Dès que les lumières du bar s'allument pour éviter que nous sombrions dans un coma éthylique, le soudain besoin de fast-food nous revient en tête aussi vite que l'espoir de trouver quelqu'un pour baiser s'amenuise. À défaut de se faire manger, allons manger.

À 4 heures du matin, il flotte la même vibe à La Banquise que dans une cafétéria de polyvalente à l'heure du lunch. Un mélange d'euphorie, de gravy et de vomi. Au premier rang de cette joyeuse orgie, on retrouve toujours la même gang de caves. Vêtu d'un chandail Point Zero, le leader de la bande commande généralement quelque chose qui n'est pas sur le menu, juste pour faire rire ses ti-namis. À côté de lui, il y a le gars de Lachenaie qui essaye de cruiser la serveuse en désespoir de cause et son ami de Terrebonne qui trouve ça ben drôle de dévisser la salière...

Juste à côté, il y a la table de filles saoules qui les regardent de haut : les pitounes. Pour elles, l'heure n'est pas aux enfantillages, mais bien au debriefing. Devant leur poutine, elles évaluent la réussite de leur soirée en fonction du nombre de gars qu'elles ont repoussés et de ceux qu'elles ont frenchés. Quand elles mangent leurs émotions, chaque bouchée devient un acte sexuel, un affront au foodisme, un coup de pied balancé directement dans les couilles de Montignac.

Le petit couple qui s'est formé durant la soirée et qui s'offre un traitement de canal est aussi un incontournable de la bouffe nocturne. Lorsqu'on les regarde aller, ce n'est pas une érection que l'on sent tranquillement monter, mais bien une terrible envie de crier : «Get a room, câlisse!». Rappelons que bien des tourtereaux d'un soir ne se rendront même pas jusqu'à la banquette, la lumière des néons révélant souvent des détails restés cachés dans la pénombre du bar. Le grain de beauté avec un poil, le léger désaxement du globe oculaire ou encore le surplus de pilosité au menton de notre nouvelle bien-aimée sont ainsi révélés au grand jour. Dieu bénisse les néons.

Y a aussi la serveuse qu'on imagine roulant des ustensiles dans des napkins en buvant un Coke diète comme dans une pièce de Michel Tremblay. Elle a les cheveux blond cendré et elle appelle systématiquement les gars «cher» et les filles «ma belle». Même les laides. En la regardant travailler, on comprend mal pourquoi elle prend plaisir à servir de la poutine à des gens paquetés.

Dans un coin sombre, y a le vieux bonhomme avec un sourire en coin qui n'arrive pas à dormir et qui chantonne du Daniel Bélanger en complétant ses mots croisés. Y a les avocats en complet-cravate qui ont prolongé leur 5 à 7, les cuisiniers de chez Toqué sans leur toque, la fille qui dort la bouche ouverte avec de la bave qui coule dans son assiette, les cinquantenaires nostalgiques qui reviennent d'un hommage à Pink Floyd au Medley et pis des fois, Nicola Ciccone, quand on est ben chanceux...