Triple meurtre à Trois-Rivières. Deux ados accusés. Sur les réseaux sociaux, certains les ont qualifiés de «monstres». D'autres ont même réclamé le retour de la peine de mort. Or, sans présumer de ce qui arrivera dans ce cas-ci, des experts sont formels: les ados meurtriers ne sont pas irrécupérables. Au contraire, ils sont généralement plus faciles à réhabiliter que d'autres jeunes délinquants. La Presse vous raconte l'histoire de jeunes tueurs qui ont évité la prison pour adultes.

Contrairement à ce qu'on peut penser, les adolescents qui ont commis des homicides sont rarement les plus compliqués à traiter.

C'est ce qu'affirme le Dr Louis Morissette, fort de sa longue expérience à titre de psychiatre responsable clinique de l'unité spécialisée pour adolescents violents à l'Institut Philippe-Pinel.

En 30 ans, le psychiatre a traité plus d'une cinquantaine de jeunes Québécois qui ont commis un homicide. La plupart avaient tué un proche ou une connaissance.

«Souvent, ce sont des gens qui n'ont pas de graves problèmes de délinquance ou de consommation», décrit le Dr Morissette. Ce sont les cas les plus simples à réhabiliter.

«Un jeune qui fait des mauvais coups depuis l'âge de 12 ans et qui finit, à 17 ans, par tuer quelqu'un au cours d'un vol de dépanneur, c'est compliqué à traiter, explique le psychiatre. Celui qui tue sa copine ou sa mère parce qu'il pense qu'elle l'empoisonne et qu'il va être libéré quand il va l'avoir tuée; le pronostic est meilleur.»

La directrice des services aux jeunes contrevenants au Centre jeunesse de Montréal Michèle Goyette, abonde dans le même sens. «En général, les situations d'homicide sont spectaculaires et inquiétantes, dit-elle. Or, sauf dans les rares cas de jeunes qui ont adopté la délinquance comme mode de vie, c'est une combinaison de facteurs dans la vie d'un adolescent qui le font passer à l'acte et qui ne pourraient pas arriver une seconde fois.»

MmeGoyette fait un parallèle avec un accident de voiture. «Tu serais parti une minute avant, l'autre voiture serait partie deux minutes après et l'accident n'aurait pas eu lieu», illustre-t-elle.

De grands impulsifs

«N'importe quel parent d'adolescents vous dira que parfois, il y a des comportements, des réflexions, des choix que ses enfants font qu'il ne comprend pas. C'est une période où ils sont dans une grande impulsivité», ajoute Mme Goyette, qui travaille depuis 35 ans en délinquance juvénile.

Il faut amener le jeune à parler de son crime, pour ensuite travailler ses «distorsions cognitives», explique sa collègue, éducatrice d'expérience, Nathalie Gélinas.

Mme Gélinas donne souvent cet exemple: deux jeunes aux prises avec de graves problèmes à la maison ont un besoin d'appartenance à combler. L'un va entrer dans les gangs de rue, l'autre chez les scouts. L'un va faire du mal aux autres, l'autre va faire des totems.

«Mes jeunes me répondent: ben là, on ne va pas passer nos fins de semaine à faire des noeuds coulants dans le bois. On rit, mais ils comprennent qu'ils doivent répondre à leur besoin de façon positive, sinon, ils vont déraper à nouveau.» Durant leur séjour au centre jeunesse, ils suivent des ateliers obligatoires, notamment sur la gestion de la colère.

Même les jeunes les plus durs peuvent changer, puisque leur personnalité n'est pas encore construite, croient les experts.

«Notre travail, c'est de protéger la société. On doit chercher ce qui a provoqué une telle distorsion cognitive chez le jeune pour éviter qu'il fasse d'autres victimes», dit Mme Goyette, du centre jeunesse.

Choc post-traumatique

La première chose à faire, c'est d'évaluer le jeune pour trouver le traitement approprié, dit le Dr Morissette. Qui a-t-il tué? A-t-il des problèmes de consommation? De maladie mentale? Souffre-t-il d'un choc post-traumatique? Car, oui, beaucoup de jeunes qu'il a vu passer au fil des ans avaient subi un choc après avoir tué, tel un soldat qui revient d'Afghanistan, souligne le psychiatre.

«Les victimes n'aimeront pas ce que je vais dire, mais ce qui est le plus délicat, c'est de faire accepter au jeune qu'il peut avoir une vie malgré ce qu'il a fait, indique le Dr Morissette. Le plus gros obstacle à la réinsertion sociale, c'est le poids de la culpabilité.»

Psychopathe, non, normal

Les jeunes meurtriers passent souvent pour des êtres froids et sans coeur. Le Dr Morissette se souvient d'un ado qui avait tué son père, sa mère et son frère. Les policiers qui venaient de l'interroger avaient dit au psychiatre qu'il était le plus grand psychopathe qu'ils avaient rencontré.

Or, ce jeune avait une réaction normale, lance le Dr Morissette. «Les jeunes qui ont commis un homicide vivent une charge émotive tellement grande que le disjoncteur décroche. Ils apparaissent froids et non repentants, mais ça fait partie du processus», poursuit le psychiatre. Ils vont vivre leur deuil seulement plusieurs années plus tard.

À moins de recevoir une peine pour adultes, un ado coupable d'un meurtre prémédité risque d'être condamné à six ans de placement en centre jeunesse suivi de quatre ans de surveillance. Dix ans, est-ce assez long? C'est amplement de temps pour travailler avec le jeune afin d'éviter la récidive, répondent les experts.

«Contrairement à la croyance populaire, la plupart des gens qui commettent des crimes graves au Canada peuvent facilement être réintroduits dans la communauté après quelques années d'incarcération», estime le Dr Morissette.

«Si on fait juste les enfermer sans les traiter, quand ils vont sortir, en général ça va être pire», ajoute l'éducatrice d'expérience Nathalie Gélinas.

«Malheureusement, lorsqu'on voit des gros délits comme ce qui est arrivé à Trois-Rivières [deux ados sont accusés d'avoir commis un triple homicide], l'émotion prend le dessus sur la raison», poursuit le Dr Morissette.

Là, c'est le psychiatre qui parle. Lorsqu'il met son chapeau de père de famille, il nuance: «Si ma fille se fait violer ou tuer ce soir, je vais vouloir la même chose que les parents des victimes de Trois-Rivières ou d'ailleurs, mais si on parle en terme de protection du public, une longue peine d'incarcération sans traitement, c'est inutile.»

Trois cas récents

21 janvier 2013, Dorval

«Menteur», «influençable» et «impulsif». C'est ainsi qu'un psychiatre a décrit au tribunal l'adolescent de 12 ans qui a tué son frère de 16 ans d'une balle dans la tête. L'ado manipulait un pistolet semi-automatique de calibre 9 mm en présence d'un ami et de son frère aîné lorsque le coup est parti. Le drame s'est déroulé dans la chambre de l'ado de 12 ans au domicile familial de Dorval. D'abord inculpé d'homicide involontaire, il a plaidé coupable à une accusation réduite de négligence criminelle causant la mort. Il avait volé l'arme chez sa grand-mère et avait commis un vol à main armée trois semaines plus tôt. L'ado est en liberté en attendant que sa peine soit prononcée. Son avocate suggère une probation de 6 mois, puisqu'il a déjà passé 11 mois en Centre jeunesse depuis le drame. De son côté, la poursuite propose une peine de 18 mois de garde ouverte, suivie d'une probation de 18 mois. La peine sera prononcée plus tard cette année.

Photo Archives La Presse

26 février 2012, Sainte-Adèle

«J'ai le goût de tuer le dude [...], avec ça je me fais full cash. J'ai le goût en crisse.»

David*, 17 ans, a envoyé ce message texte à un ami quelques jours avant de tuer son voisin, le pharmacien Gary Quenneville (à gauche sur notre photo). Avec ses amis, il a élaboré le plan «Mexico», qui consistait à aller chez l'homme de 60 ans alors qu'il était là, l'attacher et le forcer à divulguer son NIP. Avec l'argent, les jeunes partiraient pour le Mexique. Le 26 février 2012, David est allé cogner à sa porte, un couteau dans la main gauche, un marteau dans la main droite. M. Quenneville est allé ouvrir. L'ado l'a poignardé, rué de coups, puis étranglé. Ses amis sont venus le rejoindre après le meurtre pour piller la maison. Deux ans plus tard, David a plaidé coupable à une accusation de meurtre prémédité. La Couronne voudrait qu'il soit jugé comme un adulte. La décision n'a pas encore été rendue.

Photo fournie par la famille

27 juin 2010, Sainte-Julie

À 15 ans, Jérémie* a décidé de se «libérer» de sa mère. Il l'a étranglée à mains nues chez elle, à Sainte-Julie. À 6 ans, il était déjà très agressif envers celle qui l'élevait seule depuis sa naissance. Elle l'a amené plusieurs fois consulter un psychologue au fil des ans. Rien n'a changé. L'ado a connu de graves problèmes de drogue. Le 27 juin 2010, il a demandé à sa mère de le reconduire chez sa copine. Elle a refusé. Il s'est mis à fantasmer sur l'idée de la tuer. «Ça fait 15 ans que je me fais contrôler comme un petit chien, d'la marde. Je vais avoir le contrôle de ma vie», a-t-il dit à une déléguée jeunesse après son crime. Il a défoncé la porte de la chambre de sa mère. Il lui a serré le cou durant plusieurs minutes pour «être sûr» de la tuer. Il a ensuite invité un ami à venir «buzzer» dans son sous-sol, puis ils se sont rendus chez la copine de Jérémie, à Varennes. Le lendemain, il a composé le 911. «Dans la chambre à ma mère, il y a son cadavre. C'est moi qui l'ai tuée. Venez me chercher.» Il a été condamné à sept ans de mise sous garde et de surveillance, soit la peine maximale prévue pour un meurtre non prémédité.

Photo Archives La Presse