L'attention qu'on leur porte dépasse les frontières des nouvelles sportives. Le public veut connaître leur vie, leur famille, leurs amours. Les commanditaires veulent s'associer à leur image. Mais comment ces athlètes dits «amateurs» réussissent-ils à se faire une place dans le coeur des Québécois?

Comment vendre un athlète?

Plus d'une fédération sportive rêve de surfer sur la vague de popularité d'un Alexandre Despatie ou d'une Marianne St-Gelais pour entraîner un intérêt envers leur discipline. Toutefois, ne réussit pas qui veut à charmer les médias et les commanditaires.

Au Québec, plus de 70 % de la couverture médiatique sportive sont dévoués au Canadien de Montréal. Le reste est consacré aux Alouettes, à l'Impact, aux joueurs de tennis Eugenie Bouchard et Milos Raonic, alors que les athlètes amateurs se partagent quelques miettes. «C'est difficile de se faufiler, confirme l'agente d'athlètes Marie-Anick L'Allier. Quand j'ai une grosse nouvelle, je vérifie souvent auprès du Canadien pour voir s'ils ont déjà quelque chose. C'est difficile de vendre le sport amateur.»

Collaborant avec Alexandre Bilodeau, Chantal Petitclerc, Charles Hamelin, Marianne St-Gelais et tant d'autres, elle continue de croire aux athlètes non professionnels. En plus de promouvoir leurs performances et leur image, elle leur apprend à développer de bons rapports avec les journalistes.

Sa règle d'or: la loyauté. «Les journalistes sont là dans les bons moments et il faut aussi savoir les servir durant les périodes moins faciles. Les athlètes doivent leur parler franchement de ce qui se passe.»

Et surtout, éviter les fameuses réponses préfabriquées. «Ils doivent être spontanés, avoir le sens du punch et se raconter de manière authentique. Un bel exemple, c'est Alexandre Despatie quand il est revenu des Jeux du Commonwealth à 13 ans et qu'il a partagé son envie de manger un bon Big Mac. Il n'y avait rien de planifié là-dedans.»

Un je-ne-sais-quoi de plus

Les grands rendez-vous multisports comme les Jeux olympiques ou les Jeux panaméricains sont l'occasion pour les athlètes de se démarquer. Par un résultat et même un peu plus... «Aux JO de Vancouver, Marianne ne figurait pas parmi les athlètes à surveiller et paf, elle a gagné deux médailles d'argent, avant de donner un gros french à son chum, rappelle son agente. Le public a découvert une fille pétillante, émotive et complètement neuve à ses yeux.»

Performance et authenticité forment une combinaison gagnante. Néanmoins, le professeur en marketing sportif de l'UQAM, André Richelieu, croit qu'un autre élément fondamental influence le sort des athlètes: leur histoire. «On ne peut pas uniquement célébrer une victoire, une médaille ou une course, qui sont toutes très concentrées dans le temps, souligne-t-il. Pour que le public adopte un athlète, on doit mettre en lumière son parcours, ses obstacles et ses alliés.»

Il devient donc impératif de montrer ses imperfections, ses combats et sa résilience. «Les gens ont souvent le sentiment que les athlètes sont des demi-dieux. En les humanisant, on en fait des héros qui leur ressemblent.»

Il cite Clara Hugues qui parle ouvertement de ses problèmes de santé mentale. Alexandre Bilodeau et la complicité qui l'unit à son frère. Joannie Rochette qui a perdu sa mère quelques jours avant son épreuve à Vancouver. Et Sylvie Fréchette, dont le fiancé s'est suicidé une semaine avant les JO de Barcelone.

Aux États-Unis, la patineuse artistique Nancy Kerrigan est devenue porte-parole de Disney après sa mésaventure avec Tonya Harding, qui l'avait pratiquement privée d'une médaille olympique en 1994. «On la comparait à Cendrillon qui avait été presque privée du prince charmant, illustre M. Richelieu. En plus, elle était l'incarnation de la détermination, de la candeur et de la gentillesse: trois emblèmes très forts chez Disney. Ça peut sembler très mercantile dit ainsi, mais les commanditaires sont à l'affût de ces opportunités.»

Le cas Kerrigan démontre l'importance de savoir associer le bon athlète à la bonne entreprise. «Il faut tomber dans leur clientèle cible et les aider à atteindre leurs objectifs. Que ce soit en augmentant la visibilité de leurs produits ou en prêtant l'image de l'athlète pour leur donner plus de crédibilité», résume Marie-Anick L'Allier.

Faire partie du top 5 mondial et avoir des chances de médailles olympiques, c'est bien, mais avoir un large réseau d'admirateurs, c'est encore mieux. «Les commanditaires veulent que ça bouge sur les médias sociaux, dit-elle. Par exemple, la page Joannie Rochette est suivie par plus de 125 000 personnes sur Facebook. C'est intéressant pour une entreprise de s'approprier un tel réseau.»

Avec les scandales qui entachent certains athlètes olympiques, pourquoi les entreprises continuent-elles de s'associer à eux? «Parce que malgré le dopage et la corruption, il y a encore un charme dans le sport olympique, répond André Richelieu. Les sportifs professionnels gagnent tant d'argent qu'ils sont dans une autre stratosphère. Il y a un début de désenchantement envers le sport professionnel, qui pourrait profiter aux athlètes amateurs.»

Confidences d'athlètes

Les entreprises veulent leur image, les journalistes écrivent leur histoire. Même si tout cela semble glamour, est-ce toujours une partie de plaisir? La Presse a questionné le patineur de vitesse courte piste Charles Hamelin et la plongeuse Roseline Filion. 

Aimez-vous participé aux événements de commanditaires, aux tournages et aux séances photo?

Charles: «Je le fais toujours avec bonne volonté et je veux que les gens passent un bon moment avec moi. Je participe à quelques événements par année, surtout à Montréal. Mais j'ai aussi participé au Red Bull Crashed Ice de Québec à deux reprises puisque l'entreprise me soutient. Si je dois refuser un événement, faute de temps, les commanditaires ne le prennent pas mal. Ils connaissent nos horaires.» 

Roseline: «Si ça n'interfère pas avec mes entraînements, j'aime participer à des événements glamour. Mais je suis rarement invitée à des lancements, des bals ou des cocktails. À l'inverse, je suis extrêmement intimidée par les shootings photo. Je ne suis pas à l'aise de poser de façon sérieuse et je doute encore de moi puisque je n'ai pas beaucoup d'expérience.»

Votre rapport aux médias a-t-il changé avec les années?

Roseline: «Il s'est amélioré. Moi, j'ai une grande gueule et j'aime raconter ce qui m'arrive, mais je ne le faisais pas de la bonne façon. Je me mettais souvent les pieds dans les plats. Certaines phrases étaient mal interprétées ou ne me mettaient pas à mon avantage. J'ai dû peaufiner mes messages clés, être concise et ne pas me répéter. Mais comme je souhaite baigner dans le domaine médiatique plus tard, j'aime travailler pour devenir meilleure.»

Charles: «Je suis beaucoup plus à l'aise devant la caméra. Avant, j'avais toujours des problèmes. Si je devais dire quelques lignes pour une vidéo, j'avais de la difficulté à avoir l'air crédible. Sinon, en général, je pense que le métier d'athlète consiste à performer ET à intéresser les gens au sport. J'essaie toujours de bien représenter le patinage de vitesse.»

Comment composez-vous avec les questions sur votre vie privée?

Charles: «Je vis bien avec le fait que les gens m'associent à Marianne [St-Gelais] et qu'ils savent ce qui se passe entre nous. Ça crée un mélange de questions drôles et d'autres plus sérieuses sur le sport. Souvent, ça nous rend plus intéressants pour les journalistes ou pour les commanditaires. Les gens nous connaissent mieux.»

Roseline: «J'ai parfois dit non à des demandes d'entrevue sur mon rapport à mon image, car je n'étais pas nécessairement bien dans mon corps. Mais sinon, je n'ai jamais refusé de répondre à une question par malaise.»

PHOTO OLIVIER JEAN, archives LA PRESSE

Charles Hamelin lors des de finales du 1000 mètres de la Coupe du monde ISU de patinage de vitesse en novembre 2015.

La stratégie du Fab IV

Quand les plongeuses Jennifer Abel, Meaghan Benfeito et Roseline Filion sont revenues des JO de Londres avec chacune une médaille au cou, Plongeon Canada a vu leur potentiel marketing et médiatique. En ajoutant à leur groupe un brillant espoir de médaille, Pamela Ware, la fédération a lancé la stratégie du Fab IV. 

L'objectif: promouvoir la force du groupe et les différences des quatre jeunes femmes. « Elles sont comme les Spice Girls du sport, car elles ont toutes leurs particularités», souligne Lawrence Baslaw, responsable de la campagne, qui a été lancée en vue des Jeux panaméricains de Toronto à l'été 2015.

Au total, la fédération canadienne a simplement organisé deux séances photo avec le quatuor, payé un designer graphique et ses employés à l'interne afin de promouvoir le tout. En échange, elle a gagné en visibilité. 

La nouvelle image des plongeuses leur a permis de ne plus être restreintes aux nouvelles sportives. Elles apparaissent désormais dans Coup de Pouce, le Best Health Magazine, le Canadian Living et sont invitées dans les talk-shows. «Pour moi, ce genre de couverture est plus important que les nouvelles sur leurs performances sportives, affirme M. Baslaw. On veut qu'elles soient reconnues pour ce qu'elles sont et pas seulement pour ce qu'elles font.»

Présenté aux commanditaires comme un concept malléable permettant le soutien d'un, deux ou quatre athlètes, le Fab IV a pavé la voie à plusieurs ententes. «Visa a impliqué Pamela et Jennifer dans sa campagne publicitaire mondiale. BMW et Bell se concentrent sur Roseline et Meaghan. De leur côté, Speedo et Procter & Gamble ont voulu s'associer aux quatre filles.»

Suivez le compte Twitter du Fab IV: https://twitter.com/FAB_IV

photo Steph Polic, photo fournie