Wim Delvoye est un artiste belge qui s'est fait connaître avec Cloaca, une «machine à caca» qui a semé la controverse partout où elle a été exposée, notamment à Montréal en 2009. Mais Wim Delvoye, c'est pas juste ça, c'est aussi un tatoueur de cochon.

«Je viens de Wervick, un petit village agricole. Quand j'ai déménagé en ville à 18 ans, on faisait des blagues sur mes origines dans lesquelles il y avait souvent un cochon, comme: "Ton papa, est-ce qu'il élève les cochons? " La réponse, c'est non, il n'élevait pas de cochons!»

Malgré les apparences, l'idée de tatouer ces bêtes de ferme ne constituait pas une quelconque forme de vengeance pour Wim Delvoye. C'était plutôt l'envie de dénoncer la société de consommation dans laquelle on vit qui le branchait. «Aujourd'hui, la notion de prestige est très présente dans la vie de tous les jours. Pourtant, c'est difficile de faire une chose prestigieuse avec le cochon. Même chose avec le tatouage, qui a souvent été associé à la prison, aux marins ou aux soldats: ceux qui en portaient étaient des gens qui avaient un certain goût du risque ou qui étaient assez près de la mort. Dans le tatouage, on retrouve justement ce rapport entre la vie et la mort. Et cette friction qui m'intéresse beaucoup.»

Si Wim Delvoye a choisi de tatouer des cochons plutôt que des vaches ou des chèvres, ça n'a rien d'innocent. Bien que ces animaux soient certes considérés comme grossiers, ils sont aussi des symboles du capitalisme. «À la Havane, dans les années 1980, tout le monde avait droit à un cochon à la maison. C'était comme un compte en banque», donne-t-il à titre d'exemple. Le cochon, produit d'accroissement biologique et financier, permet effectivement à son propriétaire de faire du profit une fois abattu, découpé en morceaux puis vendu. C'est un produit qui rapporte.

Le jackpot

Les cochons ont bel et bien rapporté à Wim Delvoye. L'artiste a su en tirer profit en les transformant en oeuvres d'art, faisant de ces bêtes des objets convoités par les collectionneurs du monde entier. Ka-ching! Mais le succès de son «Art Farm» n'est pas arrivé du jour au lendemain: il s'est fait attendre.

Delvoye a commencé à tatouer des cochons en Belgique dans les années 1980. À cette époque, il les exposait, vivants, un peu partout en Europe. Il a mis un terme à sa production dans les années 1990 afin de se consacrer à Cloaca, la célèbre machine à excrément qui l'a fait connaître mondialement. Ce n'est qu'en 2003, alors qu'il se rendait en Chine pour une exposition, qu'il a recommencé à tatouer des porcs. «À cette époque, je sentais que la Chine n'était pas prête pour Cloaca, explique-t-il. Comme j'avais toujours eu envie de continuer le tatouage, j'en ai profité pour recommencer.» L'artiste fait donc construire une ferme aux alentours de Pékin, sur laquelle il élève seize cochons. Il engage des fermiers pour s'en occuper et s'entoure d'une équipe de 12 tatoueurs chinois pour l'aider à réaliser son oeuvre.

Alors qu'ils sont encore jeunes, les cochons se font tatouer pendant deux heures, une fois par semaine. L'opération se déroule sous une légère anesthésie («c'est pour calmer le cochon, mais surtout le tatoueur!»). Sur leur peau, Delvoye dessine des images issues de la culture populaire: logos de Louis Vuitton, d'Harley-Davidson, personnages de Disney et autres. Les cochons grandissent et grossissent sur la ferme, sous son oeil bienveillant et sous celui de ses acolytes.  Ils sont filmés, photographiés et exposés un peu partout en Chine.

La vie des cochons tatoués s'arrête généralement à l'âge de 3 ou 4 ans, au moment où, croulant sous leur poids, ils se cassent une patte. C'est alors qu'ils sont abattus et que Wim Delvoye décide de ce qu'il veut en faire: nettoyer leur peau, la congeler et la ramener en Belgique pour la faire tanner par un spécialiste et l'accrocher ensuite au mur comme on le ferait avec une peinture, ou faire empailler les bêtes, toujours en vue de les exposer. Malgré ces produits dérivés de l'oeuvre originale, l'artiste considère que «la plus belle pièce c'est de visiter la ferme, de voir les cochons ensemble.»

On vous entend déjà crier haut et fort que ceci n'est pas de l'art et que les pauvres cochons ne méritent pas un tel sort. Wim Delvoye a en effet eu son lot de plaintes de la part de diverses associations pour la défense des droits des animaux (coucou Brigitte Bardot!), accusations qu'il a toujours senties très injustes. «Ces associations cherchent le spotlight. Ils ne m'ont jamais dénoncé quand je n'étais pas connu et très actif, dit-il. C'est lorsque je me suis fait connaître avec Cloaca qu'ils m'ont trouvé et accusé. Et quand j'ai recommencé mon travail en Chine, la presse a dit, même si ce n'était pas vrai, que je voulais éviter les lois en Europe (ndlr : en Belgique, garder un cochon vivant coûte des milliers d'euros: il y a les vétérinaires, les vaccins, un paquet de lois et de papiers à remplir)» D'ailleurs, les cochons tatoués par Delvoye et son équipe sont beaucoup mieux traités que les pauvres bêtes qui finissent dans nos assiettes. En plus de se faire chouchouter par les villageois locaux, ils portent tous un nom et vivent dans des enclos propres et assez grands.

Habitué de brasser de la marde, Wim Delvoye a depuis poussé son «oeuvre» jusqu'à tatouer le dos d'un homme, Tim Steiner. Pour 150 000 euros, un collectionneur allemand l'a «acheté» et, en plus d'avoir le droit d'exposer son «bien» trois fois par année, peut disposer de la peau de l'homme à sa guise après le décès de celui-ci.

En tatouant des cochons, Wim Delvoye se moque de notre société de consommation et manipule les règles du marché de l'art. Ce projet fumant aura certainement contribué à faire de lui un des artistes les plus provocateurs de notre temps.