Ils se sentent utiles parce qu'ils aiment leur travail. Mais aussi, parce qu'ils ont choisi d'exercer un métier, ou une profession, qui les valorise, les rend heureux, leur permet de se réaliser. La Presse a rencontré cinq oiseaux rares qui aiment leur boulot et qui ne se verraient pas faire autre chose de leurs dix doigts.

La travailleuse de rue et son sac à dos

Square Saint-Louis, près du métro Sherbrooke. Il fait froid. C'est l'hiver. Émilie Roberge, 27 ans, se tient au beau milieu du parc, son sac à dos posé sur un banc.

«Je viens de ramasser des seringues souillées dans mon petit bac jaune», confie-t-elle au journaliste de La Presse venu l'interviewer sur son lieu de travail.

La jeune femme est travailleuse de rue. Son «territoire», c'est le Plateau Mont-Royal. Sa mission: aider les plus mal pris de la société.

Ça fait trois ans et demi qu'elle travaille «dehors». Beau temps, mauvais temps. «Le travail de bureau, le 9 à 5, ce n'est pas pour moi!», lance-t-elle en riant.

Une confidente

Émilie Roberge va à la rencontre des toxicomanes pour leur distribuer des seringues, des pipes à crack, des condoms et des dépliants d'organismes de soutien.

«Je sais où les trouver et ils savent qu'ils peuvent me faire confiance», précise la travailleuse originaire de Sherbrooke.

Trois fois par semaine, elle remplit son sac à dos avec du matériel qui sera utilisé par ces personnes - elle insiste sur l'emploi du terme «personnes» - aux prises avec de graves problèmes de toxicomanie.

Et elle en profite pour récupérer des quantités impressionnantes de seringues souillées lorsqu'elle fait sa tournée des rues et des parcs.

«Les drogues dures font de plus en plus de ravages, constate-t-elle. Je ne juge pas ceux qui en font usage. Je tente simplement de les aider, de les écouter et d'être, parfois même, leur confidente.»

«Je vois des personnes qui dépensent des centaines de dollars par jour pour acheter de la drogue, souvent de mauvaise qualité, déplore-t-elle. Il arrive qu'elles se mettent à voler ou à se prostituer pour consommer.»

Sur le terrain, elle constate un grand désarroi, un mal de vivre profond, chez ceux et celles qui brisent leur vie à consommer jusqu'à sombrer dans le coma. Elle voit aussi de nombreux cas de maladie mentale, tant chez les adolescents que chez les jeunes adultes, les 18-30 ans.

«Je gagne beaucoup à accompagner ces personnes-là. C'est valorisant. C'est du donnant-donnant. J'apprends beaucoup à les écouter. Il m'arrive parfois de me demander comment ils ont fait pour en arriver là.»

Un environnement

La travailleuse de rue s'émeut lorsqu'elle parle des drames personnels que vivent ceux qui se retrouvent souvent sans abri. Elle ne cache pas que la période des Fêtes est particulièrement pénible pour ces laissés-pour-compte.

«Plusieurs n'ont pas de contact avec leur famille et on voit bien que ça les attriste, constate-t-elle. C'est dans ces moments-là qu'il faut être plus attentif et un peu plus disponible.»

Chose certaine, Émilie Roberge ne compte pas son temps pour se rendre disponible à toute heure du jour et jusqu'au petit matin, quand il y a urgence.

D'ailleurs, au début de sa jeune carrière, sa mère était inquiète de la voir travailler seule, dans un environnement parfois hostile. «Mais je l'ai vite rassurée, dit-elle. Je suis prudente. J'ai appris à évaluer les situations trop tendues.»

C'est que la jeune femme occupe deux emplois en intervention. À Plein Milieu, elle se déplace dans les rues et les parcs visités par les toxicomanes. Chez Cactus Montréal, dans son bureau, bien au chaud, elle reçoit souvent la visite des personnes qu'elle a aidées, ou accompagnées, dans la rue.

«Je distribue des seringues, certes, mais je vais aussi au CLSC, à l'hôpital, dans les palais de justice, soulève-t-elle. Je suis intervenante. J'interviens à ma manière.»

Un déclic

Ses semaines s'étirent sur 50 heures, et parfois même davantage. Son téléphone est souvent «ouvert».

«Ça me passionne, j'ai toujours voulu faire ça, se souvient-elle. Le déclic s'est fait au cégep quand j'ai su qu'il se donnait une technique en intervention en délinquance. C'est là que je me suis lancée!»

Mais qu'est-ce qui l'a amenée là? «J'ai le sentiment de pouvoir faire une différence en aidant», dit-elle.

«Je me sens libre, insiste-t-elle. Je fais mes affaires, j'organise mes horaires et, bien entendu, je suis toujours en lien avec mes patrons.»

Et elle a le look de l'emploi.

«Les gens que je ne connais pas pensent que je suis une personne du milieu, de la rue, s'amuse-t-elle à dire. J'ai beaucoup de tatous, des piercings, je suis habillée en noir et quand je dis que je suis intervenante, ça les étonne!»

Ce jour-là, quand La Presse l'a rencontrée au square Saint-Louis, un jeune qui passait par là lui a demandé une cigarette. «Ça fait aussi partie de mon travail», dira-t-elle après avoir offert une clope à l'inconnu.

La vie en rose dans les cônes orange

Lundi matin, 8 h 24. Ligne d'autobus 54. Angle de l'avenue Christophe-Colomb et du boulevard Crémazie. Les automobilistes s'impatientent. Les piétons piétinent. Un cycliste attend que le feu passe au vert.

Derrière le volant de son autobus de la Société de transport de Montréal (STM), Stéphane Langlois reste calme.

«À quoi ça sert de s'énerver?», demande-t-il.

Ça fera bientôt 15 ans qu'il exerce ce métier. Quinze ans à conduire un autobus et à se faufiler dans la circulation. Les cônes orange, il connaît. Les usagers qui bougonnent parce que l'autobus est en retard, il les a identifiés.

«J'aime mon travail, s'empresse-t-il d'ajouter. Il n'y a pas un matin où je me lève de reculons!»

«Je me sens utile, précise-t-il. J'ai le sentiment de rendre service. Je connais plusieurs usagers et je sais si l'un d'eux n'était pas à l'arrêt d'autobus la veille.»

Une attitude

Tout récemment, il s'est même vu remettre une carte-cadeau par deux clientes satisfaites.

Bon an, mal an, il reçoit plus ou moins trois lettres de félicitations transmises au service à la clientèle de la STM par des usagers qui souhaitent souligner la qualité de son travail.

Stéphane Langlois, 52 ans, ne se voit pas comme une exception. «Il y en a d'autres, comme moi, qui sont préoccupés par le service offert aux usagers, dit-il. Je crois d'ailleurs que c'est la voie à emprunter.»

«Quand on m'a embauché, à la Société de transport, je leur ai dit que je voulais faire les choses autrement, à ma manière. On m'a répondu que c'était exactement ce qu'on recherchait. On ne voulait pas nécessairement un chauffeur expérimenté qui avait conduit un camion-remorque!» 

Une attitude positive

C'est d'ailleurs une obsession pour ce Montréalais. Il a toujours cherché à bien faire les choses. Que ce soit au volant d'un autobus de 80 passagers ou de 110 passagers, dans sa version allongée, ou chez le concessionnaire automobile où il a travaillé pendant une quinzaine d'années avant d'enfiler son costume de chauffeur «professionnel» à la STM.

«Chez mon ancien employeur, se souvient-il, j'étais au service à la clientèle et je peux vous assurer qu'on avait des clients satisfaits!»

Stéphane Langlois réalise aujourd'hui que ce n'est pas l'effet du hasard s'il gagne sa vie dans les transports en commun et qu'il se sent dans son élément.

«D'aussi loin que je me souvienne, dans mon enfance, je rêvais d'être chauffeur d'autobus, évoque-t-il. Je garde des souvenirs mémorables de mes voyages en autobus, quand j'étais enfant et que mes parents m'emmenaient visiter les Floralies, dans l'île Notre-Dame, ou qu'on allait à La Ronde.»

«Mon père n'avait pas d'automobile, ajoute-t-il. Il n'en voulait tout simplement pas. On se déplaçait en autobus et en métro.»

C'était à une époque où les autobus de la défunte Commission de transport de Montréal étaient autrement plus polluants et moins performants que les véhicules de la STM, version 2016.

Les temps ont changé, et les conditions salariales se sont grandement améliorées depuis.

«Je touche un bon salaire et je suis bien content de mes conditions, convient-il. Mais je ne travaille pas uniquement pour la paye.»

Il faut le voir en action pour comprendre. Dans «son» autobus, il écoute la radio pour se tenir informé et il aime parler aux usagers tout en gardant les yeux rivés sur ce qui se passe devant, des deux côtés et à l'arrière.

Pour commencer l'année 2017, il changera de circuit d'autobus «pour se renouveler». On le verra rouler sa bosse sur le circuit 93, rue Jean-Talon.

«Ça me permet de voir d'autres usagers, dans des environnements différents», explique-t-il.

Des préférences

«Mais j'ai mes préférences, ajoute-t-il. Il y a des secteurs où le travail est plus facile, où les usagers sont comme des habitués.»

Stéphane Langlois ne cache pas que conduire un autobus demande beaucoup de concentration. «Il faut savoir observer et reconnaître certaines situations, dit-il. Il faut toujours agir de façon sécuritaire et penser en fonction des usagers.»

Il arrive, par exemple, que le chauffeur de la ligne 54 abaisse le niveau du plancher de son autobus pour permettre à une personne âgée, ou avec des problèmes de mobilité, de monter à bord plus facilement, sans se blesser.

«Je fais constamment du repérage, expose- t-il. Quand j'approche d'une intersection, je regarde à gauche et à droite, et si je vois un usager sur le point de manquer son autobus, je ralentis.»

Ce matin-là, la circulation était dense, et les automobilistes s'impatientaient. Mais Stéphane Langlois gardait sa bonne humeur...

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Stéphane Langlois conduit un autobus de la STM et il considère avoir emprunté la voie du bonheur au travail!

L'artiste du marché Jean-Talon

Marché Jean-Talon. Un jour de semaine. Une femme début quarantaine s'arrête devant la «cabane» de Giancarlo Bono. C'est la saison des sapins de Noël.

«Elle était nostalgique, raconte-t-il. Elle m'a raconté que ça faisait six ans qu'elle n'avait pas vu sa soeur, qui vit en Allemagne.»

Giancarlo s'interrompt.

«Quand j'entends de telles histoires, dit avec émotion l'Italo-Québécois âgé de 35 ans, je réalise que je suis doublement privilégié de pouvoir côtoyer quotidiennement les miens, au sein de l'entreprise familiale.»

Sa «carrière» de vendeur a débuté alors qu'il avait 10 ans.

«J'aimais beaucoup aller dans les serres avec mon père, évoque-t-il. Puis, un jour, il m'a amené au marché Jean-Talon, où j'ai commencé à vendre des produits de la terre.»

«Au début, dit-il, je n'étais pas vraiment à l'aise. Je travaillais avec mes cousins, qui étaient compétitifs. Mais, rapidement, on m'a dit que j'étais un bon vendeur. Et j'ai pris confiance en mes moyens.»

Au fil des années, cet ouvrier de la terre a développé son côté entrepreneur. Sa présence ne passe pas inaperçue quand il se met à l'oeuvre.

Il faut comprendre qu'il ne vend pas que du bonheur et des sapins baumier et Fraser durant la période des Fêtes. Au printemps, le kiosque Chez Michel, de la famille Bono, est totalement couvert de plantes de jardin.

L'été, et jusqu'à ce que l'automne perde son nom pour faire place à l'hiver, il devient un vendeur de poivrons, de piments forts et de gousses d'ail.

«Il m'est arrivé, il y a quelques semaines, de vendre des piments forts à un chef d'orchestre de Chicago, souligne-t-il. J'en ai profité pour lui parler de ma passion pour la musique!»

Scénariste et acteur

Parce que Giancarlo Bono est aussi scénariste et acteur.

«Le marché, c'est ma stabilité, tient-il à préciser. C'est ici que je me sens entouré, aimé, apprécié. Mais j'ai aussi besoin de m'exprimer à travers l'écriture et le théâtre.»

Giancarlo écrit des scénarios de film et il tiendra le rôle d'un mathématicien dans une pièce qui sera jouée au Théâtre du Plateau, l'hiver prochain.

Où trouve-t-il le temps de tout faire en même temps? «Quand on aime ce qu'on fait, répond-il, c'est facile de créer sa propre vie. Moi, j'ai choisi de faire ce que j'aime.»

«J'éprouve une grande satisfaction à parler au monde. Ça me nourrit. J'engage la conversation, je pose des questions. Je prends le temps de demander à mes clients: "Comment allez-vous aujourd'hui ?"» 

Au marché, il côtoie des marchands de fruits et légumes, des fromagers, des commerçants qui sont aussi ses voisins, ses amis. «J'ai grandi ici et je tiens à ce que ça reste un endroit où on fait de la place aux producteurs agricoles», insiste-t-il au sujet de cette institution montréalaise vieille de 83 ans.

Giancarlo Bono ne se prend pas au sérieux. Il admet lui-même qu'il aime rire, divertir et faire rire les gens quand il travaille. «Je me suis mis à chanter des chansons en italien, à la fin de l'été dernier, quand des touristes ont débarqué de leur autobus nolisé pour venir acheter des tomates», évoque-t-il.

«Ce n'est pas moi qui le dis, ajoute-t-il, mais si je me fie à ce qu'on raconte à mon sujet, on aime mon côté artiste et théâtral. On me donne toutes sortes de surnoms. On m'appelle l'Artiste, ou encore Hollywood!»

Giancarlo le dit sans gêne. C'est une machine à paroles, un verbomoteur qui a toujours une anecdote à raconter, une histoire touchante à mettre en lumière. «Je dirais que je suis à la fois un vendeur, un entrepreneur et un artiste», soulève-t-il.

La pauvreté

Avec le recul, Giancarlo, le «fils du marché», réalise qu'il a pris la bonne décision, le jour où il a décidé de s'investir dans l'entreprise familiale, qui a ses terres dans le quartier Saint-François, à Laval.

Pendant un temps, cependant, il a cru que sa vie était «ailleurs».

«Il a fallu que je m'éloigne, dit-il, et que j'aille faire du surf à Hawaii et porter mon sac à dos en Amérique centrale, pour que je me rende compte que je pouvais être bien ici, avec ma famille. Le contact avec le monde du marché me manquait.»

Giancarlo vient de passer un «gros mois intense» à vendre des sapins de toutes tailles à des clients, des «habitués», comme il les appelle. Il n'était pas dans le confort de son bureau et il a dû affronter le froid.

«Je dois avouer que c'est difficile, parfois, de passer des journées entières sur un plancher de ciment. Et c'est pire quand l'humidité se met de la partie. Mais je ne ferais pas un autre métier!»

photo IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Giancarlo Bono a ses racines au marché Jean-Talon.

Le garagiste qui voulait être musicien

Jeudi matin, 10 h 30. Il neige. C'est la saison des «changements de pneus» et des urgences mécaniques. On sent une certaine fébrilité au garage de Patrice Bédard.

«Chaque hiver, surtout les jours de mauvais temps, c'est comme ça, résume-t-il. Tout le monde prend rendez-vous en même temps ! Tout le monde arrive au garage avec un problème urgent à régler!»

Il vient tout juste de remplacer les pneus d'un client lorsqu'une femme, qui vient d'arriver, lui demande s'il peut remplacer ses essuie-glaces. Il enfile aussitôt son manteau et s'exécute. Les clients n'attendent pas.

«Je n'ai pas encore eu le temps de prendre mon deuxième café!», dit-il, avant de reprendre le travail.

Il sourit. Il ne se plaint pas de ses «conditions de travail». C'est lui, le patron, après tout.

Son garage à «trois portes», c'est sa deuxième maison. Ses clients, sa deuxième famille.

Placoter...

«On vient ici pour faire réparer son véhicule, mais aussi pour placoter, prendre un café, souligne le garagiste âgé de 48 ans. Je l'ai toujours voulu ainsi. C'est agréable.»

Ça fait plus de 20 ans que le mécanicien autodidacte répare des véhicules et qu'il voit revenir les mêmes clients, et parfois même, ce sont les enfants de ses «premiers clients» qui lui confient leur bagnole mal en point.

«J'ai le sentiment de rendre service, dit-il. Je me sens utile. Je veux que les gens aient confiance. Ma récompense, c'est lorsque je me fais dire que je fais du bon travail. Quand un client me dit: "Merci beaucoup, Patrice!", c'est ma paie. Je donne et je reçois. C'est ma philosophie.»

Il lui arrive d'en faire « un peu plus », de son propre aveu. «Je vais parfois chercher le véhicule d'un client et je le ramène dans l'entrée de la maison après l'avoir lavé, dit-il. Chaque fois, ça produit la même réaction. À tout coup, le client n'en revient pas! Ça crée de belles relations.»

Le service à la clientèle, il tient ça de son père Benoit, 85 ans, qui a longtemps été propriétaire d'un restaurant, aux limites de Sainte-Thérèse et de Blainville.

«J'ai grandi dans la cuisine du resto, dit-il, pour faire image. J'ai vu mon père aller. Il était généreux avec ses clients et son restaurant affichait presque toujours complet. Il s'amusait. Je m'amuse à mon tour.»

Son père est d'ailleurs toujours dans les parages. «Tous les matins, il est au garage. Il fait mes courses, jase avec les clients. Je suis chanceux de l'avoir près de moi, dans ma vie, dans mon commerce. Et les clients l'aiment bien.»

Il a beau «aimer» ses clients, il n'en demeure pas moins qu'il est dans les affaires. Il doit payer des factures et verser des salaires. Il se voit comme un chef d'orchestre dans son garage de banlieue. Un chef d'orchestre qui n'hésite pas à se salir les mains pour aider son équipe de mécaniciens.

«J'ai compris que, pour avoir des employés heureux, il faut leur permettre de se réaliser», dit-il.

«Je ne laisserai jamais un client quitter mon garage avec une auto qui présente un danger pour sa sécurité, quitte à renoncer à ce qu'il me paie la totalité de la facture, ou pas du tout, à la limite.» 

Un multitalentueux

Pourtant, avant de devenir garagiste, Patrice Bédard rêvait de faire carrière dans le show-business. Pendant cinq ans, il a fait la tournée des bars. Il a travaillé aux côtés de Toyo, l'actuel directeur artistique de Sylvain Cossette.

Puis, il s'est lassé des tournées.

C'est à ce moment-là qu'il a décidé de ranger son véhicule dans l'entrée de son garage. Il ne l'a jamais regretté. «Je fais un travail valorisant, résume-t-il. On me fait des cadeaux, on me donne de bonnes bouteilles de vin, du sucre à la crème, toutes sortes de gâteries.»

«J'ignore comment ça se passe dans d'autres garages, ajoute-t-il. Mais chez nous, dans mon garage, c'est souvent la fête.» Il aime entendre le bruit des moteurs, bien qu'il avoue candidement qu'il n'est pas un maniaque des cylindrées.

Il n'a pas non plus perdu sa passion pour la musique. Il joue du piano, gratte de la guitare, quand il rentre à la maison, après avoir vidangé l'huile-moteur. Et il aime écrire.

«J'ai cinq romans, dit-il. Des romans policiers avec des intrigues. Un jour, qui sait, je vais peut-être les publier?»

Et il y a sa fille Alyson, 21 ans.

«J'ai financé la production de son premier CD, lance-t-il fièrement. Elle a une belle voix. Elle donne dans le folk rock. Elle va réussir, j'en suis certain!»

Photo IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Patrice Bédard, le garagiste qui pianote et qui gratte de la guitare.

La vétérinaire rassurante

Ce matin-là, c'était plutôt tranquille à la clinique vétérinaire de la rue Fleury. Il n'y avait pas l'ombre d'un «patient» à quatre pattes dans la salle d'attente.

«Mais il y a des jours où il y a pas mal plus d'action et qu'on voit arriver en urgence des chats et des chiens malades ou blessés», raconte la vétérinaire Odette Girard, 52 ans.

Ça fait plus de 30 ans qu'elle soigne les petits animaux et qu'elle rassure ceux qui s'en occupent; qu'elle flatte les chats dans le bon sens du poil et qu'elle demande aux gentils chiens-chiens de lui donner la patte.

«Je me surprends à aimer encore davantage mon travail, confie-t-elle. C'est à la fois exigeant et valorisant. Ceux qui nous apportent leur animal sont souvent inquiets, angoissés. C'est un membre de la famille. Ils ne veulent pas le perdre, le voir mourir.»

Un deuil

La mort. Le deuil. Encore tout récemment, un de ses clients, un «monsieur âgé», a dû faire euthanasier son chien, son fidèle compagnon, parce qu'on n'acceptait pas les chiens dans la résidence pour personnes âgées où il est allé vivre, seul.

«Un an auparavant, il avait perdu sa femme, raconte-t-elle, touchée. La mort de son chien a ravivé une plaie encore vive, lui a rappelé le décès de sa femme.»

Odette Girard juge d'ailleurs tout à fait normal qu'un bon vétérinaire soit aussi un bon psychologue. On comprend facilement que son travail ne consiste pas uniquement à ausculter mademoiselle griffée ou monsieur bouledogue.

«C'est déchirant d'annoncer à une personne qu'on va peut-être devoir euthanasier son chat, ou son chien, dit-elle. Mais il y a aussi le scénario inverse. Parfois, il faut expliquer au propriétaire de l'animal qu'il faudra pousser nos analyses et que cela risque de faire augmenter la facture.»

Une réalité

À ce sujet, elle ne cache pas que les questions financières liées aux interventions en clinique ne sont pas toujours faciles à régler. Les propriétaires de quadrupèdes seraient plus nombreux, pour ces raisons, à souscrire à des polices d'assurance maladie pour couvrir les soins de santé de leurs bêtes.

«La pratique de médecine vétérinaire a beaucoup évolué ces dernières années, soulève-t-elle. On a maintenant des équipements à la fine pointe de la technologie et il faut les payer, ces équipements, pour améliorer la qualité de nos traitements.»

«Personnellement, je tente de m'ajuster en fonction du budget du client, quand un cas pose vraiment problème, souligne-t-elle. Je fais ce que je peux. Je comprends. J'aime les animaux. Mais il y a des fois où j'aimerais qu'on comprenne que je ne roule pas sur l'or parce que j'ai une clinique vétérinaire.»

«Avec mes années de pratique, j'ai réalisé que les propriétaires d'animaux associent souvent la mort de leur chat, de leur chien, à un deuil personnel, au décès d'un conjoint, d'un parent, d'un ami. Ces deuils sont liés, il ne faut pas les minimiser.»

Un choix

Odette Girard dirige un mini-hôpital doté d'une salle de radiologie, d'une salle d'anesthésie, d'une salle de chirurgie. «Nous sommes passés à l'ère numérique, relève-t-elle. On fait de la télé-médecine.»

Comme les humains, ses «patients» souffrent de cancer, de diabète et d'hyperthyroïdie, ou bien ils se sont fait mal à une patte, ou encore, ils souffrent d'embonpoint parce qu'ils mangent mal, ou trop bien.

Elle dit avoir fait «un choix», celui de prendre tout son temps pour poser le bon diagnostic et pour expliquer aux propriétaires des animaux malades ou blessés la marche à suivre.

«Je laisse le temps à mes clients de me parler, de parler de leur animal, de leurs inquiétudes, dit-elle. Une consultation peut durer jusqu'à trois quarts d'heure.»

«Je ne veux pas aller trop vite et risquer de perdre un animal, faute de traitements appropriés», ajoute-t-elle.

Chiens et chats

C'est un chien de 20 kg, un magnifique barbet âgé de 9 mois, qui a accueilli le journaliste et le photographe de La Presse à la clinique de quartier.

«Il faut aimer les animaux et le monde pour pratiquer la médecine vétérinaire», convient Odette Girard en présentant son chien prénommé Manny.

Dans sa clinique, elle fait d'ailleurs bien attention de ne pas forcer la cohabitation entre les chats et les chiens. Certains jours de la semaine, elle planifie des rendez-vous «exclusivement» pour les chats pour éviter que les félins ne soient en contact avec les chiens.

«Les chats et les chiens n'apprécient pas de se retrouver dans la même pièce, et dans une salle d'attente où ils sentent toutes sortes d'odeurs qui ne leur sont pas familières, a-t-elle observé. À vrai dire, les chats n'aiment pas tous les chiens!»

Comme c'est sans doute le cas pour les humains...

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Odette Girard aime les animaux et ceux qui s'en occupent bien.