais même pas remarqué, obnubilé par les centaines de disques vinyles, rangés dans une bibliothèque (seul îlot d'ordre dans ce joyeux bordel), par les marionnettes fabriquées de ses blanches mains et par le vieux camion de pompiers Tonka. C'est à peine si on voit le piano. Pas d'équipement hi-tech, sauf pour le portable Mac, sur lequel il est en train de travailler. Et une table tournante. «You want a beer? You don't mind if I roll a joint?» Oui, et non.

Dans son salon, avec sa bouille sympathique, ses lunettes vintage et ses cheveux qui lui donnent l'air d'un savant un peu fou, Socalled fouille dans ses nombreux cartons. «Regarde l'accordéon que j'ai acheté en Allemagne. C'est un Hohner, fabriqué en 1940. Des Nazis ont joué avec. Je m'en suis servi, là-bas, en concert. C'est ironique, non?»

Parce que Socalled est d'origine juive. Né à Ottawa, il a grandi à Chelsea, où il a appris le piano et l'accordéon, et c'est pour ses études en littérature qu'il a choisi Montréal, à McGill. En plus de faire de la musique, Josh fait de la photo (son dada est de prendre en photo des gens en train de le photographier), du dessin et a écrit dans le Hour. Un jour, il a découvrert que les vieux disques klezmer se mixaient très bien avec du hip hop. C'est à ce moment que s'est révélée son identité musicale: du klezmer rap! Comment tu réussis à faire tout ça, Josh? «Just give me a deadline, and I'll do anything!» En fait, ce qui est surprenant, c'est la désinvolture qui l'habite. Il n'a pas l'impression d'être exceptionnel. C'est juste qu'il a appris, un jour, à terminer ce qu'il entreprenait. «People have to learn finishing things. Écris ça, c'est important! You want to try my joint?»

Il nous demande ce qu'on veut faire. Je lui réponds qu'on le suit, que c'est à lui de nous montrer où il va. «Je ne sors pas tant que ça. Je suis beaucoup sur la route. Lorsque je suis ici, j'aime rester chez moi. Ce sont mes amis qui viennent me voir. Ils entrent, c'est tout. Quand je suis tout seul, c'est correct aussi. I'm a loner.» Josh préférerait rester là, boire de la bière, fumer des joints et parler de musique. Comme on doit sortir, il va jouer le jeu.

Premier arrêt: Club Social, rue Saint-Viateur

Piero, au bar, salue chaleureusement Josh. La place est vide. Le Canadien vient de se faire éliminer des séries, les gens n'ont plus le coeur à la fête et sont rentrés tôt. Pourtant, le jour, le café est rempli à ras bords de gens qui parlent fort. Premier pichet de bière, un panier de méli-mélo. Il est 23 h. On parle de la vie en tournée. Des rencontres. Des différences entre les pays. «L'Allemagne, c'est bien. But you go to Switzerland, and everything is better. Tu prends l'ascenseur, et ça ne fait pas un bruit.»

Dehors, la nuit est belle, c'est le mois de mai. On passe par les ruelles, parce que Josh les trouve belles et tranquilles. «Je suis arrivé dans le Mile End alors que personne ne voulait y habiter. Les loyers n'étaient pas chers. Then, all those hipsters came. It's not the same anymore.» Socalled se prête au jeu de Jean-François, le photographe qui nous accompagne. Il me confie qu'il est mal à l'aise de se faire mitrailler ainsi. «I feel like I'm followed by a paparazzi.»

Deuxième arrêt: Voro, rue Fairmount

Il est presque minuit. Le look design du bar contraste avec le côté vieillot du Club Social. On s'installe sur la terrasse et on commande d'autres bières. La serveuse nous apporte aussi du pain frais: ça fait une heure à peine qu'il est sorti du four, il sent bon. Il y a de l'huile d'olive, du vinaigre balsamique. Josh m'explique comment il compose, en tournée, dans la van: «J'ai la mélodie en tête. Je la retranscris note par note, par la suite, dans mon logiciel. C'est long..»

-    Quand as-tu commencé à faire de la musique?

-    Hmm. J'en ai toujours fait.

-    Et tes parents? Ils t'appuient dans ce que tu fais?

Il éclate d'un rire sonore. «Oui, ils m'ont toujours appuyé! Ça n'a jamais été un problème.» Il continue à rire. C'est que Jean-François, le photographe, Marianne, son attachée de presse, et moi, parlons en anglais, entre nous. «I don't speak French very well, but I understand it. C'est drôle que vous parliez en anglais, entre vous.» C'est pourtant ce qui arrive souvent, on en convient.

Son dernier projet, The Season, est la trame sonore d'une comédie musicale qu'il a lui-même écrite, dont il a fait les illustrations et pour laquelle il a conçu des marionnettes. Une sorte de projet casse-gueule, présentée qu'une seule fois, en 2011, au Théâtre Outremont, mais enregistré dans la même église où Arcade Fire a enregistré deux de ses albums. «J'ai appris avec ce projet-là que j'étais capable de lire et d'écrire la musique. So it's cool, because now, I can do whatever I want!»

On prend d'autres photos, Josh fait l'accolade à Jesse, un vieil ami d'école qui tient la place. Il décide que c'est le moment d'aller manger un bagel. Il a faim et décrète tout de go qu'on ne peut venir dans le Mile-End sans prendre des bagels. OK d'abord.

Troisième arrêt: Fairmount Bagel et autres satellites

Il est minuit et demi passé lorsqu'on arrive dans l'un des deux palais du bagel montréalais. Dans le Mile-End, soit tu es Fairmount, soit tu es St-Viateur. Il faut faire un choix. Il y a déjà eu des bagarres à ce sujet. Des familles se sont déchirées et... Bon, peut-être pas, mais ça reste un sujet délicat. Toi, Josh, pourquoi préfères-tu Fairmount? «Parce que c'est le plus près de chez nous. Les deux places sont aussi bonnes, you know.» On achète aussi du fromage à la crème au saumon fumé. On dévore nos bagels assis sur un banc installé à même le trottoir. Tu en manges beaucoup? «Non, c'est trop facile! I prefer to treat them as a treat. Une récompense. On marche?» Allons-y. Faut bien digérer.

Sur la rue Saint-Laurent, un jeudi, vers 1 h 15 du matin, tous ceux qui sont à l'extérieur sont en train de fumer une cigarette, devant un bar. Des fêtards, pour la plupart. «Je suis content de pouvoir marcher dans la rue sans me faire embêter.Ici, les gens qui me connaissent, ce n'est pas parce que je suis Socalled. C'est parce qu'ils me connaissent, c'est tout.»

Arrêt au Waverly, sur St-Viateur, pour une pause toilette. Pourquoi ne pas en profiter pour boire des shooters? Josh n'est pas un habitué de la place, mais ça n'empêche pas une des serveuses de le reconnaître et de venir lui dire qu'elle trippe sur sa musique. On boit, on paie, et on sort. «It's too late for an ice cream, hey?» Devant le Royal Submarine, Josh propose: «Oh, let's have a hot-dog, they're good.» Pourquoi pas, un coup parti? On mangera plus léger demain.

Oui, ils sont bons. Toastés, avec de la laitue. C'est rare. Josh jase avec les proprios. À la télé, une énième reprise d'America's Funniest Home Videos. Des bébés qui se pètent la gueule. On parle des problèmes de drogue de Bob Saget, l'ancien animateur de l'émission. On termine nos hot-dogs. «That's it, man. I need to withdraw money, et je rentre me coucher!»

Lorsque je le quitte pour prendre mon taxi, je me demande s'il a passé une belle soirée malgré ses réticences du début. A-t-il eu du plaisir? Le lundi suivant, je le croise à la radio, il est venu faire la promo de son disque. Il semble sincère en me disant: «Hey man, it was really fun, going out with you, thanks!» Quand je pense qu'il voulait rester chez lui; il aurait pu choker, mais non, il a joué le jeu, et jusqu'au bout. Fake it until you make it, qu'ils disaient?