Est-il possible d'enseigner à nos jeunes à se fixer des buts, et (surtout !) à apprécier autant les étapes vécues en chemin que la réalisation ? Même auprès de ceux que, « bof », rien ne branche vraiment ? Tout à fait, assurent plusieurs experts. Pause propose des pistes pour se mettre en marche en famille, mais tout d'abord, voici l'histoire de Lory-Ann Caron, de sa liste de souhaits... et de son destin tragique.

Le 28 juin 2014, le journal La Voix de l'Est et le site internet de La Presse publiaient la touchante lettre ouverte de Lory-Ann Caron. La jeune femme de 21 ans exhortait les lecteurs à vivre leur vie sans plus attendre.

Elle les enjoignait à dresser au plus vite la liste de leurs rêves et à tout faire pour les réaliser. En publiant ces mots, elle réalisait d'ailleurs un de ses souhaits les plus chers : être publiée dans un journal.

Or, au même moment, les proches de Lory-Ann la saluaient une dernière fois, réunis pour ses funérailles. Aussi enthousiaste qu'en bonne forme physique, elle a succombé quelques jours plus tôt à un anévrysme cardiaque.

« Ç'a été subit. Elle s'est levée un matin chez son amoureux. Ils ont ri, ils ont parlé... puis elle s'est sentie mal. Elle a perdu connaissance, et son chum n'a rien pu faire », raconte sa mère, Brigitte Dauphin, un an et demi après la mort de sa fille. Assise dans la salle à manger de sa maison de Granby, elle détaille tout le bien qu'une liste de rêves toute simple a fait à sa fille, à la fin de l'adolescence.

« Comme mère, quand j'ai lu sa liste, je n'ai vraiment pas aimé qu'elle écrive "Ma liste... avant de mourir". Je capotais. La liste, les objectifs, tout était parfait, mais le mot "mourir", je ne l'aimais pas. Par la suite, je me suis demandé si elle avait eu une prémonition. C'est jeune pour mourir, 21 ans... », raconte Mme Dauphin en serrant dans ses mains le carnet dans lequel sa fille a couché ses rêves.

Adolescente attachante, mais peu confiante en elle, Lory-Ann se cherchait. Comme bien des jeunes, elle n'avait pas mis le doigt sur ce qui faisait d'elle « la jeune fille extraordinaire » que sa mère et ses proches décrivent.

Jusqu'au jour où elle a écrit en grosses lettres « À 19 ans... décide de changer » dans son carnet.

« Quand elle a écrit cette liste, je l'ai vu, il y a eu un revirement dans sa vie. Ça l'a guidée pour avancer. C'est comme si elle s'était dit : "On part !" J'ai senti que ç'a été le moment culminant qui a fait en sorte qu'elle s'est débarrassée des petits monstres en dedans d'elle. »

Du youyou au piano

Brigitte Dauphin ouvre délicatement le carnet de rêves de sa fille, retrouvé quelques mois après sa mort. Derrière la couverture, cette déclaration, en anglais : « Si tu n'aimes pas les choses comme elles sont, change-les ! » Le ton était donné.

Puis, la liste. Quelques dizaines d'idées, à réaliser « avant de mourir ».

• Grimper au sommet d'un arbre.

• Composer une chanson.

• Se faire un ami dans un café.

• Embrasser un inconnu.

• Passer à la télévision.

• Organiser un événement.

• Monter à cheval.

• Faire un voyage humanitaire.

• Apprendre la guitare ou le piano.

• Lire plus de 100 livres.

• En faire une bibliothèque.

• Être une fille cultivée qui connaît beaucoup de choses.

[...]

En deux ans, la jeune femme a eu le temps de rayer quelques objectifs, comme « faire un trip ». Un rêve personnel probablement réalisé à l'occasion d'un de ses nombreux voyages, croit sa mère.

Elle a aussi développé « une complicité avec un animal ». Et pas n'importe lequel. Tout au long de l'entrevue, un youyou du Sénégal s'égosille dans la cuisine. L'oiseau auquel la jeune femme s'était attachée a l'impressionnante faculté d'imiter des sons à la perfection... dont celui du système d'alarme. « Salsita vit avec nous, maintenant ! », lance en souriant Mme Dauphin.

Jamais loin derrière, les parents de Lory-Ann l'ont accompagnée dans ses projets, notamment dans la préparation de ses longs séjours à Toronto, au Mexique et aux îles Caïmans. Assez près pour l'aider à organiser ses premiers voyages, mais tout de même convaincus que leur fille devait vivre ses propres expériences.

Un héritage

Après la publication de l'article, il y a 18 mois, les mots de Lory-Ann ont ému de nombreux lecteurs, raconte sa mère. « À cause du mot "mourir", je n'ai peut-être pas vu à l'époque toute la beauté qu'il y avait dans ses mots... Je suis fière de cet article. »

Lory-Ann avait d'ailleurs partagé ce texte à ses meilleurs amis, sans toutefois le faire publier elle-même. Dans les heures qui ont suivi la mort de la jeune femme, sa grande amie a pris les choses en main et l'a fait parvenir au journal pour s'assurer de concrétiser un ultime rêve sur la fameuse liste.

Aujourd'hui encore, Brigitte Dauphin est touchée par ce geste, et par le message de sa fille.

« Je n'ai jamais été le genre de personne à me faire des listes. Mais cette année, ç'a été un peu plus difficile, alors je vais en faire une, une liste ! Je vais me donner des objectifs pour la prochaine année. En le mettant sur du papier, ça va faire une différence. C'est vrai qu'il faut arrêter de dire "j'aimerais ça" et qu'il faut le faire. Ma Lory avait raison : tout est possible quand tu prends les moyens pour y arriver ! »

En mode action

Lory-Ann Caron a dressé sa liste de souhaits à la fin de l'adolescence, et elle s'est donné elle-même les moyens d'en réaliser quelques-uns. Mais dès le plus jeune âge, et même à l'adolescence, il est possible d'accompagner nos jeunes dans leurs petits et grands projets. « Pour être heureux, il faut pouvoir se réaliser dans la vie. Être capable de se fixer des objectifs, et comprendre le processus pour les réaliser, c'est augmenter ses chances de bonheur », croit fermement Gisèle Aubin, coach de vie certifiée de la Fédération internationale de coaching. Il ne suffit toutefois pas de coucher quelques rêves sur une feuille de papier et d'y penser très fort. La persévérance et la capacité de tout mettre en oeuvre pour y arriver, ça s'apprend. Voici comment.

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Lory-Ann Caron

Se questionner

Une liste de rêves ? Pourquoi pas ? Mais la question «  à quoi rêves-tu ? » laisse parfois les jeunes... muets. Décoinçons d'abord le processus : « Au départ, on ne pense pas : on écrit ce qui vient en tête. Quand on se relit, on réalise qu'une chose en particulier est vraiment importante pour soi, suggère d'abord Diane Dulude, docteure en psychologie. Et si c'est fait avec légèreté, ce sera plus facile à faire. À l'opposé, si c'est fait de façon très solennelle, il y a de bonnes chances qu'autour de la table, on se dise : "je le sais-tu, moi, ce que je veux faire !" »

La spécialiste ajoute que si toute la famille s'y met - les parents aussi -, l'effet d'entraînement peut être porteur.

Se connaître

L'inspiration ne vient toujours pas ? « On se base alors sur les réussites passées. Si un jeune ne sait pas ce qu'il aime, on l'amène à raconter la dernière fois où il se souvient qu'il a eu du plaisir. On détermine avec lui ensuite pourquoi il s'est senti ainsi, propose Gisèle Aubin, coach certifiée. Y a-t-il des sujets à l'école qui l'allument ? Des moments où il se sent plus heureux ? L'idée, c'est de mettre le doigt sur un ancrage, et on bâtit à partir de ça. Car questionner dans le vide, ça ne donne rien. »

Des souhaits...réels

La liste prend forme, mais elle doit venir des enfants. Pas des parents. « Ne faisons pas semblant, comme parent, de vouloir aider notre enfant à réaliser ses objectifs à lui, alors que dans le fond, on veut l'amener à avoir de meilleures notes, par exemple, illustre Diane Dulude. Si on veut améliorer le vécu de la famille, on peut se demander, collectivement, ce qui peut être fait » sans y aller de façon détournée.

« Il faut que l'objectif parle au jeune et qu'il touche à ses valeurs, sinon, ça ne colle pas, ajoute Gisèle Aubin. Un enfant peut comprendre qu'il doit faire des efforts pour arriver à un objectif, mais il faut que ça le fasse vibrer. »

Prendre de petites bouchées

« Souvent, les objectifs semblent inatteignables, car ils sont trop gros. Une des façons de s'assurer qu'on va réaliser un objectif, c'est d'établir de petites étapes qui mènent à une grande réalisation. Sinon, on se perd en cours de route, explique Gisèle Aubin. [...] L'enfant veut sauter en bas du tremplin de trois mètres ? Il faut voir avec lui comment il peut y arriver. Parler de sa peur à son entraîneur, discuter avec des enfants qui ont réussi à sauter, s'entraîner sur un trampoline... tous ces petits gestes pourraient l'amener vers son objectif. Il faut amener l'enfant à découper l'éléphant en morceaux. »

Afficher sa liste

Afficher sa liste, c'est bien, mais les enfants ne sont pas obligés de tout partager non plus. Ils peuvent parler de leurs rêves publiquement s'ils le souhaitent, ou encore en garder quelques-uns pour eux, ou pour un cercle restreint. « Il faut aller au-delà du thumbs-upsocial, croit Diane Dulude. Si on fait cet exercice-là, ce n'est pas seulement pour se faire dire qu'on est donc bien bon ! Il faut amener l'enfant à déterminer ce qui est important pour lui. Sinon, c'est un peu vide. » La psychologue ajoute que même pour ces projets plus privés, il peut être bénéfique de les afficher quelque part, « dans un endroit où l'on va souvent, pour qu'on s'en souvienne ! »

Célébrer!

« Il faut aussi souligner toutes les petites réussites. Les célébrer ! Sinon, on se ramasse dans une situation où l'on court après des objectifs qui sont tout le temps mobiles », prévient Gisèle Aubin. Ainsi, notre enfant souhaitait sauter du tremplin de trois mètres ? S'il y arrive, soulignons l'événement, plutôt que d'immédiatement convoiter le tremplin de cinq mètres. « Sinon, on a l'impression de ne jamais arriver à ses fins. Connaître des réussites va développer la confiance chez les enfants. Ils vont se dire : "je suis capable ! Je sais comment réaliser un objectif !" » La réussite des étapes qui mènent à un plus grand objectif doit aussi être valorisée.

Rêver grand!

Un objectif nous semble trop costaud pour notre enfant ? « On devrait alors dire : "Wow ! Super ! Comment comptes-tu y arriver ?", tempère Gisèle Aubin. S'il veut aller sur la Lune, on regarde avec lui ce qu'il doit faire pour y arriver, comme s'entraîner ou étudier. Ramener l'objectif à sa plus simple expression. » Ce qui est important, soutient-elle, c'est qu'il voie comment s'y rendre. Et s'il réussit quatre étapes sur cinq, même s'il n'atteint pas l'objectif ultime, le parcours demeure positif. « Il faut dire à notre jeune qu'il n'a pas à avoir honte de ne pas avoir un objectif, car tout ce qu'il a fait en chemin, tout ce qu'il a appris, ça vaut quelque chose ! », ajoute Diane Dulude.