La persévérance est-elle toujours bonne conseillère ? À partir de quel moment se transforme-t-elle en acharnement ? La psychologue et conseillère en orientation Isabelle Falardeau joue les rabat-joie en plaidant pour plus de lucidité, invitant les jeunes, dans certains cas, à abandonner leurs rêves.

D'ici deux semaines, des milliers d'étudiants sauront si, oui ou non, ils ont été acceptés dans le programme universitaire de leur choix. Mais que feront les 90 % de jeunes qui auront été exclus du programme de médecine ? Ou les 75 % de candidats refoulés du programme de techniques policières ?

Combien de fois ces jeunes vont-ils tenter leur chance avant de modifier leur parcours et de se réorienter ?

En 30 ans de carrière comme psychologue et conseillère en orientation, Isabelle Falardeau a rencontré beaucoup de jeunes gens qui ont été encouragés, à tort, à persévérer. À tort parce qu'ils n'avaient pas les notes ou les aptitudes pour percer le milieu convoité.

C'est un sentiment « d'exaspération » face à ce discours sans nuance de la persévérance qui l'a poussée à écrire ce livre.

« J'en avais marre d'entendre ça, nous dit-elle, parce qu'en 32 ans, j'en ai vu, des jeunes qui voulaient étudier en médecine, en pharmacologie ou en droit, mais qui année après année n'y arrivaient pas. Ce n'est pas vrai que la persévérance est toujours payante. On ne valorise pas le lâcher-prise, le demi-tour, ce n'est pas dans le langage courant. »

RECONNAÎTRE L'ACHARNEMENT

Isabelle Falardeau insiste : « Je ne dis pas qu'il ne faut pas persévérer, mais il faut savoir reconnaître la persévérance à outrance, qui pour moi est de l'acharnement. »

La ligne est parfois mince entre persévérance et acharnement. À quoi reconnaît-on la personne acharnée ? 

« D'abord, c'est une personne qui souffre psychologiquement, de manière plus ou moins consciente, parce qu'elle se trouve dans le pétrin. Elle accumule plus d'échecs que de réussites. »

- La psychologue Isabelle Falardeau

Dans Le piège de la persévérance, l'auteure multiplie les exemples comme celui-ci : « Une jeune fille qui veut être comédienne et qui fait des demandes dans des écoles de théâtre depuis trois ou quatre ans, mais ça ne marche pas. À partir de quand va-t-elle se lasser de ça ? Après deux échecs ? Trois ? Quatre ? Chacun a son seuil de souffrance... »

SE SURESTIMER

En prenant le parti du contrepoids de la persévérance, n'y a-t-il pas un risque de baisser les bras trop rapidement ? D'abandonner avant d'avoir tout donné, tout essayé ?

« Les gens ont plutôt tendance à avoir un biais d'optimisme, croit Isabelle Falardeau. Ils ont tendance à ne pas voir la réalité des exigences et à surestimer leurs capacités et sous-estimer les défis à relever. Il y en a qui vont peut-être se décourager face aux exigences et qui ne vont même pas tenter leur chance, mais je ne crois pas qu'ils soient si nombreux. »

Il existe pourtant de nombreux contre-exemples, faisons-nous remarquer à l'auteure. L'ex-joueur de centre du Canadien David Desharnais ne s'est-il pas fait dire toute sa vie qu'il était trop petit pour jouer dans la LNH ? Il a pourtant une très belle carrière. S'il s'était laissé décourager par les exigences de la Ligue, il serait passé à côté, non ?

« C'est vrai, reconnaît Isabelle Falardeau. Mais on parle de gens qui ont quand même beaucoup de talent. Je ne dis pas qu'il faut étouffer ses rêves et ne jamais tenter sa chance ! Ceux qui sont près du but devraient persévérer ! Mais quand on est loin de son objectif, il faut être lucide. Parce que ces gens qui s'acharnent, que j'appelle "des rêveurs enlisés", vont finir par avoir une mauvaise estime d'eux-mêmes. »

LÂCHER PRISE

Parfois, insiste l'auteure, il faut avoir la « sagesse » d'abandonner un projet qui devient inaccessible. « Des jeunes qui ont des troubles d'apprentissage qui veulent devenir pédiatres, il y en a beaucoup, mais il faut le dire, c'est pratiquement impossible pour eux d'y arriver. »

« Nos écoles sont pleines de gens qui n'auront jamais la possibilité d'atteindre leur rêve. Qu'est-ce qu'on fait avec eux ? Il ne faut pas les laisser tomber ! »

- Isabelle Falardeau

La psychologue croit que la thérapie de l'acceptation et de l'engagement est une façon d'aider ces personnes-là à se réorienter, à trouver un plan B.

« On leur demande : "Pourquoi tu veux aller en médecine ? Qu'est-ce que tu valorises là-dedans ? Qu'est-ce qui te fait peur à l'idée de ne pas devenir médecin ?" Pour comprendre quelles sont leurs motivations et leurs craintes. Pour les aider à poser des actions concrètes pour se rapprocher de leurs valeurs, mais de manière réaliste. »

LA CAPACITÉ DE S'ADAPTER

Le piège de la persévérance est un clin d'oeil à l'ouvrage de Russ Harris Le piège du bonheur, nous dit Isabelle Falardeau. « Dans les deux cas, c'est quelque chose qu'on veut à tout prix ! Les adultes, parents et éducateurs, doivent soutenir les jeunes de manière plus habile, sans les décourager, mais en demeurant lucides, souples. Ils doivent être capables de s'adapter. »

Le défi est grand, reconnaît l'auteure. Parce que le contexte de contingentement, dans certains domaines, encourage les jeunes à s'acharner.

« Ils sont victimes de ce système. Ils peuvent jouer le jeu un temps, mais s'ils ne réussissent pas, ils doivent évaluer d'autres options. Ceux qui y arrivent doivent aussi être soutenus, parce que le risque pour un jeune qui ne s'investit que dans ses études est qu'il se dise : "Je suis la note que j'ai eue à mon examen." Son estime de lui-même sera fragile. Il faut les amener, de temps en temps, à être autre chose qu'un étudiant et à réaliser qu'il y a plusieurs facettes à leur vie et à leur être. »

Le piège de la persévérance

Isabelle Falardeau

Septembre éditeur

112 pages

Image fournie par Septembre éditeur

Le piège de la persévérance, d'Isabelle Falardeau