Incroyable, mais vrai. Le fameux modèle suédois, dont on aime tant vanter les mérites et auquel on aspire tous sur le plan social, aurait finalement une faille. Et non la moindre. Un psychiatre suédois sonne l'alarme: gare aux enfants-rois, écrit-il dans un livre-choc, à paraître en anglais sous peu. Comme quoi nous, les Québécois, n'avons finalement pas le monopole de cette bien vilaine monarchie. Bienvenue au pays des enfants-rois suédois.

«La Suède est-elle en train de créer une génération de petits cons?» Les médias ne sont pas tendres ces jours-ci avec le royaume de la social-démocratie. Pour cause: un psychiatre suédois, père de famille de surcroit, a publié une véritable petite bombe.

Comment les enfants ont pris le pouvoir, dont on attend une traduction anglaise dans l'année, ne ménage pas les parents de ce qu'on croyait jusqu'ici incarner le paradis sur terre des familles. «Petits cons», «mal élevés» et, surtout, «déçus de la vie», tels sont les qualificatifs que les médias britanniques, chinois, français ou américains attribuent du coup aux enfants nés au pays des garderies et des longs congés parentaux payés. Mais que s'est-il donc passé? Nous avons interrogé l'auteur, David Eberhard, père de six enfants de 1 à 17 ans, pour comprendre. Il voit trois grandes causes à cette bien malencontreuse dérive.

1- Le pays de la philisophie parentale unique

Promenez-vous dans les rues de Stockholm. Vous verrez des bambins partout, certes (la Suède a l'un des plus hauts taux de natalité d'Europe), mais surtout des bambins impolis, exigeants, insolents. C'est souvent eux qui décident du menu du souper, carrément des vacances d'été, dénonce le psychiatre David Eberhard. Ils choisissent l'heure de leur coucher et ne tolèrent pas qu'on les habille. En gros, ce sont eux qui décident. De tout. Comme de rien. Mais surtout de tout.

Pourquoi? Si la Suède est reconnue comme une pionnière en matière de défense des droits des enfants, ces droits vont aujourd'hui très loin, dénonce le psychiatre. Avec la popularité d'auteurs comme le Dr Spock, Penelope Leach et surtout Jesper Juul, le père de l'écoute active («Jesper Juul, l'auteur de Competent Child, a une influence énorme sur les parents suédois»), les parents n'ont plus le droit de punir leurs enfants. «Et je ne parle même pas de châtiments corporels, souligne le psychiatre. Un père a envoyé son enfant dans sa chambre 20 minutes, et il a été traîné en cour. Si un enfant a un mauvais comportement, il est interdit socialement, en Suède, de l'envoyer dans sa chambre! » Résultat? «Les parents n'ont aucun moyen de dire non à leurs enfants, dit-il. Et c'est là qu'on déraille.»

2- La culpabilité

Étrangement, ces mêmes parents, qui sont par ailleurs de grands adeptes de la théorie de l'attachement, ne passent pas énormément de temps avec leurs enfants. Ils sont en effet les premiers à les mettre en garderie dès 1 an (tous les bambins suédois ont une place attitrée en crèche, jusqu'à leur entrée à l'école). «C'est assez contradictoire», souligne le psychiatre.

La Suède a également un taux élevé de divorces, avoisinant les 50%, et bien des familles optent pour la garde partagée une semaine sur deux, poursuit le psychiatre. Conséquence? «Quand les parents sont enfin avec leurs enfants, ils se sentent coupables et s'assurent du coup que tout soit parfait. Ils leur offrent des bonbons, les trimballent partout, bref, se comportent en véritables parents hélicoptères.» Erreur, ajoute l'auteur: en élevant leurs enfants dans du coton, est-ce qu'ils les préparent pour la vie? Bonjour la désillusion, croit-il. «D'après les sondages suédois, oui, les jeunes enfants sont heureux. Mais les plus vieux? De moins en moins. Nous assistons à une croissance en flèche des tentatives de suicide, de troubles de l'anxiété et de troubles de comportement, notamment chez les garçons.»

3- Le mythe de la culture rebelle

La Suède se targue d'être marginale, d'élever des libres penseurs, bref, d'être un peuple plus «rock n' roll» que la moyenne. «C'est comme si nous étions fiers d'élever des enfants libres, rebelles, qui n'obéissent pas à leurs parents. Ce mythe est très fort en Suède, poursuit l'auteur. Malheureusement, depuis plusieurs années, les études démontrent que non seulement nos jeunes réussissent moins bien que les autres à l'école, ils sont même moins créatifs!» 

«On se prend un peu pour d'autres, conclut-il. On se croit meilleurs que les autres et on aimerait que tout le monde suive notre modèle. Mais à bien des égards, en terme de discipline et de philosophie parentale, c'est nous qui devrions suivre le reste du monde.»

Solution: le pouvoir aux parents

Le psychiatre est catégorique. Le meilleur expert n'est pas tel auteur ou tel docteur, mais bien le parent. Encore faut-il qu'il ait confiance en lui. C'est ce qu'il souhaite, en fin de compte, avec son livre : redonner le véritable pouvoir parental à ceux à qui il revient. «La famille n'est pas une démocratie et, quoi qu'on dise, l'enfant n'est pas un être compétent. Au contraire, il est par définition incompétent. La démocratie familiale ne fait finalement de bien à personne: ni aux enfants ni aux parents.» Est-ce la faute à la social-démocratie? «Une culture fière de sa conscience sociale peut facilement mélanger gentillesse et absence de règles. Mais selon moi, nous faisons fausse route. Ne pas avoir de règles, c'est tout sauf de la gentillesse. C'est une gentillesse perverse.»

Un enfant de riche

L'enfant-roi suédois est-il bien différent de l'enfant-roi québécois? Probablement pas. «First world problems», comme on dit...C'est un peu ce qui résume la pensée du pédiatre Jean-François Chicoine. «Le phénomène de l'enfant-roi, qu'on soit au Québec ou ailleurs, c'est un peu partout le même: dans les sociétés bien nanties où on a défini la parentalité, est né cet enfant-roi qui se nourrit d'indiscipline», explique le fameux pédiatre, avec sa verve habituelle. À quel point est-ce différent en Suède? «Je ne connais pas l'enfant-roi suédois, précise-t-il, mais dans une société bien nantie, où on a réglé certains problèmes, les parents ont tendance à être surinvestis.»

D'où la question, inévitable: l'enfant-roi est-il le produit de la social-démocratie? «Non, répond Jean-François Chicoine. Ça n'est pas parce qu'on donne de la place aux enfants dans une société qu'on en fait des enfants-rois.» Une dérive, alors? «Oui, la social-démocratie ouvre la porte à l'enfant-roi, concède-t-il. Une fois qu'on a tout fait pour les enfants, insiste-t-il, et que souvent, on en fait qu'un, ou deux, plus tardivement, on a tendance à se projeter dans nos enfants et à s'investir beaucoup plus.»

Paradoxe? Ces parents, eux aussi produits de la même social-démocratie, n'osent peut-être plus intervenir «parce qu'ils ne se sentent pas autorisés!», dénonce le pédiatre. «Ils ne se sentent pas autorisés à intervenir auprès d'enfants qu'ils ont trop peu vus au cours de la journée. Moins vous passez de temps avec quelqu'un, moins vous intervenez, dit-il. Que font-ils? Ils les gâtent.»