Sur l'échelle de roux, notre collaborateur Simon Painchaud se situe entre le roux cliniquement roux et Karine Vanasse. Bon an mal an, la couleur roux a - selon lui - fait une éclaboussure indélébile sur sa personnalité comme une tache de sauce à spaghetti sur une chemise neuve. Dans une démarche historique et philosophique, il s'est entretenu avec Valérie André, auteure de Réflexions sur la question rousse.

D'où vient ma rousseur? 

Biologiquement, c'est un accident de parcours dans l'évolution. Sur le plan scientifique, la rousseur peut être considérée comme une anomalie. Ceux qui n'ont pas de parents roux dans leur famille auront malgré tout 3 % des chances d'avoir un enfant roux. Vous pouvez avoir des roux chez les Noirs, les Blancs et les Asiatiques, car il s'agit d'une mutation dans la synthèse du pigment. Ce n'est pas considéré comme un pigment banal, comme le brun ou le blond. La rousseur authentique se caractérise par un teint extrêmement clair, des yeux pâles et une pilosité d'une teinte très particulière. 

Certains scientifiques croient que les roux disparaîtront d'ici une centaine d'années. Est-ce que ma teinte va véritablement partir au lavage? 

Il n'y a aucune raison que la rousseur disparaisse. Pas plus que l'albinisme. Le seul moyen qu'elle disparaisse, c'est si on procédait à une élimination d'embryons qui auraient subi cette évolution pigmentaire. Ce qui voudrait dire que la médecine accréditerait cette sélection, ce qui est hautement improbable. Il faut savoir que la rousseur est un gène qui a tendance à être dominant. 

Mais pas très dominant dans une cour d'école, si je me fie à mes expériences passées. Est-ce qu'être roux avant 1981, c'était pénible?

Pour résumer ce qui caractérise l'ensemble des époques, nous sommes dans une relation extrêmement ambiguë, voire bipolaire avec la rousseur. L'attraction et la répulsion se confrontent, comme c'est souvent le cas dans des phénomènes de minorité. Les sociétés anciennes n'avaient pas accès à toute cette connaissance scientifique, alors ils se tournaient vers des interprétations souvent de nature magique, religieuse ou superstitieuse. Dès le 4e siècle avant Jésus-Christ, on va assimiler les roux à des personnages hypocrites et fourbes en les associant au renard. On transpose donc sur l'homme les qualités ou les défauts de l'animal, et vice versa. Par une démarche similaire, on associera la rousseur au feu. Dans notre représentation, le feu est associé à la fois à la vie et à la mort, à la chaleur et aux forces diaboliques et aux forces surnaturelles. Cette analogie sera projetée sur les humains. 

Force diabolique et feu, on se croirait dans Twilight. Est-ce que leur épiderme éclipse encore leur personnalité?

Oui, c'est souvent le cas. On va désigner votre personnalité en vous traitant de roux ou de rouquin. Que ce soit positif ou négatif. C'est une idée de dépersonnalisation de l'individu qui est résumée à sa couleur de cheveux. Dans beaucoup de romans, la rousseur du personnage est également un facteur identitaire. On va très rapidement poser un diagnostic esthétique différent sur la rousseur des hommes et sur la rousseur des femmes. 

De quelle façon?

Dans le cas des hommes, historiquement, la rousseur a souvent été associée à l'antisémitisme. Par exemple, jusque dans les années 1920, on entendait dans plusieurs langues européennes l'expression «roux comme Judas». On n'a pas retracé de textes qui évoquent la rousseur de Judas, mais plutôt des peintures qui le représentent avec les cheveux roux. Dans l'imagerie populaire, on associe alors la rousseur de Judas à sa félonie, à sa traîtrise et même à son judaïsme. On se retrouve donc avec une forme de poids sémantique qui va toucher les uns et les autres. 

Est-ce qu'on réserve le même traitement aux femmes?

Pour la femme, il va y avoir un phénomène qui va davantage toucher à sa sexualité. Cette association est surtout bâtie sur l'imagerie du feu et de son association à la chaleur. On sait que dans l'Antiquité, dans certains quartiers de Rome, les femmes prostituées pouvaient arborer certaines coiffures et teintes de cheveux particulières. 

Lesquelles?

Difficile à dire. À l'époque, le latin ne permettait pas de différencier les subtilités des couleurs comme aujourd'hui. Il y a donc une certaine hésitation dans la traduction entre le blond et le roux. Alors, il y avait une association tout à fait artificielle entre la couleur de cheveux de ces prostituées romaines et celle des véritables rousses. Ce caractère sexué des femmes s'est même retrouvé sous la plume d'auteurs du 19e siècle comme Balzac, Zola et Maupassant. Dans les années 1880, certains médecins italiens et français écrivaient que les prostituées posséderaient un gène de la prostitution. Et que les femmes rousses seraient porteuses de ce gène. Ça va loin!

Peut-on dire que mes semblables sont moins persécutés de nos jours?

On se trouve aujourd'hui dans une époque où le métissage a beaucoup plus sa place. La différence n'est plus devenue un problème en soi. Et pour tout ce qui touche les femmes rousses, on vit dans une société où la sexualité est survalorisée dans les médias, le cinéma, la mode. Être une jolie rousse est aujourd'hui un avantage plutôt qu'un problème. Mais le phénomène d'internet a permis la résurgence de la haine du roux. Les gens se laissent aller sans la moindre autocensure, mais ils n'ont pas le sentiment de faire un acte de racisme. Si vous remplacez le mot roux par Noir ou Juif, vous encourez un procès. L'internet libère toute une gamme d'instincts.

En terminant, que diriez-vous à mon enfant roux si vous étiez sa marraine?

Je lui dirais que sa faiblesse momentanée fera sûrement sa force à un moment donné. On vit aujourd'hui dans une société où la singularité devient bien souvent un facteur de valorisation. Certains roux célèbres comme Sonia Rykiel en ont fait leur force. Mais malheureusement, la connerie n'a pas de frontière...