Ils nous fascinaient à hauteur d'enfant sur les mains de grand-maman. Puis, un jour, ils nous appartiennent. Véritables machines à voyager dans le temps, les bijoux hérités de nos aïeules sont les gardiens d'une mémoire bien particulière.

Le coffre à bijoux de Léonie Archambault, 90 ans, déborde de trouvailles. Ici, un jonc en or en parfait état hérité de sa grand-maman, mais trop grand pour ses 10 doigts. Là, une bague reçue à sa graduation et montée à partir d'une épingle à cravate de son grand-père.

Dans cette boîte, on trouve aussi de grands absents. Un dimanche matin, Léonie, observant des rougeurs sur ses mains, décide de ne pas porter les quelques bagues familiales dont elle ne se sépare jamais pour aller à l'église. À son retour, la porte d'entrée est défoncée. Sur la coiffeuse, les bijoux ont disparu. Comme «il est rare que les voleurs rapportent les objets volés», elle ne les a jamais retrouvés.

«Je n'ai pas seulement perdu des biens de grande valeur et irremplaçables, mais aussi toute une mémoire qui leur était associée», se souvient Léonie. Un épisode qui lui fait l'effet d'un coup de ciseau donné dans le ruban de sa généalogie.

Cette comparaison n'est pas dénuée de sens, affirme Élodie Adam-Vézina, doctorante en psychologie de l'UQAM qui s'intéresse aux questions de transmission. «Dans un cas pareil, ce ne sont pas les objets en eux-mêmes qui importent, mais toute la mémoire dont ils sont chargés, qu'ils véhiculent et qui en dit long sur nos rapports filiaux. Perdre ses bijoux, c'est un peu perdre son histoire.»

À l'inverse, rappelle-t-elle, on n'a qu'à penser à ceux qui s'en débarrassent dans un geste intentionnel, dans une volonté de rupture, pour marquer la césure avec sa «lignée» ou avec telle ou telle période de sa vie associée au bijou et dont la pensée nous est devenue intolérable. Toute la puissance de la transmission se joue dans ce choix entre la continuité et l'interruption.

Ces bijoux que l'on relaie d'une génération à la suivante sont des legs curieux. «Au-delà du souvenir et de l'objet dans sa dimension matérielle, il y a aussi toute la part d'inconscient qui compte, formée de tout le vécu, de tout ce dont l'objet est dépositaire et qui est transmis à notre insu...», avance Élodie Adam-Vézina.

Une destinée léguée

La superstition va jusqu'à prétendre qu'on «épouse» la destinée des gens qui ont porté le bijou avant nous. Un jeu du destin dont a été témoin Marie-Josée Lewis, lorsqu'elle a hérité du collier de perles à deux rangs de son arrière-grand-mère Éva.

«J'ignorais à peu près tout de la vie qu'avait menée mon arrière-grand-mère, raconte cette sage-femme de Montréal. Jusqu'à ce que j'apprenne que le métier d'Éva était aussi d'accoucher les femmes de son village... Ma profession a perduré grâce à des femmes comme elle, qui ont su transmettre leur savoir. Ce lien implicite qui s'est tissé de sa génération jusqu'à la mienne est cristallisé dans le bijou.»

«Je ne suis pourtant pas portée sur l'interprétation des symboles, continue Marie-Josée. Mais la découverte de ce lien m'a touchée. Il donne tout à coup une signification particulière à ma généalogie, montre des imbrications, des répétitions... Quelque chose de plus grand que moi, et de fort.»

Pour l'anthropologue Luce Des Aulniers, attribuer des «pouvoirs magiques» aux objets montre «que notre cerveau archaïque, même le plus rationnel, reste producteur de croyances». En portant ces parures anciennes, on accepte aussi la part de mystère qui les encercle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le coffre à bijoux de Léonie Archambault contient des chaînes et des bagues qui portent leur histoire.