Ils ont sur la conscience des meurtres ou des vols qualifiés; sur la peau, des tatouages; et dans le coeur, de vieilles blessures. Plusieurs fois par mois, ils se réunissent en silence pour méditer, alors qu'ils sont derrière les barreaux. La méditation en prison, qui gagne en popularité, procure beaucoup de bien à ceux qui la pratiquent.

Les racines de la souffrance

Lors de la conférence «Méditer en prison: une porte vers la liberté intérieure», La Presse a écouté les poignants témoignages de ceux qui amènent la méditation «pleine conscience» derrière les barreaux. Témoignages et confidences.

Sur la scène d'un auditorium de l'Université de Montréal, François, ex-prisonnier, consacre son vendredi soir de la fin du mois de mars à présenter son expérience de la pleine conscience, une méditation qu'il a apprise alors qu'il purgeait une peine de sept ans. «Cette pratique m'a aidé à aller en profondeur, à la racine de ma souffrance. J'ai commencé à mieux comprendre la loi de l'impermanence, la compassion, comment je fonctionne comme être humain. 

«Au début, j'étais assis et je me disais: "ah, shit, kessé ça ?" La méditation faisait sortir de vieilles habitudes de comportement, une attitude de "fuck this, fuck that". Mais au bout de trois jours à me concentrer sur l'espace sous mon nez, j'ai commencé à voir comment je pouvais prendre conscience, en douceur, de tout ce qui se passe en moi.»

Dans les gradins du pavillon de l'UdeM, un auditoire attentif, composé d'étudiants et de professeurs en criminologie ou en travail social, de même que de citoyens intéressés par la méditation, est venu écouter François et l'enseignante de méditation Roxanne Dault, l'aumônier bouddhiste Sean Gardner et Alexis-Michel Schmitt-Cadet, étudiant au baccalauréat en criminologie et bénévole dans les ateliers de méditation en prison.

Le psychologue Simon Grégoire, directeur du Groupe de recherche et d'intervention sur la présence attentive (GRIPA), anime cette plénière où l'on s'aventure dans des territoires rarement explorés, comme le monde des émotions et de la vulnérabilité. Pour les personnes incarcérées, privées de tout sauf de temps, la spiritualité y est enseignée autrement que par la voie religieuse. Et la prison, contre toute attente, devient un lieu de transformation personnelle.

«Autrefois, j'avais un tempérament impulsif, imprévisible. J'accumulais, ça explosait, puis je pognais une sentence fédérale. Cela fait plus de quatre ans que je n'ai pas consommé. La vie va tellement bien! La méditation me permet vraiment de trouver un temps d'arrêt», explique François.

Prisons intérieures

Formé d'une quinzaine de chercheurs, le GRIPA s'intéresse à l'impact de la méditation dans les secteurs organisationnels, scolaires, cliniques, carcéraux.

«On a la fausse idée que pratiquer la pleine conscience, c'est faire le vide des pensées», évoque Roxanne Dault, enseignante de méditation au sein de l'organisme Voie Boréale.

«Nous, ce qu'on fait, c'est le contraire : on reconnecte avec notre humanité, on se pose la question: "Qu'est-ce que ça veut dire, être un être humain?"»

«À Voie Boréale, on est curieux de ça, on se rencontre en gang pour pratiquer et échanger. Se retrouver en silence, il n'y a rien de plus fort que ça», souligne la jeune femme qui, depuis 2011, franchit plusieurs fois les portes sécurisées d'un pénitencier pour faire partager sa pratique à des prisonniers.

Pour Roxanne, l'expérience de s'asseoir sur le coussin en silence, c'est pareil pour tous, que l'on soit ex-motard ou yogi aguerri. «Pratiquer, c'est entrer en contact avec sa souffrance, avec la difficulté d'être un être humain. Chacun d'entre nous vit différentes causes et conditions qui font que des choses arrivent. Ce qu'on propose, c'est de reconnaître que les choses sont comme elles le sont, qu'elles peuvent changer si j'entre en contact avec ce qui m'habite profondément.»

Le programme de méditation en prison est né de l'initiative de deux enseignants de Voie Boréale, Pascal Auclair et Daryl Lynn Ross. «Cela faisait longtemps que Daryl voulait amener la méditation en prison. Avec une gang de bénévoles, on a commencé par y aller une fois par mois. Maintenant, on est rendus à trois mercredis par mois», évoque Roxanne Dault.

Et comment se passent les rencontres de méditation?

Du côté des bénévoles, le rituel de la visite commence toujours par un lourd contrôle de sécurité, comme le décrit Alexis-Michel Schmitt-Cadet. «Il faut montrer notre identité, passer les détecteurs de métaux et le chien renifleur, pour vérifier si on porte sur nous de la drogue. Et on entre dans la chapelle, où on va pratiquer.»

D'habitude, les groupes de partage réunissent de 10 à 12 gars. Après la séance en silence, les bénévoles partent d'un thème pour inviter les gens à faire part de leurs expériences. Lors de la dernière séance à laquelle Alexis a participé, il était beaucoup question d'espoir, raconte-t-il. «J'étais très impressionné par la profondeur de ce qui a été dit.»

«Les émotions en prison, c'est quelque chose de rare. Que des gars se permettent de parler ouvertement de tels sujets devant d'autres gars, c'est pas évident.»

«Et ils nous font toujours de bons desserts!», s'exclame en rigolant Roxanne Dault, qui met l'accent sur le sentiment de communauté créé par ces rencontres hebdomadaires. «Plusieurs de nos participants sont référés par la psychologue du pénitencier. Certains sont curieux, ils viennent une fois pour essayer, d'autres sont là pour le café et le gâteau et finissent par rester. Il faut savoir que comme bénévoles, nous sommes souvent leurs seules visites.»

Investir dans l'humain

Les recherches sur les impacts de la méditation en milieu carcéral sont encore à leurs balbutiements, indique Alexis-Michel Schmitt-Cadet, qui cite les constatations tirées d'une étude quantitative scientifique réalisée en 2003 en Israël. «On s'était alors aperçu que non seulement la pratique de la méditation changeait la relation à eux-mêmes des prisonniers, mais que cela avait un impact sur le plan de la sous-culture carcérale. Les liens avec les agents correctionnels s'en trouvaient améliorés, et les comportements délinquants diminuaient.»

Aux États-Unis, les initiatives pour intégrer la méditation en milieu carcéral prolifèrent. La fondation du cinéaste David Lynch, par exemple, donne depuis 35 ans des ateliers de méditation transcendantale dans les pénitenciers les plus violents des États-Unis. Selon le site web de l'organisme, les résultats observés sont notamment une réduction de 30 % du taux de récidive, moins d'infractions en prison de même qu'une réduction de l'anxiété, de la dépression et de la colère des prisonniers.

À l'heure actuelle, les ateliers de méditation en prison des environs de Montréal n'ont lieu que dans les pénitenciers pour hommes. En revanche, 90 % des bénévoles sont des femmes. «On est toujours super bien accueillies», précise Roxanne Dault, avant d'ajouter que 70 % des gens qui méditent en Amérique du Nord sont des femmes.

«Les hommes, qu'attendez-vous pour venir vous asseoir sur le coussin?», lance-t-elle.

Doing time, Doing Vipassana

Ce documentaire israélien réalisé en 1997 est une incursion dans un pénitencier de New Delhi jadis redouté pour ses méthodes autoritaires brutales, où la méditation Vipassana a été implantée comme outil pour réhabiliter les prisonniers.

«Une commissaire de police pas comme les autres»

La policière Kiran Bedi est à l'origine de ce projet novateur, qui a inspiré des pénitenciers partout sur la planète, qui vise à transformer la prison en centre d'apprentissage et de méditation. On peut découvrir sa philosophie via la conférence TEDWomen à laquelle elle a participé.

L'aumônier bouddhiste à l'écoute

Depuis l'automne 2013, Sean Gardner exerce le métier d'aumônier bouddhiste en milieu carcéral.

«Mon quotidien n'est jamais pareil. Je suis perçu comme une base, une source spirituelle pour les détenus», explique le jeune aumônier au parcours peu banal.

Pour celui qui s'est toujours identifié au mouvement punk et qui a longtemps entretenu un sentiment de marginalité, la voie bouddhiste s'est présentée un peu par hasard, lors d'une visite à la librairie Chapters à Montréal. Après des années de quête qui l'ont mené sur la piste de l'engagement social et de la philosophie, Sean Gardner est tombé sur Dharma Punx, récit autobiographique de Noah Levine, un enseignant bouddhiste californien tatoué jusqu'aux dents, qui s'est initié à la méditation Vipassana alors qu'il séjournait dans un centre de détention pour délinquants juvéniles. Dharma Punx a ni plus ni moins transformé la vie de Sean Gardner.

«Noah Levine suggère qu'il est révolutionnaire de méditer, de faire un travail d'amour et de compassion dans une société comme la nôtre. Pour moi, c'était une façon plus intelligente de vivre ses émotions.»

«Je trouvais que sa façon d'entrevoir le dharma était alignée avec mes croyances punk et à contre-courant de la société. Et pour moi, il n'y avait pas de meilleur endroit pour démontrer cette pratique qu'en prison.»

Sean Gardner a fait des retraites à Spirit Rock, en Californie, avec Noah Levine, et poursuit sa formation auprès de son maître. Son travail en milieu carcéral s'inspire de la communauté Against the Stream, fondée par Noah Levine, qui vient en aide aux gens marginalisés.

Au pénitencier, le travail de Sean Gardner consiste essentiellement à offrir un café aux gars, à les accompagner, à écouter sans jugement et à prendre part aux groupes de méditation. «On représente le côté plus humain. Parce que des fois, ça fait du bien d'avoir quelqu'un qui nous écoute.»

Qu'est-ce que le dharma?

Dans les enseignements bouddhistes, l'expression dharma est un mot en sanskrit, souvent employé pour signifier l'accomplissement du devoir, ou encore la voie pour faire cesser la souffrance. Tout dépendant de la tradition, dharma peut aussi signifier le bien, la vertu, la coutume, la vérité, le mérite...

Photo Marie-Andrée Landry, fournie par Sean Gardner

Sean Gardner exerce le métier d'aumônier bouddhiste en milieu carcéral.